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Délicieux travail

Mercredi 24 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis. L’oiseau crie « ils sont où mes copains ? ».

Effectivement hier, Brigitte est tombée en admiration devant deux magnifiques très grands oiseaux qui étaient posés dans la rizière de Dazu à Chinkhet mais ses talents de photographe en ont fait deux points que l’oiseau du paradis n’arrive pas à distinguer du décor. Serait-il un peu jaloux ?

Il pourrait bien s’agir de cigognes épiscopales.

Les cigognes du paradis

Il a plu toute la nuit mais ce matin le soleil est au rendez-vous. Dazu arrive tôt à Horlabot pour le désormais rituel « café » matinal. Il nous annonce que la plantation du riz se fera dans quatre jours et que nous devons filmer pour montrer en France comment cela se passe ici.

Marketing sans filtre

Avant de partir couper l’herbe, assis en haut de l’escalier, sur le pas de la porte de notre refuge, Dazu fume une churot.

Ici, tous les paquets de cigarettes portent des noms de rêve. Aucune contrainte n’est imposée à l’industrie du tabac. Au début, Dazu voulait que Brigitte achète que des bijuli, ce qui signifie « lumière », à 50 roupies le paquet. Ce sont un peu les ancêtres de nos gauloises sans filtre, sauf qu’ici le tabac est toujours blond.

Comme Didi fume beaucoup, Brigitte a pensé que la version bijuli avec filtre serait peut-être moins nocive. Elle a donc commencé à acheter des khukuri, dont le paquet exhibe fièrement deux couteaux Gurkhas à qui il a emprunté le nom.

Dazu a protesté « 100 roupies le paquet, c’est trop cher ! » puis il y a pris goût et Brigitte n’achète plus que celles-ci. La troisième catégorie de cigarettes est nommée surya ce qui signifie « soleil ». C’est le grand luxe à 300 roupies le paquet. Ce sont des khukuri mais dans le filtre il y a une petite capsule d’arôme de menthe qu’il faut percer en exerçant une pression entre deux doigts. Personne n’en achète sauf le fils de notre didi Magar qui trouve que cela fait chic.

Vertueuse gourmandise

Avant de partir vagabonder, Brigitte fait une pause à Lochabang pour aider Didi à dénoyauter des kilos de bira-sourio. Elles « travaillent-mangent » bien car si l’objectif est de récupérer les noyaux elles se régalent de la pulpe de ces petits fruits. Selon Didi, le pressage des noyaux donnera deux manas d’huile.

Brigitte file ensuite faire le topo du chemin qui va de Chinkhet au verrou du lac Syarpu par la rive droite. Au départ, l’itinéraire est commun avec celui de la rive gauche mais, avant le passage du gué, il bifurque sur une piste qui longe le pied de la colline dominée par Neta Pokhara et Banphikot. Sur cette piste, la nature a un peu repris ses droits. Le large chemin remonte, en rive droite de la Syarpu Khola, le magnifique vallon de rizières.

Du béton au milieu du vallon

A mi-chemin du verrou, au milieu d’un petit groupe de maisons, une sente monte sur la gauche pour rejoindre la piste de Banphikot. Les habitants du hameau accueillent Brigitte chaleureusement. Après la halte-discussion obligatoire, elle continue dans le vallon et quitte la zone vert tendre des rizières pour pénétrer dans un univers plus aride et ocre dominé par une importante structure en béton traversant le vallon de part en part mais ne retenant aucune masse d’eau. Le cours de la rivière est parsemé de petits murs en béton probablement destinés à briser les flots venant du lac Syarpu en temps de mousson.

Aménagements sur la Syarpu Khola

Des piliers en béton soutiennent ce qui pourrait être un aqueduc qui traverse le vallon et se perd sur la rive gauche. Il est normalement interdit d’emprunter le large mur du barrage vide : des barbelés en interdisent l’accès. Cependant, il est couvert d’une joyeuse foule d’enfants plus ou moins jeunes qui le franchissent en courant avec une grande agilité pour se baigner d’un côté ou de l’autre.

Du côté opposé de la structure en béton, un chemin bien tracé remonte très haut vers la piste que Brigitte a empruntée avant-hier pour passer au-dessus du verrou du lac rive gauche.

Hors sentier

De ce côté du barrage, se trouve un joli petit moulin où des didis se sont réunies pour faire la farine. Rive droite, le chemin se perd. Brigitte remonte hors sentier dans un terrain raide et broussailleux, rejoint une piste assez belle qui l’amène sous le porche bleu d’entrée du lac Syarpu. Elle ne sait pas d’où vient cette piste.

Ayant traversé le village qu’elle a baptisé « Syarpu rivage », elle ne résiste pas à revenir par la croupe rive gauche pour profiter une nouvelle fois de cette crête dominant d’un côté le vallon vert tendre de rizières remontant vers le lac Syarpu et de l’autre côté le vaste lit de la Sani Bheri River. Elle se promet de montrer à Laurent cet itinéraire magnifique.

Un océan de rizières

Au retour, elle s’arrête à Lochabang pour boire le thé et discuter de la journée des uns et des autres.

Rizière dévastée

Elle apprend que le poteau électrique a été réparé. Dans la matinée, en descendant à Lochabang pour retrouver Didi, Laurent a assisté à l’effondrement du mur d’une terrasse qui avait été reconstruit quelques semaines plus tôt, juste de l’autre côté de la vallée, en dessous du village de Sandan Bura. En quelques secondes, l’eau de la rizière éventrée s’est engouffrée dans la brèche.

Tous les habitants du village de Sandan Bura sont venus pour observer les dégats mais pour l’instant il semble hors de question de réparer. Que va devenir la récolte ?

Pendant que Didi préparait le dal bhat, Laurent a empilé du daoura, du petit bois, à côté de la maison. L’électricité n’est revenue qu’en début d’après-midi alors que Didi rentrait de Cherakhet après avoir « livré » le repas à Dazu et à ses aides laboureurs. A peine arrivée, elle s’est effondrée devant la télévision à l’abri du déluge et de la fournaise. Un vrai temps de mousson !

Chaleur accablante

Après avoir chargé le téléphone portable, Laurent a profité d’une accalmie pour remonter à Horlabot. Ne supportant pas la chaleur, il commence à se demander s’il ne ferait pas mieux de se déplacer uniquement quand il pleut !

Il n’a pas le courage de monter à Banphikot. Ce soir, le rituel de la lecture des messages du jour n’aura donc pas lieu. Après une sieste sous le toit martelé par les énormes gouttes de pluie, Laurent prépare le dal bhat. Le feu est récalcitrant car le vent contrarie l’évacuation des fumées qui sont recrachées à l’intérieur de la maison. Quand Brigitte rentre trempée de son escapade du jour, le dal bhat est prêt.

Chaque petit geste du quotidien est accompagné d’une part d’incertitude qui ne laisse aucune place à la routine rendant ces rituels, qui n’en sont donc pas vraiment, extrêmement plaisants à vivre.

2 commentaires sur “Délicieux travail”

  1. Délicieux texte qui nous transporte dans un pays où les habitants vivent au rythme des saisons plongés dans un quotidien bercé d’incertitudes. Un quotidien qu’ils n’ont pas choisi mais qui leur donne le goût d’une vie simple à hauteur de l’humain.
    Puissent-ils, sans tomber dans la nostalgie du temps ancien, ne pas se retrouver happés par une société de consommation marchande futile qui les obligerait à ne plus vivre en harmonie avec la nature.

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