Mercredi 17 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis où il fait une chaleur d’enfer pour Laurent. L’oiseau crie « Laurent doit rester paisible et toi Brigitte, tu explores tant que la pourriture se cantonne à ton bras ».
Aujourd’hui, Brigitte a décidé de cheminer sur la piste qui relie Magma à Bargaon et qu’elle observe depuis des jours.
Solidarité féminine
A Magma d’en bas, un homme qu’elle imagine expatrié et revenu au village pour le confinement fait semblant de travailler dans un champ de maïs. En fait, seule sa femme travaille. Il interpelle Brigitte en bon anglais de façon brutale: « Pourquoi ne travailles-tu pas au lieu de te promener ? ». Agacée, elle lui répond instinctivement: « Je travaille bien autant que toi et je ne me promène que lorsqu’il n’y a pas de travaux agricoles à Lochabang. Travaillerais-tu si tu étais confiné en France ? Il me semble qu’ici tu ne fais déjà pas grand chose ! ».
Immédiatement, des didis qui connaissent déjà bien Brigitte prennent sa défense. Même la femme de l’agresseur verbal prend le parti de cette vagabonde étrangère qu’elle a apprivoisée. Ici, tout le monde sait que nous aidons Didi et Dazu autant que nous le pouvons. Face à cette adversité féminine, le type rentre chez lui. Lors des prochains passages de Brigitte, il sera très aimable !
Une nouvelle famille
Brigitte abandonne un instant son projet du jour et ignore la piste qu’elle imagine être celle de Bargaon pour suivre les didis qui viennent de prendre sa défense et poursuivent maintenant leur chemin en direction de Magma d’en haut. Elle se fait le plaisir d’un bout de chemin avec elles jusqu’à l’intersection d’où part la piste de Dhuli, à mi-chemin entre Magma d’en bas et Magma d’en haut. A ce croisement, sur la gauche, se trouvent successivement une petite épicerie, un magnifique atelier de tailleurs, large, très lumineux avec plusieurs machines à coudre puis une autre petite échoppe alimentaire, légèrement plus bas sur la piste de Dhuli.
Les didis s’arrêtent au dernier shop et racontent à la femme et à l’homme qui le tiennent ce qui vient de se passer entre Brigitte et ce type mal aimable. Ces derniers lui offre alors une petite brique en carton de jus de mangue. Elle n’en revient pas! Avec les quelques mots d’anglais de l’homme, ses trois mots de népalais, de nombreuses mimiques, Brigitte comprend immédiatement qu’ils seront sa petite sœur et son petit frère, sa bahini et son dai, de Magma. Effectivement, elle pourra toujours compter sur eux. En quelques minutes, sa rébellion face aux provocations agressives de l’oisif expatrié et l’intervention de ses « sauveuses » viennent de lui offrir une bien belle rencontre.
Un cahier pour passeport
Les enfants regardent le cahier où elle essaie de tracer les chemins, ils s’en emparent, s’assoient en cercle et discutent, ça a l’air de leur plaire ! Il n’en fallait pas plus pour que Brigitte trouve enfin un sens à ses croquis topographiques approximatifs.
Elle redescend à l’endroit où elle imagine qu’une piste part vers Bargaon. Effectivement, la piste existe, elle longe le pied de la colline couverte de jungle au-dessus de laquelle se situe Magma-d’en-haut, contourne une arête, et se dirige vers un large vallon au fond duquel un gué permet de franchir la rivière. Quelques mètres en contrebas, un long pont suspendu traverse le vallon. Il semble disproportionné par rapport au filet d’eau qui s’écoule en dessous de lui. Brigitte en comprendra toute l’utilité plus tard lorsque la mousson battra son plein.
Entre le pont et le gué, se trouvent deux magnifiques petits moulins. Le paysage est aussi charmant que « la petite maison au milieu de la prairie » mais version « les petits mills au fond de la vallée ». Leur accès n’est pas aisé du tout mais beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants lourdement chargés de sacs de grains s’y rendent avec agilité.
