Par Brigitte, Directrice de Recherche au CNRS et chercheuse de tout instant comme chaque citoyen ou citoyenne, en collaboration avec Laurent, ingénieur Télécom expert Internet
Publié le 22 décembre 2024 à 10h15
Le Web au secours des particules
La recherche fondamentale n’est pas à opposer à la recherche appliquée qui vise à répondre le plus rapidement possible à un objectif bien défini, louable ou non louable en développant une technologie qui s’appuie sur le socle de connaissances issu de la recherche fondamentale.
Le CERN a pour mission de « mieux comprendre de quoi est fait l’Univers et comment il fonctionne » et ainsi de « repousser les limites de la connaissance humaine ». Sa raison d’être est la recherche fondamentale dans le domaine de la physique des particules.
Cependant, lorsque le CERN tente de justifier son projet d’un nouvel accélérateur de particules (FCC), ses communicants ne cessent de mettre en avant l’invention du Web qui n’a pourtant aucun lien direct avec sa mission. Que faut-il en penser ?
Pour y voir plus clair, remontons le temps pour revenir aux origines du Web.
Aux origines du Web
Nous sommes en 1969. Dans le cadre du projet ARPANET, Steve Crocker publie la première Request For Comments (RFC). Depuis, tous les chercheurs travaillant au développement de réseaux interconnectés (Internet) apportent leur contribution sous la forme de RFC. Tous les concepts et toutes les innovations sont consignés dans des notes numérotées chronologiquement. Il est donc facile de remonter le temps.
Si Tim Berners-Lee était salarié du CERN lorsqu’il posa en 1989 les bases d’un système permettant de faciliter les échanges de données entre les chercheurs, il n’a en aucun cas utilisé les accélérateurs de particules de son employeur. Il avait un problème à résoudre et, de son propre aveu, il n’a fait qu’assembler des concepts et des outils, en particulier la notion d’hypertexte pour naviguer entre des documents et le réseau Internet qui permettait déjà la communication entre ordinateurs hétérogènes et géographiquement distants.
A ce titre, les travaux de Tim Berners-Lee sont à situer dans le domaine de la recherche appliquée. Ils auraient pu être réalisés dans tout autre organisme public qui l’aurait mandaté pour la même tâche.
Convaincu que le partage de la connaissance ne doit pas se limiter au domaine universitaire, Tim Berners-Lee a la vision d’un Web universel et gratuit. Il quitte le CERN en 1994 pour rejoindre le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et y fonder le World Wide Web Consortium (W3C) qui établit des standards d’un Web ouvert, libre et transparent.
C’est au MIT que Tim Berners-Lee publie les textes fondateurs du Web : la RFC 1866 pour le langage HTML et la RFC 1945 pour le protocole HTTP. Il vient ainsi ajouter ses pierres à l’édifice Internet.
En 2004, Tim Berners-Lee déclarera humblement : «Je n’ai rien inventé. J’ai juste emprunté un certain nombre de choses qui existaient déjà, et je les ai accrues un peu. Construire le Web, je ne l’ai pas fait tout seul.»
Au passage, notons que Tim Berners-Lee démontre que la recherche appliquée peut également être collective et désintéressée, même si, surtout à l’époque actuelle, ceci est loin d’être le cas général.
En 2009, toujours animé du même état d’esprit, il crée, avec son épouse Rosemary, la World Wide Web Foundation, une organisation à but non lucratif qui promeut l’idée du Web comme un bien commun de l’humanité, accessible à tous.
En septembre 2024, 15 ans plus tard, ils viennent de mettre un terme à leur fondation. Tim et Rosemary déplorent les dérives du Web avec la prise de contrôle de l’information et la marchandisation des données personnelles par les entreprises commerciales.
Ce qui aurait dû être un signal d’alarme est presque passé inaperçu. Néanmoins, Tim Berners-Lee ne baisse pas les bras. Nous pourrions même penser qu’il entre en résistance en recentrant ses activités autour de son projet pour un Web décentralisé.
Accaparement d’un bien commun
Alors pourquoi le CERN a-t-il donc besoin de ressortir la belle aventure de Tim Berners-Lee pour justifier son projet de nouvel accélérateur ? Peut-être parce que nous sommes tous dépendants, de gré ou de force, d’Internet et du Web.
Le Web de Tim Berners-Lee n’a pourtant rien à voir avec notre consommation compulsive des réseaux sociaux et des plateformes de vente en ligne ou de vidéos à la demande. Néanmoins, le CERN tente de manipuler les citoyens en s’accaparant la paternité de cette révolution technique. Il use de nos faiblesses, de notre addiction, pour masquer la réalité d’un projet pharaonique.
Ne faut-il pas y voir une tentative pour éluder une question fondamentale : dans le contexte actuel, la chasse aux particules inconnues, quoi qu’il en coûte, peut-elle être acceptée par la société ?