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De Garaghat à Horlabot

Retrouvailles familiales à Garaghat

Jeudi 26 mars 2020. Nous nous levons tous tôt pour profiter de ce jour de repos ensoleillé, le premier depuis notre départ de Sulichaur. Rompre de temps en temps le rituel très matinal de « lever du camp » est un véritable plaisir que nous ne boudons pas. Nous en oublions presque le confinement.

Plier le camp rime avec partir à la découverte de nouveaux horizons. Néanmoins, cela implique aussi de nombreuses tâches répétitives. Il faut compresser les duvets afin de les faire tenir dans des sacs en toile minuscules, ranger les affaires sorties du sac le soir, démonter la tente, l’étaler avec son double toit, rouler le tout en appuyant de toutes ses forces pour parvenir, en se cassant les ongles, à la rentrer au chausse pied avec piquets et arceaux dans un sac toujours trop étroit et qui semble rétrécir de jour en jour !

Le prix du danger

A peine réveillés, nous traversons le champ de galets pour atteindre la Sani Bheri où chacun installe sa salle de bain derrière le rocher qui lui semble le plus protecteur des regards. Quel plaisir de se laver et nettoyer ses vêtements en regardant les pêcheurs téméraires lancer leurs filets ! Ni le bon sens, ni nos lointains souvenirs de cours d’optique ne viennent nous rappeler à l’ordre. Si nous les voyons, ils doivent certainement nous apercevoir !

Une fois notre lessive étendue sur les rochers autour de la tente, nous prenons un café en tentant de nous plonger dans la carte du West Dhaulagiri à la recherche d’une variante plus courte pour rejoindre Dunai. Nous n’avons pas encore perdu espoir de pouvoir reprendre notre périple. La luminosité intense du soleil brûlant, dont les rayons sont réfléchis par le papier glacé de la carte, complique cet examen minutieux des courbes de niveau qui se confondent avec le fin trait des chemins. Ces chemins existent-ils vraiment ? Toujours est-il que nous découvrons un itinéraire plus direct. Est-il praticable avec l’épaisse couche de neige que nous avons aperçue depuis la crête au-dessus de Thulo Daha ?

Notre pêcheur téméraire de la Sani Bheri

Alors que nous partons annoncer notre trouvaille à Man, un jeune pêcheur vient nous présenter son butin du matin encore prisonnier des mailles du filet qu’il brandit fièrement. Bhim est ravi de cette livraison à domicile des poissons commandés la veille. Pêcher dans la Sani Bheri est aussi risqué que lucratif. C’est le prix du danger.

Nous montons à Garaghat, juste au-dessus du camp, avec Bhim pour faire quelques achats pour accommoder nos poissons. Nous retrouvons le même policier au checkpoint, assisté aujourd’hui de la cousine de Man, habillée et masquée pour se protéger du coronavirus. Elle vient de Jhula petit village non loin d’ici. Sa mission est de consigner dans un registre le nom de toutes les personnes qui arrivent à Garaghat et qui en sortent.

Emouvantes retrouvailles

De retour au camp, nous voyons arriver un trio féminin multi-générationnel. Elles se dirigent droit sur Man qui semble très ému. La petite fille arrive en courant et se jette dans ses bras. Il s’agit de sa nièce Jessica, la fille de son frère. Man nous explique que sa mère, sa sœur et sa nièce se sont déplacées pour le voir de peur qu’il ne reparte sans pouvoir leur rendre visite. Elles ne l’ont pas vu depuis deux ans et demi. Les retrouvailles sont très émouvantes mais toute en retenue. Ici, la famille est sacrée même si elle est dispersée.

Des retrouvailles émouvantes

Man est enchanté de nous présenter sa maman, Chandra Khola, sa sœur, Bina, et Jessica. Chandra Khola que nous appellerons par erreur Didi « Sandra » pendant de longs mois est une très belle femme avec beaucoup de prestance.

Bina est également superbe. Elle nous apporte des petits pois comme cadeau de bienvenue. Bina semble porter une grande tristesse en elle. Man nous explique que sa fille aînée, Deepa, vit à Paris. Nous rencontrer la rapproche un peu de sa fille.

