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De Likhabang à Melchaur

Dimanche 3 mai. Réveil 6h00. L’oiseau du paradis doit se demander pourquoi les volets d’Horlabot restent clos. Le temps a changé au cours de la nuit : le village Likhabang est enveloppé par une épaisse brume.

La charmante didi qui nous accueille a cuit des rotis pour le petit déjeuner et préparé les succulentes graines de bhang pilées. Elle a préparé douze rotis supplémentaires garnis ce condiment épicé dont nous raffolons et elle nous les offre pour notre repas de midi.

Comme il en a pris l’habitude, Man fixe le prix de notre séjour. Ce montant dérisoire mais juste selon notre ami surprend notre didi qui n’attendait rien en retour de son hospitalité. Elle l’accepte avec une joie contenue et sincère.

En compagnie de notre famille d’accueil

C’est vraiment à contre cœur que nous quittons cette famille si sympathique et gaie !

Au milieu des brumes matinales

Le fils de la didi nous accompagne quelques minutes pour nous indiquer le sentier qui part en direction du fond de la vallée. Après avoir traversé le petit hameau de Paribang, nous descendons vers un torrent et y trouvons un vieux moulin délabré, visiblement abandonné.

Le chemin continue en traversée ascendante de l’autre côté de la rivière en direction du village de Dhabling. Brigitte est partie en éclaireur, ravie de découvrir de nouveaux horizons. A un embranchement, elle s’égare, comme toujours attirée par les hauteurs au lieu de suivre les lignes de niveau. Des jeunes la rattrapent pour la ramener au village où Man et Laurent la cherchent. Nous discutons longuement avec les didis de ce village entourés par une multitude d’enfants. Notre visite éveille la curiosité des petits et des grands. Nous ne percevons aucune crainte, comme si la psychose du virus n’était pas parvenue jusqu’ici.

Brigitte et ses « sauveurs »

Nous repartons par un beau chemin en montagnes russes, le fameux « plat népalais », une expression dont s’amuse tous les guides de trekking en voyant leurs « members » s’épuiser sur des étapes soit disant sans montée. Bientôt, nous arrivons sur une immense prairie plate.

Bampu, un alpage convoité

Nous avons atteint l’alpage de Bampu qui n’est habité que pendant la mousson car sinon il n’y a pas d’eau. Pendant la guérilla, cette immense plaine fut un centre d’entraînement des combattants maoïstes. Difficile à imaginer tant la configuration des lieux ne semble pas se prêter à des opérations militaires. Nous finissons néanmoins par dénicher quelques tranchées dans lesquelles les recrues pouvaient se dissimuler.

Nous faisons une halte, couchés sur l’herbe de cette plaine et imaginant ce qui a pu s’y passer avant qu’elle ne retrouve sa sérénité et profitons de cette paix silencieuse, pour savourer le délicieux kaja préparé tout exprès pour nous par Didi Sandra. Man nous confie que cet alpage est convoité par des investisseurs locaux qui voudraient le transformer en aérodrome.

L’alpage de Bampu

Le brouillard s’est dispersé. Nous apercevons maintenant la colline parsemée de fermes d’alpage. Une large piste sépare le village de la prairie qu’il domine. Elle vient du col de Naduwa que nous voyons plus loin en contrebas et grimpe en direction du Sisne qui reste malheureusement masqué par la crête au-dessus de nous.

Le col de Naduwa

Nous repartons en nous promettant de revenir ici en passant par Gipsing, le village natal éblouissant de lumière de la bru de notre hôtesse de Likhabang. Après trois kilomètres de descente en suivant la piste et sans croiser le moindre véhicule, nous découvrons le col de Naduwa bordé de shops en tôle très laids. C’est un lieu sans charme comme le sont souvent les cols routiers. Ce point de passage est néanmoins stratégique car il permet aux véhicules d’atteindre Rhadijhula depuis Chinkhet via Magma. A n’en pas douter, cet itinéraire deviendra l’accès privilégié pour se rendre au Dolpo depuis la capitale du West Rukum.

Sans nous attarder au col de Naduwa (2151m), nous remontons la crête opposée en direction d’un autre alpage de mousson, celui de Pokhari. Nous nous arrêtons à la seule maison que nous trouvons au bord du chemin pour demander de l’eau car il fait très chaud bien que le temps soit très nuageux. Les gens nous en offrent bien qu’ils soient obligés d’aller la chercher en bas au col de Naduwa tant que la mousson n’a pas commencé. Nous sommes un peu honteux lorsque nous apprenons cela mais c’est trop tard, ils nous ont déjà donné l’eau et nous ne l’aurions jamais su si nous n’avions pas demandé pourquoi ils la stockent dans une sorte de grand tonneau !

Dernière maison avant Pokhari

Pokhari

Après une petite traversée sur la gauche, nous arrivons à Pokhari (2400m), un immense alpage à l’habitat dispersé perché sur la crête. Contrairement à ce que pensait Man, bien que la mousson n’ait pas commencé, une maison de l’alpage est déjà habitée et les gens s’affairent à cultiver les pommes de terre.

Etant donné le nom des lieux, nous nous attendions à trouver ici un beau lac mais ce sera finalement à proximité d’une grosse flaque boueuse que nous ferons notre pause déjeuner. L’eau potable est ici un vrai souci pour les habitants qui doivent descendre la chercher au village de Kalti, 200m plus bas. Le gouvernement a un projet de pompe solaire pour amener l’eau à Pokhari en dehors de la saison de mousson.

Pokhari et son « lac »

Une zone stratégique pour les maoïstes

Au moment de la guérilla, non loin d’ici, il y avait à Mourakhara une sorte de ferme modèle avec des animaux et des cultures où vivaient des combattants et combattantes maoïstes. Des garderies d’enfants y avaient été installées et hommes et femmes travaillaient de façon égalitaire se partageant toutes les taches sans discrimination de sexe.