La fraîcheur des gués
Depuis le virage qui permet de franchir l’arête de la colline de jungle qui monte à Magma-d’en-haut jusqu’au gué du fond du vallon, l’itinéraire est parsemé de glissements de terrains impressionnants qui descendent des pentes abruptes depuis le haut de la colline… Il ne faut surtout pas passer ici par temps de pluie!
Comme tout le monde, Brigitte choisit l’option du gué qui est un plaisir rafraîchissant pour les pieds équipés de chapals. Beaucoup d’enfants jouent dans l’eau du ruisseau, ils s’emparent du « cahier de chemins » de Brigitte et le commentent. Cela devient maintenant une habitude.
Après le gué, la piste devient plus « humaine » et monte tranquillement vers une arête derrière laquelle se profile Bargaon. A partir de cette arête, la piste surplombe la vallée et offre une vue plongeante sur Cherakhet et un vaste panorama sur les pentes et les sommets qui dominent Jhula. L’atmosphère un peu brumeuse donne une impression de flou artistique aux crêtes.
Un célibat assumé
Dans Bargaon, Brigitte passe devant la boutique de Man Kumari qui n’est hélas pas là. Man Kumari, tout comme son aînée Dila, la sœur du professeur de Man à Germa, est célibataire. Comme toutes deux sont très belles, il est aisé de deviner que leur célibat n’est pas dû à un manque de soupirants.
Brigitte ne veut pas être indiscrète et ne pose aucune question à ce sujet. Elle se dit simplement que pour une femme, au Népal, être célibataire est très certainement difficile à assumer encore actuellement. Pour Dila et dans une moindre mesure pour Man Kumari qui est plus jeune qu’elle, cela révèle une grande force de caractère. Brigitte s’étonne cependant que notre ami Man Bahadur qui milite pour l’égalité hommes-femmes ne puisse s’empêcher de s’inquiéter du célibat de son amie Man Kumari. Il lui est difficile de pouvoir imaginer, parmi les raisons envisageables, que ce puisse être un choix.
Didi étincelante
Détour par Neta Bazar où a lieu la rituelle partie de volleyball soit masculine soit féminine mais jamais mixte! L’honnêteté oblige Brigitte à reconnaître que les hommes jouent très bien, plutôt mieux que les femmes. A la décharge des femmes, elles sont parfois entravées dans des vêtements peu adaptés au sport et semblent en débuter la pratique. C’est un homme qui les entraîne.
Les joueurs défoncent régulièrement les étals des boutiques alentour en smatchant mais cela ne fâche personne.
Brigitte rentre à Lochabang en passant par Germa et Chinkhet. A Lochabang, elle retrouve Dazu épuisé par le labourage des rizières avec ses deux bœufs rétifs. Il prévoit encore cinq jours de travail pour finir la mise en état de ses rizières. Didi Sandra a libéré ses cheveux tout frisés qu’elle vient de laver et d’enduire d’une huile noire. Elle est magnifique !
Merveilleux voisins
Les plus proches voisins de Didi et Dazu sont très sympathiques et forment un couple attachant. La femme a beaucoup de charisme. C’est une « grande gueule » qui n’hésite jamais à aller au combat pour défendre ses droits et lutter contre les injustices. Son mari est plus réservé. Nous le surnommons affectueusement « Army » car il arbore souvent un marcel noir floqué de ce mot. Il affiche fièrement son engagement dans l’armée qui explique ses absences prolongées régulières. Nous ne découvrirons que bien plus tard qu’il est le frère de « Bulldozer ».
Ils ont deux enfants, un garçon d’une dizaine d’années et une très petite fille qui s’appelle Oniu. Cette dernière est aussi menue et gracile qu’une statue en porcelaine. Dès qu’on la voit, on a envie de la prendre dans ses bras pour la protéger. En fait, elle ne doit pas être si fragile que cela. Elle joue souvent avec Jessica qui est plus grande qu’elle mais ne semble pas se laisser faire. Aurait-elle hérité du caractère bien trempé de sa maman ? Nous adorons cette famille.
