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Le papier Lokta

Dimanche 7 juin 2020, 5h00. Brigitte se réveille au paradis mais avec un violent mal de cou. Elle a peut-être un peu trop pioché le charmilo. L’oiseau lui crie : « Va visiter la fabrique de papier Lokta avant la mousson ».

Laurent va mieux mais il fait vraiment trop chaud pour lui. Pour Brigitte, c’est le rêve : ici, elle n’a jamais froid!

Du haut de Germa depuis la crête qui mène à Chinkhet, elle a repéré, juste après le poste de police, une fabrique de papier Lokta en plein champ. Vu du haut, le spectacle de tous ces cadres blancs de pâte à papier inclinés à 45 degrés sur le champ vert est magnifique. Ils étincellent au soleil!

Brigitte décide d’y aller même si elle doit franchir un poste de police avec lequel elle n’a pas encore fraternisé. Arrivée à ce poste, elle explique qu’elle voudrait visiter la manufacture de papier. Le policier est très souriant et bienveillant, il a même l’air content qu’elle s’intéresse au papier Lokta.

La fabrique de papier en plein champ est la même que celle qu’elle avait découverte par hasard lorsque nous étions allés à pied de Lukla à Jiri. Cependant, ici le papier est du vrai papier Lokta et non du papier de fibres de maïs ou riz. Le propriétaire lui montre avec fierté les stocks d’écorces qu’il conserve précieusement dans une pièce de sa maison.

Le stock d’écorce de Lokta

Un arbuste himalayen

Depuis des millénaires, le papier Lokta est fabriqué à partir de l’écorce d’un arbuste de quatre mètres de haut maximum, connu sous les noms plus savants de Daphne cannabina ou Daphne papyracea, qui pousse dans le piémont himalayen entre mille et trois mille mètres d’altitude.

Lors de notre trajet de Sulichaur à Lochabang, en traversant les forêts magnifiques de la crête des trois sœurs, nous avons vu des arbustes Lokta ornés de belles fleurs odorantes blanches légèrement rosées. C’était la première fois que nous en voyions ou peut-être simplement les identifions. Cette année nous découvrons tellement de choses qui nous ont échappé lors de nos nombreux précédents séjours. Transhumer avec un amoureux du pays évite de passer à côté de l’essentiel d’un lieu.

Durabilité exceptionnelle

Le papier Lokta est réputé pour sa texture spéciale et sa résistance exceptionnelle au temps, à la déchirure, à l’humidité, aux insectes et aux moisissures. Les plus anciens manuscrits des textes religieux hindous et bouddhistes, des édits royaux et des textes législatifs ont été réalisés sur ce papier traditionnel fait à la main.

Les qualités de ce papier le rendent polyvalent. Il est par exemple utilisé comme papier d’emballage car il permet de conserver la puissance de l’encens, des épices et des plantes médicinales mais aussi pour imprimer les menus de certains restaurants. De nombreux documents officiels sont encore aujourd’hui imprimés sur du papier Lokta. Les armoires du Ministère du Tourisme sont remplies de dossiers d’expédition archivés dans des chemises cartonnées en Lokta.

La pulpe extraite des fibres de Lokta

Savoir-faire ancestral

Au Népal, la fabrication, à la main, de papier Lokta est un savoir-faire ancien transmis de génération en génération. L’écorce interne du Lokta est lavée puis bouillie sur un feu de bois. L’écorce ramollie est coupée en petits morceaux et elle est cuite à nouveau. Le papetier pile ensuite cette pâte avec un maillet en bois sur une pierre plate. Cette opération qui dure de longues heures offre au papier sa robustesse et sa souplesse.

Ici, un « mixer » rudimentaire se charge de l’étape de frappe laborieuse au maillet. Après un nouveau passage dans l’eau chaude, la pulpe obtenue est versée sur un tamis entouré d’un cadre en bois sur lequel elle est répartie de façon régulière en agitant doucement le cadre dans un bassin rempli d’eau. Les tamis sont alignés et inclinés à 45 degrés pour sécher à l’air libre. Sous le soleil ardent de Chinkhet, le séchage est très rapide. Au bout d’une heure, les magnifiques feuilles de papier Lokta se détachent très facilement.

Une étape délicate de la fabrication

Artisanat lucratif

Cet artisanat est un moyen pour les communautés villageoises d’assurer leur autonomie. C’était le cas dans la fabrique située entre Lukla et Jiri. Ici à Chinkhet, la fabrication du papier Lokta n’est pas gérée par la communauté. Il s’agit d’une fabrique privée. Le propriétaire et ses employés sont très fiers de leur papier. Il est effectivement d’une qualité remarquable ; Brigitte ne se lasse pas de l’admirer.

Les feuilles de papier Lokta peuvent être colorées à l’aide de pigments naturels issus de plantes et de minéraux qui sont incorporés lors de la préparation de la pâte. Il est également possible d’incruster des fleurs ou des feuilles. Pour en attester, le propriétaire montre sur son téléphone les photos de son papier décoré avant sa commercialisation à Katmandou en produits finis tels carnets, gravures, papiers à lettre.

Les feuilles de papier après séchage

Brigitte préfère nettement le papier brut mais se garde de le dire car pour le propriétaire et les employés, seul le papier incrusté mérite une grande admiration! A quarante roupies la feuille, le papier brut fera le bonheur de nos amies artistes en France.

Le poste de police étant franchi, Brigitte peut prendre pour la première fois la piste qui monte de Chinkhet à Banphikot. Elle en rêvait depuis des jours !

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