Jessica est une petite fille de 8 ans pleine de vie qui est folle de joie de retrouver Man. Ses parents se sont séparés alors qu’elle était encore très jeune. Sa maman est partie et ne prend pas de ses nouvelles. Son papa travaille en Corée du Sud et elle ne l’a pas vu depuis 4 ans. Ce sont ses grand-parents qui l’élèvent. Man est un peu son deuxième papa.

Sur le chemin de Lochabang

Après avoir bu le rituel thé, elles refusent notre invitation à partager le poisson de la Sani Bheri car elles sont attendues, sur le chemin du retour, pour prendre leur repas en famille.

Nous espérions de beaux filets de poisson grillé et nous voyons arriver Bhim avec une soupe certes excellente mais presque immangeable tant il y a d’arêtes à extraire des cubes de chair découpés au khukuri. Dommage. Toute l’équipe se régale. C’est bien là l’essentiel.

Après le repas, nous prenons la piste en direction de Chinkhet, pour aller visiter le village de Man. A mi-chemin, nous retrouvons Bina et Jessica qui nous attendent devant la maison de leurs cousins pour nous accompagner à Lochabang qui n’est plus qu’à deux ou trois kilomètres de là.

Terrasses de blé sur les rives de la Sani Bheri

En route, nous découvrons la plaine avec ses terrasses cultivées sur les rives de la Sani Bheri. Un arbre majestueux et tentaculaire barre l’horizon : un pipal tree. Cet arbre est sacré pour les hindouistes. Il l’est peut-être encore plus pour les bouddhistes puisqu’il est dit que c’est sous un pipal tree que Siddhartha Gautama ou Bouddha médita pour atteindre l’illumination.

Un splendide pipal tree

Notre arrivée dans les hameaux provoque des réactions très contrastées. Si certaines personnes sont effrayées à notre vue, la plupart des habitants se montrent beaucoup plus avenants. Man prend le temps d’expliquer à chacun les raisons de notre présence au Rukum.

A Chinkhet, nous quittons la piste et empruntons un grand pont suspendu pour traverser un petit filet d’eau. Nous nous demandons bien pourquoi ce pont a été construit alors que le gué sur la piste est franchissable à pied sec. Nous comprendrons, à l’arrivée de la mousson, la nécessité absolue de ce pont. De l’autre côté du pont, nous retrouvons la piste qui conduit de Chinkhet à Lochabang. Elle longe, en la dominant, la vallée du ruisseau que nous venons de franchir. Nous arrivons rapidement chez les parents de Man qui habitent une maison au bord de la piste.

Le pont suspendu de Chinkhet dont nous ne comprendrons l’utilité que des mois plus tard …

Dazu le magnifique

Man retrouve son papa. Cette fois encore les retrouvailles sont tout en retenue : Man baisse la tête devant son père qui lui pose la main sur le haut du crâne. C’est ici une marque de respect, presque un signe d’allégeance. Auparavant, les personnes en position de soumission devaient même baiser les pieds de la personne dominante !

Tout comme Didi Sandra, le papa de Man deviendra un pilier de notre famille du Rukum. Il sera pour nous Dazu Nanda Bahadur, notre grand frère. Tout comme Didi, il a fort belle allure. Il est très calme et droit comme un i, au propre comme au figuré. On peut y voir l’héritage de la discipline militaire acquise lors de ses vingt années de service dans l’armée indienne.

Dazu examine avec attention notre itinéraire

Comme le veut la coutume locale, à peine arrivés, Didi nous offre une sorte de lassi très clair. Il s’agit de petit lait de buffalo, le dahi. Un vrai délice !

Bienvenue au paradis

Man, qui ne tient jamais en place, insiste pour nous faire faire le tour du propriétaire. Avec Jessica, nous montons un chemin raide en face de la maison qui passe au ras de l’étable, la maison des buffalos de Didi et Dazu, et mène une centaine de mètres plus haut à deux magnifiques maisons inoccupées où Man a passé son enfance. Man est radieux. Il adore cet endroit. Nous sommes à Horlabot, un paradis, qui deviendra notre refuge pendant plus de six mois !