Jouets ingénieux
Aujourd’hui, Oniu joue avec une branche à laquelle Deepak, fils de l’oncle de Man et de l’une de ses deux si belles femmes, a adjoint deux roues en bois et qu’elle a réussi à lui « emprunter ». Ce type d’engin est parfois rencontré le long des chemins, poussé par des enfants qui, comme Deepak, les ont imaginés et fabriqués pour transporter leurs bidons d’eau.
Certains de ces chariots à roulettes sont vraiment remarquablement pensés pour éviter le chavirement ou (et) transporter deux bidons à la fois. Quel émerveillement de rencontrer des enfants aussi ingénieux toujours prêts à détailler leur invention.
Docteur Brigitte
Aujourd’hui Deepak, s’est gravement ouvert le talon en glissant sur une pierre. Didi Sandra a demandé à Laurent de le soigner mais il s’en est senti bien incapable et a dit d’attendre le retour de Docteur Brigitte.
Brigitte demande à Deepak de rester tranquillement assis à Lochabang pendant qu’elle monte chercher de quoi le soigner dans notre trousse de secours mais celui-ci insiste pour monter avec elle à Horlabot pour lui éviter l’aller-retour. Malgré la douleur, il ne se dépare pas de son magnifique sourire, quel enfant merveilleux !
Même pas mal !
Brigitte ne se sent guère plus capable que Laurent de soigner cette grosse plaie qui fend tout le talon droit. La coupure est profonde et mériterait sans doute des points de suture. Brigitte désinfecte la blessure en douceur de peur de faire souffrir Deepak qui ne s’autorise même pas une petite grimace, trop content d’être « soigné », et pose un morceau de gaze.
Nous nous demandons comment protéger au mieux la plaie alors que Deepak marche en chapals et doit redescendre à Lochabang… Un morceau de sac plastique et un peu de scotch gris feront l’affaire pour enrubanner le pansement. Deepak semble satisfait du résultat et nous remercie.
Brigitte raccompagne Deepak pour demander à ses parents de l’envoyer au centre de soins de Chinkhet afin qu’il soit recousu et traité aux antibiotiques. Ce sera fait dès le lendemain et Deepak guérira en une dizaine de jours sans cesser de travailler dans les champs.
Sévères infections
Pour conclure le bulletin médical de la journée, les écorchures au bras occasionnées par l’effondrement du chemin et la chute de Brigitte dans une ravine semblent plus graves que prévues. Nous nous sommes focalisés sur le choc violent aux cervicales et avons sans doute négligé ce qui semblait être un problème bénin. Trop heureux du miracle, nous n’y avons pas prêté attention par la suite.
Grave erreur. Les plaies ne guérissent pas aussi facilement dans ce climat humide. Le bras de Brigitte « pourrit » de plus en plus et devient tout chaud. Laurent insiste pour qu’elle prenne des antibiotiques pour éradiquer l’infection mais cette tête de mule de Brigitte repousse une nouvelle fois l’échéance sous prétexte que nous n’avons que trois traitements et qu’ils seront peut-être plus utiles à autre chose alors qu’il est possible d’acheter des médicaments à l’officine Chinkhet et sans la moindre ordonnance. A posteriori, Brigitte aurait bien fait d’accompagner Deepak au centre de soin !
Des nouvelles de Man
A Banphikot, Dharma KC a eu des nouvelles de Man et montré à Laurent sur Google Earth où il se trouve en ce moment. Il est encore de notre côté du Sisne car son porteur ne veut plus continuer. Man nous a aussi écrit un message dans ce sens depuis le premier point internet qu’il a trouvé à la descente.
Laurent a bien avancé l’article pour Trek Magazine et l’encadré sur la guérilla maoïste ; il lit à Brigitte ce qu’il a écrit pour correction mais, pour elle, le texte frôlerait la perfection! Est-ce bien objectif ? L’infection doit décidément être sévère se dit Laurent…