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Homestay à Likhabang

Samedi 2 mai 2020, 15h. Nous nous arrêtons au-dessus des deux premières maisons de Likhabang situées juste en dessous du chemin. Man interpelle un homme qu’il aperçoit devant la première pour lui demander si nous pouvons dormir chez eux. Notre ami a obtenu cette adresse auprès de la Didi Magar de Tarchibang, celle qui selon lui produit le meilleur raksi de la vallée.

L’homme nous dit que la didi que nous cherchons est absente pour le moment. Il nous invite à poser nos sacs devant chez elle en attendant son retour des champs.

Au milieu des ruches

Des ruches traditionnelles sont posées sur les petits rebords en ocre qui débordent de la façade de notre futur logis. Ce sont de simples troncs évidés dont les extrémités sont bouchées par une pierre plate et colmatées avec de l’ocre. Une petite ouverture frontale permet aux abeilles d’aller et venir. Les abeilles ont pris possession des lieux et forment un épais nuage bourdonnant interdisant toute approche vers le petit banc en ocre que nous avions immédiatement repéré pour savourer les précieux instants de repos associés à toute fin d’étape.

Les ruches bourdonnantes

Contraints de nous éloigner, nous posons prestement nos sacs, faisant de notre mieux pour ne pas déranger les occupantes des lieux. Nous devons avoir l’air inquiets car Man nous explique que le soir venu, les abeilles ne sortent plus et que la terrasse redevient un lieu paisible de palabre.

Cependant, toute idée de repos avant le soir n’est pas perdue : respectant les usages, notre voisin d’un soir nous offre immédiatement du mohi et du thé que nous buvons chez lui, à l’écart des ruches, en profitant de la vue sur la vallée. Man nous apprend que les deux maisons sont habitées par les gens d’une même famille mais, avec une pointe de regret, il nous explique qu’ils vivent séparément.

Un chapardeur de poulet

Sur de grandes nattes qui recouvrent le sol entre les deux maisons, la récolte de blé sèche au soleil. A côté, la famille a étalé des bulbes qui ressemblent à des oignons de dahlia très fins. Ces plantes sont très prisées en Inde pour leurs vertus médicinales. Nous comprenons à demi-mots que cette médecine naturelle favorise la virilité des hommes.

Alors que nous partageons les grains de maïs torréfiés ce matin par Didi Sandra (le kaja) avec nos hôtes, un incident vient troubler la quiétude des lieux. En un instant, un aigle vient de fondre par surprise sur une poulette de quelques semaines. Les cris et gesticulations de la grand-mère et des enfants n’y changeront rien. Le rapace est déjà loin et il emporte sa proie dans l’étreinte de ses serres. L’agitation retombe rapidement. Avec fatalité, la vieille dame met à l’abri les autres volatiles sous un doko.

Comme notre famille d’accueil n’est pas encore rentrée des champs, nous partons visiter les environs. Un peu plus loin, il y a une scierie où les poutres sont taillées à la main. Nous discutons longuement avec le propriétaire et ses fils puis faisons demi-tour car Man a aperçu la didi qui doit nous héberger.

Echange de rotis

Cette didi est extrêmement accueillante. Elle vit ici avec sa fille, son fils et sa belle-fille. Nous apprendrons plus tard que la maison dans laquelle nous nous sommes réfugiés un jour de tempête à Cherakhet est habitée par une autre de ses filles.

Elle nous demande immédiatement si nous avons mangé et nous invite à la suivre dans sa cuisine sans attendre notre réponse. Man a sorti les rotis préparés le matin même par Didi Sandra pour notre repas de midi qui, aujourd’hui, tiendra lieu de quatre heures. Il les échange contre ceux encore chauds que la fille de la Didi cuit sur le feu de bois. Le fils nous prépare sa spécialité pour les accompagner : les fameuses graines de bhang pilées avec des piments.

Kaja et rotis

La conversation va bon train, nos hôtes sont très gais. La fille de la Didi est très jolie et ressemble beaucoup à Yasmina, une amie Berbère de Grenoble. La femme du fils est très typée mongole. Elle est enceinte et plus réservée que le reste de la famille. Au repas du soir, elle sera bien plus détendue avec nous !

« Nous voulons des coquelicots »

Après les rotis, nous partons visiter le village de Likhabang dont l’habitat est dispersé sur toute la colline. Toutes les maisons sont magnifiques avec leurs volets sculptés. Au milieu des champs de blé qui ici en altitude ne sont pas encore mûrs, nous discernons de petites enclaves fleuries. Ils cultivent les coquelicots violets par ici…

Man nous avait caché ce business. Tout le monde est au courant mais personne n’en parle. Les habitants ne peuvent guère refuser de cultiver ces plantes « stupéfiantes » sans risquer les représailles de la mafia indienne qui a fait de ce lieu reculé son paradis artificiel.