Il y avait aussi dans cette zone plusieurs fabriques d’armes. Nous avions prévu de visiter les vestiges de l’une d’entre elles avec un ami de Man mais hélas ce dernier n’a pas pu venir nous rejoindre au moment de notre périple.

Au-delà de la frontière

Nous nous asseyons donc pour grignoter du kaja et savourer les rotis garnis de graines de bhang de la didi de Likhabang au bord de la grande marre de Pokhari où des buffalos gardés par un baje (grand-père) et ses deux petits-fils boivent une eau très sale. Les deux jeunes garçons restent avec nous après le départ de leur grand-père pour nous faire une démonstration joyeuse de lutte et d’acrobaties. Ils sont insouciants et libres.

Nous avons pour projet d’atteindre Melchaur en parcourant une arête qui délimite la frontière de la municipalité rurale de Banphikot. Ce parcours qui nous permet de rester dans notre périmètre autorisé devrait nous réserver de magnifiques points de vue mais nous devons trouver de l’eau.

Le repas de midi terminé, Man et Brigitte descendent donc vers Kalti pour s’en procurer et pour trouver un hébergement pour la nuit. Hélas, les habitants de Kalti ne doivent pas écouter Radio Sanibheri. Ils se montrent même très agressifs vis-à-vis de Man qu’ils prennent pour un Indien et ils nous reprochent, à raison, d’avoir légèrement outrepassé la limite de notre sauf-conduit. Après deux heures de palabre, les relations sont moins tendues mais pas encore suffisamment cordiales pour envisager de dormir ici.

Changement de plan

Brigitte et Man remontent donc retrouver Laurent qui les attend à Pokhari avec tous les sacs à dos. Comme il est encore tôt, nous choisissons de continuer notre chemin jusqu’à Melchaur. Cependant, il est maintenant trop tard pour s’engager sur l’arête et c’est à regret que nous prenons un autre chemin indiqué sur la carte dont nous devinons du regard la trace qui serpente au milieu des pentes boisées.

Nous descendons vers le fond de la vallée en faisant un petit crochet à gauche pour éviter de retraverser le village inhospitalier de Kalti et entamons alors une longue traversée au milieu d’une végétation très dense. Nous finissons par rejoindre une piste qui n’existait pas encore quand Man a publié la carte de la région.

Cette piste nous permet de franchir un col et de descendre doucement en direction d’un magnifique village posé sur un replat au sommet d’une arête effilée. Bientôt, nous apercevons Melchaur qui est une bourgade plus importante dont les maisons parsèment tout le flanc de la montagne.

Au loin le Trisul et le Thuma Lek

Melchaur

Nous quittons la piste pour monter légèrement côté gauche, vers une petite enfilade de maisons qui dominent la piste. La première maison est celle de Man Bahadur ! Décidément, il y a beaucoup d’homonymes. Man y a déjà dormi et se souvient que la didi, assez jeune, était très gaie. Man Bahadur nous accueille et nous montre « notre chambre » qui est toute encombrée de petit pois récoltés le matin. L’homme se montre assez froid. Sa femme travaille aux champs pour l’instant ce qui explique peut-être pourquoi il ne nous offre ni mohi, ni thé.

Nous laissons nos sacs et continuons la piste en direction du col qui permet de basculer sur Duli et la vallée de Lochabang. Man a le souvenir nostalgique d’un joli lac vert émeraude bordé d’un petit temple jaune. Déception, le joyau est devenu une gouille boueuse suite à des travaux sur la piste : seul subsiste le joli temple jaune qui parait minuscule au milieu de ce chantier de travaux publics.

Un joyau dévasté

Liberté étendue

Depuis le col, nous remontons la crête plus ou moins rocheuse qui mène sur les hauteurs du village de Melchaur. En descendant, nous faisons une halte pour saluer le chef du village qui nous accueille chaleureusement. Sa maison est juste au-dessus de celle de nos hôtes, heureusement car la nuit tombe!

Le chef du village a eu une tumeur du cerveau : au cours de son combat contre la maladie à l’hôpital de Katmandou, il a perdu un œil et a des séquelles sur le visage mais il nous dit être très heureux d’en être sorti gagnant ! Il a beaucoup d’humour et nous dit se réjouir de la pandémie qui lui permet de porter un masque pour dissimuler sa figure meurtrie.

Il nous écrit une lettre nous autorisant à circuler dans la municipalité rurale de Sani Bheri où nous sommes entrés « illégalement » depuis Pokhari. Notre périmètre de liberté vient d’être multiplié par deux !

Dormir au milieu des petits pois

Nous redescendons de nuit à notre maison d’accueil guidés par le fils du chef du village. La didi est rentrée et a fait de la place dans notre chambre en serrant les petits pois contre le mur. Comme nous sommes à l’étage, nous pouvons installer notre tapis de sol en mousse sur un plancher et non sur la terre battue. Nous apprécions ce privilège à sa juste valeur.

Nous nous installons dans la cuisine où le mari égraine les pieds de lentilles et le fils prépare le tarkari. Man se demande pourquoi la didi dont il avait un souvenir si joyeux semble maintenant si triste et si fatiguée. Est-elle malade ?

Manger avec les mains devient une habitude d’autant plus que l’excellent dal bhat est bien moins chaud que notre dhido d’hier.

Nous nous couchons sur le plancher de notre chambre, au milieu des petits pois. Ceci ravit Brigitte qui le dit avec enthousiasme à Laurent qui n’avait jamais jusque-là envisagé le bonheur sous cet angle !

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