Mercredi 10 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis mais Brigitte n’est pas très vaillante. L’oiseau lui crie « du nerf l’exploratrice de vogue, aujourd’hui tu vas à Dhuli ! ».
Dazu monte nous voir. Nous adorons ses visites matinales qui nous permettent de discuter et de partager thé et churot. Dazu ne reste jamais longtemps car il veut couper l’herbe avant les grosses chaleurs.
Laurent vaque à ses nombreuses occupations et donne carte blanche à Brigitte pour l’exploration.
Elle part donc à Magma. Au centre du village, juste après les bureaux de l’administration du village, elle file à gauche munie de ses phrases magiques car à partir de là personne ne la connaît et « la touriste » est effrayante car susceptible de transmettre le coronavirus. Heureusement, la plupart des habitants a écouté radio Sani Bheri !
Mépris du danger
La piste file en descendant légèrement vers une ravine où elle traverse un torrent. Avant la ravine, il y a un grand glissement de terrain assez récent où des hommes, au péril de leur vie, extraient en pleine pente instable avec des barres de fer de gros blocs de rochers qui atterrissent sur la piste et sont récupérés par les casseuses de pierres.
Les « arracheurs de rochers » font une petite pause pour laisser passer Brigitte qui n’est pas du tout rassurée car tout menace de s’effondrer du haut. Les hommes rient, ils n’ont pas peur même quand ils doivent faire un grand saut de côté pour ne pas être broyés par les blocs de rocher qui foncent sur eux après une manœuvre mal contrôlée de leur pied de biche.
Dans la ravine, beaucoup d’enfants jeunes et moins jeunes jouent dans l’eau et sur les rochers qui en émergent. Cet endroit est un lieu d’attraction pour les habitants de Magma. Lors de la mousson, il n’en sera plus de même et Brigitte comprendra alors le rôle du petit pont en bois qui, pour l’instant, est un simple objet de décor.
L’arête de Dhuli
Après le gué, la piste entame une longue traversée ascendante à flanc de pente pour arriver à une arête qu’elle franchit. Sur l’autre versant, Brigitte découvre quelques petites boutiques à gauche le long de la piste. En fait, ce sont juste les dernières maisons d’un village construit en contrebas de cette croupe. Il est maintenant certain que cette arête monte directement du bout de la vallée qui sépare, en bas, les contreforts de Jhula des contreforts de Magma. Voilà un nouveau chemin à explorer pour les jours à venir !
Pour ne pas déflorer l’arête qu’elle prévoit de parcourir sous peu depuis le bas, Brigitte ne remonte pas le petit chemin tentant qui continue son cheminement sur cette dernière après la grosse entaille causée par la piste. Elle emprunte donc la piste qui file sur la gauche, longe d’abord quelques maisons puis rase un petit temple et un gros arbre pipal épargnés par son tracé par miracle ou par respect. Justement, il y a beaucoup de monde aujourd’hui à l’ombre du gros arbre pipal à l’occasion d’une puja. Les gens l’invitent à se joindre à eux sans même qu’elle ait à sortir ses phrases magiques anti-peur du coronavirus. Ils lui offrent du raksi.
Un village très accueillant
Après cette petite halte, elle poursuit la piste, atteint un dernier grand virage pour repartir à droite vers l’entrée du village. Il y a un petit shop sur la droite où plusieurs jeunes hommes et femmes sont rassemblés. Ils sont très accueillants, lui offrent de l’eau. Elle achète une soupe rara car elle a oublié de manger. Après quelques photos, elle poursuit vers le centre du village. Des habitants très chaleureux lui indiquent la montée vers Mainjari, village situé au-dessus de Dhuli que Brigitte avait prévu de visiter aujourd’hui. La piste, quant à elle, va vers un village situé sur une crête d’où il est aisé de rejoindre la piste qui relie Magma à Naduwa.
Brigitte commence à bien se repérer mais le temps nécessaire pour le retour sur Magma par ce nouvel itinéraire est difficile à évaluer car des ravines peuvent être cachées et leur franchissement peut rallonger considérablement le parcours. Par ailleurs, comme l’orage menace vraiment, elle doit faire demi-tour sans visiter Mainjari, ce n’est que partie remise, cela lui donnera l’occasion de revenir à Dhuli par le sentier de la crête.
Sous l’orage
Sur le chemin du retour, des enfants gardent des petites chèvres facétieuses. L’une d’entre elles grimpe dans un arbre et fait une bonne chute, heureusement sans mal, ce qui provoque un fou rire général.
Au retour, juste avant le glissement de terrain, l’orage éclate, intense mais bref. Ceci n’arrête pas le travail des arracheurs de blocs. Ils font juste une pause pour laisser passer Brigitte qui est encore moins rassurée qu’à l’aller. Les casseuses de pierres continuent leur travail abritées sous un petit morceau de bâche tenu par quatre piquets en bois qui sert à la fois de parasol et de parapluie.
De retour à Lochabang, Didi lui demande si elle a trouvé des kafals car il y en a un gros arbre à Dhuli. Brigitte l’a raté, ce sera pour la prochaine fois.
Aujourd’hui, Laurent a aidé Didi aux divers travaux quotidiens : portage d’herbe, épluchage et découpe méticuleuse des aulx et oignons. Il est ensuite monté chercher nos messages à Banphikot. Cette routine quotidienne s’est installée naturellement. Elle lui procure une grande sérénité face aux incertitudes de notre destin.
Éreintés et insouciants
A son retour à Horlabot, Laurent retrouve une équipe de bûcherons qui, sous la chaleur accablante, transportent des troncs coupés dans la pinède et les déposent à l’extrémité de la terrasse sur laquelle repose notre refuge. Ils viennent de terminer la première étape du transport. A partir du bout de la terrasse, ils vont pouvoir laisser glisser les arbres dans la pente… Ils descendent rapidement et bientôt Laurent n’entend plus que leurs rires. Les troncs dévalent la colline. Il vaut mieux ne pas être en dessous !
Nous nous retrouvons à Lochabang pour manger un délicieux dal bhat en famille devant le feuilleton religieux de la télévision. Désormais, Didi et Dazu ne se gênent plus avec nous, on mange en regardant l’écran qui signe peut-être, ici comme ailleurs, la fin de la vie sociale. Man déteste la télévision et lorsqu’il est là, Didi ne la regarde jamais. Heureusement, il y encore très peu de postes et les voisins se réunissent chez les « heureux privilégiés » pour regarder le feuilleton et le commenter. Ainsi la précieuse veillée perdure mais la modernité cathodique s’y est invitée. Nous sommes, tout comme Man, inquiets de la voir s’immiscer dans les foyers du Rukum…