Les coquelicots violets

Traditions et sobriété heureuse

Des femmes battent le blé dans une cour. La méthode est différente de celle employée à Lochabang. Ici, on arrache les épis des gerbes de blé et on les bat sur le sol avec de grands bâtons en guise de fléau.

Une autre méthode de pour battre le blé

Nous poursuivons vers le haut du village où nous avons repéré une magnifique maison, anormalement grande, qui domine tout le village. Nous discutons avec sa propriétaire dont le mari doit travailler à l’étranger pour pouvoir posséder une telle demeure. Toutefois, l’intérieur est tout aussi sobre que celui des autres maisons: de simples pièces en terre battue sans aucun meubles.

Visite diplomatique

Plus loin, Man a rendez-vous avec le chef du village. Comme d’habitude, il lui égraine avec diplomatie les raisons de notre présence au Rukum en plein confinement. Le sauf-conduit donné par Dharma KC suffit à le rassurer.

Nous poursuivons notre visite en nous dirigeant vers un champ où une famille travaille. Le père de famille est très agressif envers nous par rapport au coronavirus mais sa femme intervient et lui dit : « ce sont les réfugiés de Horlabot dont a parlé Radio Sanibheri ». Le tour est joué, nous sommes les bienvenus, merci Radio Sanibheri !

Une soirée joyeuse avec nos hôtes

De retour chez nos hôtes, nous pouvons poser nos sacs et matelas en mousse par terre dans un coin de pièce du rez-de-chaussée où dort le jeune fils de 14 ans au milieu de stocks de récoltes variées. Nous préférons dormir par terre pour ne pas risquer une chute nocturne du lit en bois étroit du fils qui nous cède sa chambre pour la nuit et dormira avec Man à l’étage du dessus.

Nos voisins de chambre

Le repas du soir se déroule dans une ambiance formidable, la femme du fils est maintenant très à l’aise avec nous et rit autant que le reste de la famille. C’est elle qui prépare le didho, l’effort fourni pour mélanger la polenta très épaisse de farine de maïs au-dessus du foyer lui rosit le visage.

Nous sommes tous serrés de part et d’autre de la pièce qui ressemble à un couloir assez étroit. Le feu sur lequel se fait la cuisine se trouve tout au fond. La discussion est joyeuse et animée.

« Mobile festival »

Tout le monde rit aux larmes en observant combien nous sommes malhabiles pour manger avec les doigts, surtout au moment de mélanger la soupe de sisnu avec l’épais didho ! Brigitte se brûle la langue quand Laurent se brûle les doigts. Décidément, nous sommes complémentaires !

Nous apprenons que le mari de la Didi est décédé. Il est tombé d’un arbre il y a quelques années. Cependant, ce n’est pas la tristesse de sa mort qui donne le ton mais le bonheur de raconter que c’était un mariage d’amour. La Didi évoque « un mariage festival » car elle et son mari se sont rencontrés et sont tombés amoureux lors d’une fête religieuse.

Aussitôt, sa belle-fille enchaîne en riant et déclare que, pour elle et son mari, il s’agissait d’un « mobile festival ». Ils se sont rencontrés par hasard. Comme le garçon lui plaisait, elle a fait semblant d’être en panne de téléphone portable et a emprunté le sien… pour s’appeler et avoir ainsi son numéro ! Il paraît que cette technique est courante au Rukum.

Divorce par consentement mutuel

Le fils a déjà été marié mais ici les mariages ne sont pas enregistrés, c’est juste un engagement moral. Lorsqu’il est parti travailler en Malaisie juste après son mariage, sa jeune femme est repartie sans plus de protocole dans sa famille assez loin d’ici et comme le dit Man : « ici aucun problème pour divorcer si aucun des deux protagonistes ne réclame de l’argent ! ».

De retour de Malaisie après quatre ans, le fils s’est donc retrouvé célibataire et a trouvé sa nouvelle femme qui est de Gipsing, un magnifique village, visible de l’autre côté de la vallée, posé en plein soleil avec son temple sur le haut de la colline au-dessus de Magma. La beauté lumineuse de ce village est un tel enchantement pour le regard que Brigitte n’aura de cesse de s’y rendre.

Ces moments de partage et de bonheur sont un cadeau de la vie. Ces journées tellement intenses resteront pour toujours gravées dans nos mémoires.

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