Mercredi 29 avril 2020. Réveil 5h00 dans la maison où tous les volets sont ouverts sur le paradis pour bien entendre l’oiseau qui crie.
Hier soir, en rentrant, nous avons préparé de l’eau chaude et notre double foyer n’a pas fumé, il y a des jours ainsi où tout est parfait !
Brigitte part pour une immense balade dans la zone déjà apprivoisée. A Banphikot, elle récupère les messages que nous lirons ce soir. Elle descend ensuite vers Neta Pokhara où elle connaît déjà beaucoup de monde.
Les dangers de l’alcool
Soudain, alors qu’elle discute avec plusieurs didis venues tout exprès pour la retrouver, un type complètement ivre arrive avec un bâton pour la frapper. Elle a beaucoup de chance car ses amies, les didis, le désarment bien vite, en prenant quelque risque car il est costaud, puis le chassent.
Lorsque Brigitte repart en direction de Kanda, l’homme l’attend derrière un virage. Elle prend une pierre qu’elle fait mine de lui jeter… Ouf, il part car un berger arrive sur la piste !
Elle le reverra plusieurs fois, toujours aussi ivre et agressif et fera très attention de ne jamais se retrouver seule face à lui. Ici, comme dans beaucoup d’autres pays, l’alcool cause de nombreux problèmes. Un jour Man sera très heureux en apprenant qu’à Garaghat une femme a tué accidentellement son mari complètement saoul qui voulait la frapper.
Une quarantaine permissive
A Simtaru, des habitants du village revenus de pays étrangers où ils travaillaient avant la crise du coronavirus viennent d’être mis en quarantaine dans l’école après avoir été ramenés par un bus de « secours » de Katmandou.
Des bruits courent déjà les soupçonnant de rentrer dormir dans leur famille le soir. Vrai ou faux nous n’en saurons jamais rien mais toute la journée leur famille discute avec eux à travers le grillage et Dharma le chef de la municipalité rurale de Banphikot leur rend régulièrement visite afin de s’assurer qu’ils ne manquent de rien.
Brigitte avoue penser faire dorénavant un peu attention en traversant Simtaru, voire faire un petit crochet pour éviter le village. Cette idée sera oubliée dès le lendemain… à tort ou à raison ?
Travaux acrobatiques
Pendant ce temps, les travaux ont repris à Horlabot. Les tantes de Man ont monté une nouvelle charge d’ocre et l’équipe de peintres, mère et fille, est déjà au travail. Elles laissent à Man le soin de se contorsionner à travers la minuscule ouverture du grenier pour prendre pied sur le auvent en tôle qui protège de la pluie le pignon des façades. Notre ami, qui a enfilé son baudrier pour s’assurer, a vite fait de crépir les quatre triangles sous le fait des toits.
Une cuisine conviviale
Man est sous le charme de la « pièce de vie – cuisine », très conviviale et fonctionnelle, qui occupe tout le rez-de-chaussée de la maison de la Didi Magar qui nous a accueillis hier soir. Il souhaite réaliser la cuisine de sa future maison d’hôtes à cette image. Transformer l’ancienne étable, très basse de plafond, en une magnifique pièce de vie n’est pas une mince affaire. Avant tout, il va falloir décaisser le sol en terre battue pour s’y tenir debout sans courber le dos.
Armé d’un posalo, Man commence à creuser à proximité du poteau central qui soutient la poutre sur laquelle repose le treillis de branchage qui a permis de confectionner la dalle en mortier terre de l’étage. Satisfait, il réitère l’opération de sondage le long du mur, au milieu des deux portes d’accès. Son verdict tombe : il lui semble possible de gagner la vingtaine de centimètres nécessaires sans risquer de déstabiliser les bases de la construction.
Laurent prend le relais, ravi de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. Sous les premiers coups de posalo, le sol éclate en plaques de quelques centimètres d’épaisseur. Ces galettes sont un mille-feuille de strates composés de reliquats d’excréments qui ont séché après le nettoyage quotidien de la litière des animaux opéré pendant des décennies. Sur les conseils de Man, Laurent en fait un tas à l’extérieur que nous utiliserons plus tard comme engrais pour notre jardin !
