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Introduction

West Dhaulagiri - L'épicentre de la révolution maoïste

Fin novembre 2019, de retour du Dolpo, Laurent passait au Department of Tourism pour le debriefing de notre expédition au Mukot Himal. Il fut reçu par Mira Acharya, la directrice de la section montagne, qui lui enjoignit, après les formalités d’usage, de revenir en 2020 pour contribuer au succès de l’opération « Visit Nepal 2020 », tout en lui remettant un petit tableau naïf de l’Everest en guide de carton d’invitation.

Le lendemain, trois amis venus de Suisse et de Haute-Savoie nous rejoignaient à Katmandou pour partir à la découverte des hautes vallées du Langtang et escalader le Ganja La Peak. Ce modeste sommet glaciaire est un magnifique belvédère où la Nepal Mountaineering Association distille des formations pour les futurs guides népalais.

Au Langtang, les conditions hivernales et le mal d’altitude contracté par un de nos compagnons allaient nous contraindre à faire demi-tour au pied du Ganja La Peak. Sur le chemin du retour, juste après Kyangjin Gompa, Brigitte, tête en l’air, fit une mauvaise chute. Ne voulant pas abandonner et renoncer à contempler les lacs de Gosaikund, elle termina au courage, avec une épaule en vrac, les 8 jours de marche à travers l’Helambu. A Katmandou, un orthopédiste de l’hôpital public, auscultant deux patients à la fois, se montra plus intéressé par notre périple au Dolpo que par cette épaule. Néanmoins, il posa rapidement un diagnostic : arrachement des ligaments. Repos forcé.

Le réveil des consciences

Début janvier, nous répondions à l’appel du Collectif Fier-Aravis qui organisait à Thônes une conférence sur les impacts du réchauffement climatique pour mobiliser face à un projet d’aménagement de nos montagnes, digne de la folie des années 1970, passé jusqu’ici inaperçu malgré ses deux Club Med, des hectares de terres agricoles sacrifiées, et des espaces sauvages à jamais défigurés. Ce fût un véritable coup de tonnerre dans nos vallées avec une résonance médiatique qui allait réveiller les consciences et déclencher un soulèvement citoyen d’une ampleur inédite à la veille des élections municipales.

Il était temps de défendre nos valeurs et tenter de mettre fin à l’échelle de notre territoire au développement effréné basé sur le profit à court terme et totalement déconnecté des enjeux climatiques. Nous nous engagions donc dans un combat clivant pour tenter de convaincre que l’option « tout ski » est révolue pour les stations de moyenne montagne, qu’un autre avenir est possible et que la croissance n’est pas une fin en soi.

Une invitation qui bouleverse nos plans

Cette lutte pour une transition responsable occupait nos journées quand un beau matin nous avons reçu un message de Katmandou qui allait bouleverser nos agendas et plus tard notre vie. Zimba et Ang Dati nous invitaient au mariage de leur fils Sonam et de Kalpana. Nous avions l’immense honneur d’être conviés à la cérémonie familiale qui devait se dérouler dans la pure tradition Sherpa. Impossible de refuser une telle proposition, témoignage d’une sincère amitié. Nous avons accepté instinctivement sans nous rendre compte que nous avions à peine un mois devant nous pour organiser notre voyage.

Immédiatement, nous avons ressorti les cartes et réactivé Google Earth pour dessiner un nouvel itinéraire. Nous devions composer avec le calendrier imposé par le mariage et la convalescence de l’épaule encore douloureuse. Encore sous le charme de notre récente traversée de la réserve de Dhorpatan et du Jang La, nous avons décidé de mettre le cap à l’ouest vers un territoire encore plus secret et énigmatique.

Sur les traces de la révolution maoïste

Man Bahadur Khatri a cartographié la zone que nous voulons découvrir et l’a baptisée « West Dhaulagiri ». Elle couvre les districts de Myagdi, du Rolpa, de Jajarkot ou encore du Rukum. Cette vaste région des collines s’étend des contreforts de l’Himalaya jusqu’au plaine du Teraï. Mais peut-on encore parler de collines quand les sommets culminent parfois à plus de 4000m ?

Ces districts évoquent plus des bastions de l’insurrection maoïste que des itinéraires de trekking. Le gouvernement de la jeune République népalaise tenta bien de faire la promotion du Guerrilla Trek. Il fût inauguré en personne par Prachanda, le leader charismatique des rebelles maoïstes. Un nom évoquant la guerre civile et les difficultés d’accès étaient sans doute des freins pour les agences occidentales. Toujours est-il que ce circuit ne rencontra pas le succès qu’il aurait mérité… Pour tout dire, aucun succès !

Un itinéraire au cœur d’une région oubliée

La carte laissait entrevoir un dense réseau de chemins, signe d’une intense vie pastorale et de riches échanges commerciaux avec d’un côté les plaines du Teraï et de l’autre le mythique Dolpo dissimulé derrière une haute dorsale issue du Dhaulagiri. En 1986, dans son livre « Dolpo, le pays caché », Eric Valli levait le voile sur cette contrée hors du temps. Paradoxalement, le Dolpo était alors bien plus accessible que le Rukum à la faveur de plusieurs aérodromes qui avait désenclavé ces hautes vallées. Le Rukum restera encore coupé du monde jusqu’en 2003. Au beau milieu de la guerre civile, l’armée allait construire une route pour relier sa capitale Musikot au reste du pays.

