Jeudi 19 mars 2020. Nous nous levons avec le soleil qui illumine l’horizon. Nous partons en reconnaissance vers Okhreni, hameau perché sur un petit col à 2800m. Une piste non cartographiée arrive maintenant de Libang, la capitale du Rolpa.
Un jeune coiffé d’une casquette rasta vient de terminer la rénovation de la maison familiale. Pourquoi a-t-il refait l’étage entièrement en bois ? Ici, comme dans tout le Rolpa, les maisons sont en pierres. Le beau rasta aurait-il fait « un voyage intérieur » en Haute-Savoie ? Quoi qu’il en soit sa bâtisse, bien qu’inhabituelle, a un côté plus chaleureux que les maisons traditionnelles. Il est très fier de nous expliquer qu’il va y ouvrir un hôtel pour les nombreux pèlerins qui, dans quelques semaines vont passer par ici pour se rendre au Jaljala. Il suppose qu’ils feront, comme les autres années, étape à Okhreni à une journée de marche de leur graal. Nous avons bien peur pour lui que la piste, déjà arrivée ici, ne transforme son village en un parking géant pour pèlerins motorisés pour qui seul le but aurait de l’importance et non le chemin pour y parvenir. Espérons, au moins, que la piste n’atteigne jamais le Jaljala ! Rien de moins sûr.
Une didi ravissante
Sa mère est une femme magnifique au sourire étincelant. Elle transpire la sérénité. Elle arbore un collier très original avec quatre canines de musk deer. Le musk deer est sorte de chevreuil qui arbore deux longues dents qui lui sortent de la bouche. Ceci lui donne l’aspect effrayant d’un « vampire » des Carpates, idéal pour faire cauchemarder les enfants et les grands qui l’aperçoivent. Cette espèce est menacée car le musc, qui lui donne son nom, est très recherché pour ses vertus aphrodisiaques.
Man l’interroge sur l’état du chemin qui mène au Jaljala car nous observons que la neige recouvre encore les sommets au-delà d’Okhreni. Elle nous indique que la crête que nous comptions suivre est impraticable. En haut, il y aurait 80cm de neige. Pas la peine d’inquiéter nos porteurs qui viennent d’arriver. Il est à peine neuf heures. Le soleil est brûlant. Nous avons largement le temps de nous retourner en cas de problème.
La neige bouleverse nos plans
Nous repartons en traversée, à flanc de montagne. Une bonne heure plus tard, nous arrivons à Nabang où il n’y a rien sauf un poteau du NTNC, indiquant le Jaljala, pointé vers la crête très enneigée. Ceci ne plaît pas à Man qui arrache le poteau et son socle de béton et le place pour indiquer la suite de la traversée! Nous nous arrêtons pour grignoter un morceau de notre pique-nique. Las d’attendre le reste des troupes, nous poursuivons la traversée ascendante en direction d’un col. Le chemin devient boueux, parfois couvert de neige au détour d’un vallon. Après un peu de plat népalais, ces typiques successions de courtes montées et descentes que les locaux ne remarquent même plus, nous atteignons le col à 2980m. Le chemin continue vers un autre collet sans prendre d’altitude.
Où sommes-nous? Aurions-nous fait fausse route ? Aurions-nous été plus inspirés de suivre la direction indiquée par le panneau ? La carte n’est d’aucun secours.
Une rencontre providentielle
Comme l’équipe a pris un retard anormal, nous montons sur une butte de l’autre côté du col vers un village d’alpage abandonné. Quelle n’est pas notre surprise d’y trouver une adorable petite fille seule enroulée dans une couverture. Intriguée par notre présence, cette jeune bergère nomade a abandonné son troupeau pour venir à notre rencontre. Elle s’appelle Man Kumari. Elle est venue de Rukumkot, la capitale du Rukum Est, bien loin d’ici, avec ses parents et leurs moutons.
Rencontre éphémère et fortuite. Elle nous indique en face une sente déneigée permettant d’atteindre facilement Dharampani, caché derrière un petit sommet rocheux bien visible. Cela correspond bien à l’intuition que nous avions.
