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Au pays des balous

Mardi 16 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis. L’oiseau crie « Horlabot revit ! ».

Désormais, tous les matins, Didi, Dazu et Jessica viennent « à la maison », nous buvons le thé de racines ou le café, lorsqu’il y en a, et fumons une churot. Ensuite, ils partent couper de l’herbe pour les animaux. Souvent Jessica reste avec nous pour jouer au cricket avec la spatule à dhido et des boules de savon organique pendant que ses grands-parents préparent les charges d’herbe.

Un danger bien réel

Aujourd’hui, Brigitte part en direction de Confluence pour une deuxième exploration de Jhula d’en haut, peut-être de Gobay et, qui sait, de Phera. Après avoir traversé la Magma Khola, elle s’engage dans une longue traversée ascendante au cours de laquelle elle risque de rencontrer un bhalu, un ours ! Depuis la mise en garde des habitants de Jhula sur la présence d’ours dans le secteur, la perspective de croiser un plantigrade agressif l’inquiète parfois un peu mais il en faudrait plus pour lui faire renoncer à la liberté … Elle se dit que les gens du quartier lui parlent de bhalu afin qu’elle ne se promène plus seule. Néanmoins, elle se méfie et, à vrai dire, son itinéraire du jour passe à mi-pente et non tout en haut, là où vivraient les ours. Ce n’est qu’en discutant avec Man, à son retour, que nous comprendrons que le danger est bien réel.

Des enfants intrigués à la vue de cette drôle de vagabonde

Brigitte repasse devant la maison des enfants cueilleurs de prunes puis devant celle des didis batteuses de blé qui lui ont offert des kafals et continue la montée jusqu’à Gobay, un lieu magnifique juché sur un replat.

De Gobay à Phera

A Gobay, il y une mare, des buffalos et une grande maison habitée par quatre générations d’une même famille avec un patriarche à sa tête. Brigitte est reçue avec beaucoup de chaleur. Une jeune fille adulte à l’allure un peu masculine lui pose un tas de questions en anglais et traduit pour le reste de la famille. En fait, cette jeune femme a beaucoup voyagé et c’est plutôt elle et non le patriarche qui semble s’occuper de toute la famille. Elle a le savoir et est respectée naturellement pour cela. Sans en tirer aucune vanité, elle met ses compétences au service de sa famille.

Quatre générations sous un même toit

Au-dessus de Gobay, une petite arête masque le paysage. La jeune fille explique à Brigitte qu’en haut de cette arête, le chemin continue jusqu’à Phera d’en haut. Ravie de pouvoir rejoindre Phera, elle poursuit donc sa route en déclinant l’invitation à manger les rotis. En haut de l’arête, effectivement, le chemin traverse à flanc traverse une grande ravine ou plutôt une petite vallée qui domine la piste qui vient de Jhula. Il file ensuite vers la crête pour atteindre Phera d’en haut.

Sur les hauteurs de Gobay

Plus effrayante qu’un bhalu

En contrebas du chemin, lorsqu’il traverse le vallon, il y a deux maisons habitées. Deux enfants arrivent de l’une d’elles. Ils sont très jeunes. En voyant Brigitte, ils sont complètement effrayés et font demi-tour en hurlant et pleurant.

Le plus âgé qui doit avoir cinq ou six ans revient vers elle. Brigitte essaie de le rassurer mais n’y parvient pas. Finalement, il grimpe sur le côté raide du chemin en courant pour l’éviter et filer vers Gobay. Un peu plus loin, il s’arrête et crie à son petit frère de venir. Ce dernier pleure et hurle car maintenant il est seul face au danger que Brigitte représente et n’ose pas passer.

Devant ce drame, Brigitte fait demi-tour pour permettre au plus petit garçon de rejoindre son grand frère mais plus elle avance plus le grand frère fuit vers Gobay. Au village, tout le monde se moque de lui et il finit dans les bras de celle qui l’effrayait tant il y a quelques minutes. Son petit frère arrive porté par une didi des maisons de la « ravine » venue à son secours. Lui aussi finit dans les bras de Brigitte ! Après cet épilogue heureux, un jeune homme de la famille prend tout le monde en photo.

Trésors culinaires

Brigitte rentre par Jhula et Chinkhet où elle trouve des bananes locales pour Didi, Dazu et Jessica qui en raffolent. C’est sous une pluie battante qu’elle arrive à Lochabang. Elle offre les bananes à Didi et remonte à Horlabot avec des kafals, un concombre et une sauce maison bien épicée que Didi a mis dans son sac!

Brigitte a « cartographié » toute son exploration du jour mais ne sait pas trop quoi faire de cela ! Elle n’a guère envie de divulguer les trésors qui se cachent dans ce coin perdu du Rukum. Cette page griffonnée de son cahier de brouillon d’écolière lui permet encore aujourd’hui de se remémorer les moindres détails de cette magnifique journée.

A Horlabot, elle retrouve Laurent qui a cuisiné un délicieux dal bhat après avoir récupéré plein de précieux messages à Banphikot.

Dernière relecture de notre article

Le prix de l’électricité

Depuis que nous avons accès à la connexion internet de la municipalité rurale de Banphikot, Laurent doit composer avec l’électricité. Ce matin, en recopiant l’article de Trek Magazine sur notre téléphone, absorbé par cette tâche plutôt pénible, il a épuisé la batterie de celui-ci. Vous devez penser qu’il suffit de trouver une prise pour brancher le chargeur mais au Rukum ce geste anodin prend une autre dimension.

Nous n’avons pas l’électricité à Horlabot. Chaque matin, quand il descend à Lochabang pour accompagner Didi et Dazu dans leurs tâches quotidiennes, Laurent en profite pour recharger notre téléphone avant de remonter dans l’après-midi à Banphikot mais, aujourd’hui, comme souvent le matin, l’électricité est coupée dans toute la vallée.

Tout espoir n’est pas perdu. Jusqu’ici, notre panneau solaire portable remplissait à merveille son rôle. A l’approche de la mousson, la lumière blafarde d’un ciel orageux affecte son rendement et quelques heures d’exposition permettent seulement d’obtenir le minimum vital pour redonner vie au téléphone et pouvoir communiquer avec nos proches.

Avec le temps, nous avons appris à accepter ces coupures d’électricité avec fatalité et vivons sereinement notre cure de désintoxication. Pour être tout à fait honnêtes, quand nous nous sommes rencontrés, nous n’avions l’un comme l’autre aucun numéro de téléphone à échanger, ni portable, ni fixe. Se passer de téléphone n’est donc pas un gros souci…

La sobriété volontaire

Cette expérience est riche. Elle nous rappelle que l’énergie est précieuse et que la technologie a ses limites. La privation est le remède ultime contre l’addiction. Un stage hors réseau serait sans doute violent mais très bénéfique pour les accros au numérique.

Paradoxalement, l’industrie du tourisme et les agences de voyage qui utilisent cette « déconnexion du quotidien » comme un argument de vente de leurs séjours en montagne, exotiques ou lointains exigent de leurs partenaires locaux des prestations haut de gamme.

Année après année, mois après mois, nous franchissons les limites planétaires en dilapidant les ressources de la Terre. La sobriété est l’unique voie de la raison mais personne n’est prêt à abandonner son petit confort. Nous préférons nous voiler la face et continuer à consommer sans savoir vraiment pourquoi. Il faut avouer que nous sommes victimes d’une arme de destruction massive: la publicité, propagande des adeptes de la croissance sans limite.

Il serait pourtant préférable de ralentir notre consommation volontairement plutôt que de subir une transformation imposée par des forces incontrôlables.

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