Un jour, en visitant Annecy alors qu’elle passait quelques jours chez nous en compagnie de Zimba, Ang Dati nous confia : « Ce qui est religieux ne peut être que bon ! ». A notre grande surprise, elle entra alors dans l’église Saint-Maurice pour s’y recueillir. Ang Dati ne met aucune barrière entre les confessions. Au-delà des croyances, c’est l’atmosphère qui se dégage des lieux saints qui semble l’attirer.
Dakshin Kali
De retour à Katmandou, après une traversée inachevée entre Mustang et Annapurnas, Damber Gurung notre guide nous emmena visiter son village au-dessus de Pharping sur les hauteurs de la capitale et nous fit découvrir le temple hindouiste de Dakshin Kali quelques kilomètres plus loin. Nous y vîmes les nombreux pélerins qui convergeaient portant un poulet ou traînant une chèvre décorée d’un ruban rouge. Les premiers arrivés faisaient déjà la queue dans les raides escaliers en béton qui descendent vers le lieu de sacrifice. La statue de la déesse Kali baignait dans une flaque de sang.
L’année suivante, juste après être rentrés des célébrations pour le réouverture de Bodnath, Ang Dati, à qui on avait raconté la ferveur incroyable de Dakshin Kali, tint à y retourner avec nous et Tsering. Ils n’y étaient jamais allés. Damber nous attendait sur sa moto au croisement de la route qui monte vers son village, ravi de nous retrouver.
Nous ne nous doutions pas que nous allions arriver sur un site déserté par ses fidèles. Les étals des marchands du temple semblaient comme à l’abandon. Quel contraste avec l’année précédente ! Damber nous expliqua que le samedi est le principal jour des sacrifices et dans une moindre mesure le mardi. En ce dimanche du mois de novembre 2016, le sang ne coulait pas. En revanche, nous pûmes cette fois monter au petit temple de Mata. A notre grande surprise, nos amis bouddhistes se prosternèrent tour à tour devant une petite statue d’une déesse hindoue.
La complexité du panthéon des divinités reste pour nous un mystère. Ang Dati se pose moins de questions. Elle a pris le parti d’adorer tous les dieux hindouistes pour être certaine de ne pas en froisser un. A en croire la légende de Kali, elle a sans doute raison.
La légende de Kali
Kali est une des incarnations formes de la déesse Mère, Mahadevi, à la fois créatrice, destructrice et protectrice. Elle est souvent représentée la peau noire, avec de multiples bras, la langue tirée, avec des crânes portés en couronne ou en guirlande autour du cou, et avec les avant-bras et la tête de ses victimes accrochées à la ceinture. Elle est on ne peut plus terrifiante.
Il y a fort longtemps, les dieux firent appel à Kali la destructrice pour les aider à vaincre un démon dont chaque goutte de sang tombée au sol enfantait un nouveau démon. Lors de la bataille, Kali la protectrice usa de sa langue pour intercepter les gouttes de sang du démon avant qu’elles ne tombent au sol.
Ivre de sang, elle devint folle et se mit à danser avec une telle énergie qu’elle risquait de mettre en péril l’équilibre du monde. Alors pour calmer Kali, Shiva fit sacrifice de son propre corps et se coucha sous les pieds de la déesse pour sauver le monde.
Kali met sa puissance destructrice et sa férocité hors du commun au service du bien. Une dualité que l’on retrouve souvent dans la philosophie hindoue.
Pour les ignorants que nous sommes, le bain de sang des sacrifices semble incongru. Avec ces offrandes, les fidèles pensent étancher la soif sanguinaire de Kali mais n’ont-ils pas peur que la divinité ne se remette à danser ?
Le trait d’union
Chose étrange, Kali « la noire » est souvent représentée en bleu. La coïncidence avec le diable bleu qui s’agitait autour de la Stupa de Bodnath quelques heures avant notre visite de Dakshin Kali devient troublante. Quelques recherches nous apprendrons que cet être bleu est une incarnation de Mahakala, « le grand noir » dans les textes tibétains, dont la représentation masculine ressemble fort à celle de Kali avec sa couronne de crânes. Il est censé protéger les fidèles bouddhistes des dangers et des ennemis.
Nous ne serons guère surpris de découvrir la présence de Mahakala dans les textes hindous. Il y apparaît comme la forme ultime de Shiva, l’époux de Kali.
Mahakala semble donc être un trait d’union entre les philosophies bouddhistes et hindouistes. Ang Dati, qui n’a jamais lu les textes ni fait de recherches à ce sujet, a compris tout cela instinctivement.