Arrivée au paradis

Jessica qui ne veut déjà plus nous quitter nous fait découvrir des plantes, des baies et des petites fleurs oranges dont on peut sucer le nectar qui serait un remède efficace contre le mal de gorge. En attendant de tester leurs vertus médicinales, nous nous régalons de ces surprenantes et excellentes sucreries. Nous sommes ébahis par les connaissances de cette petite fille qui semble, comme son oncle, être en totale symbiose avec la nature.

Horlabot, notre refuge !

Man tient à nous présenter Dhami, un ami très cher qu’il connaît depuis toujours. En montant jusqu’à la terrasse qui domine les deux maisons de Horlabot, nous le trouvons à un point d’eau le long du chemin. Il prend sa douche, à moitié dévêtu, après une dure journée de travail dans les champs. Dhami tient son nom du rôle qu’il joue au sein de la communauté : il est chamane et en quelque sorte le porte parole des Dieux ou des esprits. Ce vieil homme aux yeux perçants et au sourire chaleureux nous séduit immédiatement.

Accueil royal

Il est temps de redescendre chez les parents de Man. Pendant que Didi prépare le thé, Dazu nous coupe des morceaux de canne à sucre avec un grand khukuri. Nous les mâchons afin d’en extraire le délicieux jus sucré. Dazu est surpris d’apprendre qu’il est possible de faire du rhum à partir de la canne à sucre.

La cousine de Man a terminé son travail de scribe à Garaghat. Elle est venue voir sa mère, une très vielle dame qui loge chez les parents de Man par intermittence depuis qu’elle est veuve. Ici, on ne laisse pas tomber les anciens. Elle est charmante et toujours souriante.

Un accueil très chaleureux

Didi nous fait goûter le yoghourt de buffalo. Nous sommes reçus comme des rois. Nous passons un chaleureux moment tous ensemble sur la terrasse.

Une proposition renversante

Man nous explique alors que ses parents proposent de nous héberger à Horlabot le temps du confinement. Ils nous assurent que nous sommes leurs hôtes et que nous ne manquerons de rien. Ici, il y a de l’eau, du bois et de la nourriture. Leur hospitalité nous touche profondément.

Nous acceptons avec un immense plaisir cette offre très généreuse. La maman de Man a l’air enchantée. Son fils va rester avec elle un peu plus longtemps que d’habitude !

Sur le chemin du retour, Man reçoit une salve de SMS. C’est Namgyal qui nous envoie la réponse de Renée. Il ajoute qu’il est inquiet pour nous car à Katmandou c’est le « lockdown » total. Tout le monde est cloîtré à domicile.

Les nouvelles de France sont à la fois rassurantes et très inquiétantes. Tous nos proches vont bien mais malgré le confinement, l’épidémie progresse rapidement avec plusieurs centaines de morts dans la région Est et des hôpitaux déjà débordés… Au milieu de ce flot macabre, Renée nous annonce que la famille s’est agrandie d’une cousine et d’un cousin qui penseront sans doute longtemps que leurs parents ont été croisés avec des Schtroumfs en regardant leurs visages barrés de bleu.

Confinés à Horlabot

Man nous explique qu’il était certain que ses parents nous feraient cette proposition. Il avait cette idée en tête depuis Thulo Daha.

A Garaghat, nous retrouvons nos cooks de Katmandou retranchés dans le camp car le bruit court de la présence de travailleurs népalais rentrés d’Inde dans les environs. Nous leur faisons part de notre décision de mettre fin à notre périple le temps du lockdown.

Sans surprise, Bhim, Dorje, Modan et Dan Bahadur sont ravis de cette nouvelle. Du coup, Bhim, soulagé de quitter Garaghat, part avec son masque sur le visage et du gel hydroalcoolique sur les mains, du sanitizer comme on dit ici en bon nepalo-anglais, pour acheter des stocks de riz, de farine et de lentilles.

Nous allons donc nous installer à Horlabot pour une durée … indéterminée !

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