Le soleil est maintenant masqué par d’épais nuages. L’atmosphère se rafraîchit. Man nous propose de commencer à grimper jusqu’au sommet rocheux pendant qu’il rebrousse chemin pour aller à la rencontre de l’équipe. La direction est évidente car il suffit de remonter l’arête bordée de neige sur son versant nord. Bientôt la sente disparaît. Il faut poursuivre hors traces. Du haut de notre arête, nous apercevons Man qui a retrouvé Bhim. Nous n’entendons pas ce qu’il se dit mais comprenons que la discussion est assez houleuse. Nous voyons Modan, Dorje et Dibi qui arrivent. Ils coupent la pente pour monter directement vers nous. Il est treize heures.
Dharampani sous la neige
La pente est raide mais toujours sèche. Nous avons de la chance car la neige aurait transformé cette ascension en véritable épreuve. Vers quatorze heures, nous atteignons la neige, juste sous un éperon rocheux que nous traversons facilement. Un dernier coup d’œil en arrière et nous voyons que tout le monde suit. Rassurés, nous continuons la montée en faisant la trace dans la neige. Nous apercevons Dharampani juste en contre bas avant d’être enveloppés par les nuages.
Dommage pour le panorama. Nous ne verrons pas l’Api et le Saipal, les géants de l’extrême ouest népalais, deux sommets à plus de 7000m qui par temps clair se détachent au dessus de l’horizon. Il y a maintenant beaucoup de neige. Le petit abri précaire de Dharampani est totalement enseveli et envahi par la neige. Inutilisable. Il commence à neiger. Le vent se lève. Rapidement, nous nous habillons pour ne pas être frigorifiés. L’ambiance devient hivernale. Une éclaircie nous offre une vision furtive du grand mémorial en forme de menhir érigé en souvenir des martyrs de la révolution maoïste. En temps normal, il faudrait à peine trente minutes pour atteindre ce pilier.
Ne voyant personne venir, nous laissons nos sacs à dos et nous commençons à faire la trace en direction du Jaljala, dans une neige profonde. L’adorable didi d’Okhreni avait raison… La vue est se dégage vers le bas. Nous devinons le chemin qu’il nous faudra suivre. Aussi loin que nous puissions voir, tout est recouvert d’un blanc manteau.
Nous remontons sur la butte au-dessus de Dharampani. Man finit par nous rejoindre. Il nous explique que Bhim ne voulait pas monter parce qu’il était certain que nous nous trompions de chemin. Man a eu bien du mal à les convaincre.
Un camp qui suscite la controverse
Après une heure d’attente, nous sommes enfin regroupés. Nous suggérons de descendre pour trouver un camp moins exposé aux rafales de vent. Cette proposition fait l’unanimité d’autant plus que personne n’a envie de faire fondre de la neige pour le repas du soir. L’équipe se remet en marche. Lente procession dans une neige profonde et humide.
Après une heure de descente, nous finissons par trouver de l’eau au milieu d’une combe enneigée et peu pentue qui nous offre un abri tentant. Man est parti devant pour chercher un meilleur emplacement. Il revient satisfait de sa trouvaille alors qu’avec Bhim nous avions terminé de tasser la neige pour monter les tentes. Nous nous remettons en chemin pour arriver à la nuit tombante à l’endroit repéré par Man. L’eau est plus loin. Il y a plus de vent. Mais nous aurons le soleil tôt demain matin… Bhim est furieux. Guide expérimenté, il n’arrive pas à accepter le leadership de Man.
Un orage éclate. Quelques coups de tonnerre au milieu d’une tempête de neige heureusement de courte durée. Nos porteurs du Rukum affichent une bonne humeur déconcertante. Ils semblent enthousiastes à l’idée de vivre leur première nuit dans la neige. Ils font un grand feu pour faire sécher leurs chaussures détrempées.
Il fait froid. Prem ne quitte plus la veste de l’ESF que nous a confiée une amie monitrice. Nous nous réfugions tous dans la tente cuisine où la bonne humeur fait vite son retour. Après un bon dal bhat, nous rejoignons tous l’abri protecteur de notre tente.