Pour avoir déjà expérimenté l’atterrissage scabreux à Juphal sur un champ en dévers, nous ne souhaitions pas revivre une attente de plusieurs jours à Nepalganj dans l’espoir d’une météo propice à un vol à haut risque. De plus, après avoir perdu la porte de notre avion au décollage à Suketar, plongé sur Lukla au milieu des nuages avant l’ère des instruments de guidage, nous pensons désormais avoir épuisé nos points de vie.

Nous avons surtout la chance d’avoir plus de temps. C’est pourquoi, nous avons désormais décidé d’ajouter une nouvelle contrainte à nos projets népalais: un accès terrestre aux points de départ et d’arrivée de nos treks, de préférence en bus local ou à pied.

Le destin frappe à notre porte

La carte « West Dhaulagiri » indiquait plusieurs cols praticables au-delà du Jang La et un massif oublié au sud de Jumla. Tori Dwari Bhanjyang, Kulda Bhanjyang, Chakhure Lekh, Thakurje Lekh. Tous ces noms ramenaient invariablement au site de l’agence Western Nepal Trekking créée par Man Bahadur Khatri, l’auteur de la carte. L’absence totale d’infrastructure dans cette région oubliée par le tourisme imposait une contrainte supplémentaire: nous devions jalonner notre itinéraire d’étapes qui nous garantiraient le ravitaillement en nourriture et en kérosène. Rapidement germait l’idée d’une large boucle partant du sud pour rallier Musikot, Jumla, Dunai puis Burtibang. Au total, une quarantaine de jours de marche dans le piémont himalayen.

Encore fallait-il valider tout cela avec Namgyal, un autre fils de Zimba, qui a repris les rênes de l’agence familiale Khumbila. Nous avions eu écho du soutien de la Fondation Khumbila pour la réalisation de la carte « West Dhaulagiri ». En revanche, nous ne savions pas encore que Man travaillait depuis quelque temps avec Namgyal et avait géré la nouvelle lodge ouverte par Zimba au pied du Mera Peak.

Il ne fallut donc pas longtemps pour obtenir l’avis de Man sur notre projet. De son propre aveu, il bascula entre stupéfaction et incrédulité en découvrant le tracé sur Google Earth que nous lui avions soumis. Pour lui, il s’agissait d’une opportunité unique d’explorer de nouveaux coins perdus de sa région natale et de cœur. Sans hésiter, il accepta de nous guider sur « ses » chemins. Le destin venait de mettre sur notre route une personnalité rare.

Une épidémie naissante aux frontières du Népal

Fin janvier, notre programme était bouclé. L’affaire semblait bien engagée. C’était sans compter sur l’épidémie qui commençait à prendre de l’ampleur en Chine. Le 23 janvier, l’Empire du Milieu verrouillait strictement la province de Wuhan. Le lendemain, le Ministère de la Santé confirmait le premier cas de coronavirus sur le sol népalais : un étudiant rentré de Wuhan quelques jours auparavant avec de sérieux symptômes respiratoires. On prenait encore mal la mesure de l’épidémie. La France commençait à rapatrier nos compatriotes confinés en Chine. Elle était néanmoins le dernier pays de l’espace Schengen à émettre des visas pour les voyageurs en provenance de ce pays dont les ressortissants étaient maintenant regardés comme des pestiférés, même s’ils résidaient à l’étranger depuis longtemps, voire même depuis leur naissance !

On ne recensait encore que quelques cas isolés, quand un premier foyer de contamination fût identifié aux Contamines-Montjoie en Haute-Savoie. La menace se rapprochait de nous. Namgyal nous tenait au courant des mesures préventives prises très tôt par le Népal. Rassurés, nous avons acheté nos billets d’avion. Peu après, le virus fit sa première victime en France. Le 25 février, La Balme-de-Sillingy annonçait un premier cas de coronavirus. Ce village, situé à quelques kilomètres de chez nous, allait bientôt devenir un des premiers foyer épidémique. La nasse se refermait sur nous. L’épidémie frappait déjà sévèrement l’Italie mais il n’était pas question d’interdire le déplacement à Lyon des supporters turinois pour un match de football !

Enfin le départ

Finalement, c’est presque avec soulagement que nous sommes partis à Roissy pour nous envoler vers Katmandou avec quelques masques en poche fournis par une amie infirmière. Ce sentiment était mêlé d’une certaine inquiétude pour les proches que nous laissions derrière nous. Un peu comme si nous les abandonnions.

Une ambiance étrange régnait dans le terminal de l’aéroport. Le masque n’était pas encore obligatoire. Quelques panneaux recommandaient seulement son port lors du retour des zones à risque, à savoir la Chine et le nord de l’Italie. Paradoxalement, on pouvait croiser des regards suspicieux à l’approche de voyageurs asiatiques qui eux étaient masqués. Alors que la distanciation n’était pas encore devenue la rengaine anti-sociale de l’année, les gens s’écartaient instinctivement les uns des autres. Nous étions pourtant tous volontaires pour nous confiner pendant quelques heures dans la carlingue d’un avion où nous allions respirer le même air pressurisé que de parfaits inconnus.

Après cinq heures d’apnée, nous avons repris notre souffle lors du rituel transit à Doha dans un aérogare déserté. Nous pouvions voir en un coup d’œil sur les panneaux d’affichage tous les vols de la journée. Du jamais vu, signe d’un trafic aérien déjà au ralenti. Après six heures d’attente, nous avons embarqué à bord du vol QR650 à destination du Népal, notre terre d’adoption.

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