Sous cette première couche, on retrouve la terre battue que Laurent commence à creuser. Plutôt que de l’évacuer, nous nous en servirons de mortier pour colmater les murs en pierre, une sorte de sous-couche pour le futur crépi en ocre. Un peu d’eau, un malaxage avec les pieds et le mortier est prêt. Il n’y a plus qu’à le projeter à la main sur les parois avec une gestuelle qui rappelle celle de nos maçons.
Tutu et aiselu
Nos travaux sont interrompus par la visite de deux femmes qui viennent admirer les belles couleurs des maisons d’Horlabot : la belle-fille de Dhami et une autre bahini venue cueillir des orties pour ses cochons. Elles nous apportent des « tutu », des mûres dont elles raffolent. Ces fruits noirs poussent sur de grands arbres. Ils sont succulents et ressemblent à nos mûres de mûriers de vers à soie.
Au bord des chemins, Man nous a fait découvrir les délicieuses « aiselu » qui poussent sur des buissons très épineux. Leur forme rappelle celle des mûres que nous cueillons dans les haies de ronces pour faire des confitures sauf qu’ici elles ne sont pas noires mais oranges. Ce fruit appartient à la famille des framboises et il éclot d’un bourgeon floral.
Les tutu poussent en abondance de mi-avril à fin mai mais beaucoup se perdent sur le sol faute de moyen pour les conserver. Elles finissent écrasées sur les sentiers qui semblent peints en noir. Suite à une discussion que nous avons eue ce matin, Man explique à nos visiteuses qu’il serait possible de faire de la confiture avec ces fruits. Aussitôt, amusées peut-être par le fait de voir des hommes en cuisine, elles partent ramasser des « tutu ». Nous les entendons rire aux éclats, perchées dans les arbres qui bordent la terrasse qui nous sépare de la maison de Dhami. Elles ont tôt fait de revenir avec leur cueillette : un bon kilogramme de mûres.
Confitures au feu de bois
Lorsqu’elle revient à Horlabot, Brigitte retrouve Man et Laurent entourés de cette joyeuse troupe de jolies bahinis. Laurent a fait de la confiture de tutus. Toute notre réserve de sucre y est passée. La confiture est trop liquide. Il aurait fallu la laisser cuire plus longtemps mais, pour ne pas trop puiser dans notre stock de bois et également pour la faire goûter au plus vite à ses impatientes visiteuses, Laurent a interrompu prématurément la cuisson.
Laurent a rempli deux pots : un pour Didi et Dazu et un pour la famille de Dhami. Nous donnons rendez-vous à nos amies le lendemain pour la dégustation du produit fini et refroidi mais les petites filles de Dhami se régalent déjà en terminant le fond de la casserole. Elles semblent apprécier !
Petit glouton mal avisé
Ce matin, Jessica est montée à Horlabot avec les trois chèvres de la famille : une mère et ses deux petits, un mâle et une femelle. Ce sont de sacrés phénomènes. La mère ne veut pas que la petite chèvre tète. Dès que la petite approche, la mère s’éloigne. Seul son frère le chevreau a le droit de manger. Quand Man pousse le chevreau au loin pour faire téter la chevrette, celui-ci revient et charge Man pour reprendre sa place. Le chevreau est stupide car grossir est un mauvais calcul. Tout gramme de pris le rapproche un peu plus de l’heure du sacrifice en puja !
Astuces architecturales
La journée s’achève. Il est l’heure de descendre à Lochabang, où les parents de Man nous attendent. Dazu tient à ce que nous fermions portes et fenêtres à chaque fois que nous quittons Horlabot afin que personne ne puisse s’introduire chez nous pour voler nos affaires.
Les fenêtres sont de simples ouvertures dans les murs dépourvues de vitrage. Elles sont dotées de volets en bois qui s’ouvrent vers l’intérieur. Une fois clos, les deux battants se recouvrent sur quelques centimètres. Une barre de bois qui coulisse à l’intérieur du mur sert à les maintenir fermés, un dispositif simple, très astucieux et diablement efficace.
Respecter les consignes de Dazu
La porte d’entrée est également constituée de deux volets qui se rabattent l’un sur l’autre. Un anneau en fer forgé est cloué dans un des battants. Pour fermer la porte, il faut glisser sur cet anneau une boucle de fil de fer torsadé scellée dans le chambranle supérieur et sécuriser le tout à l’aide d’un vieux cadenas. Lors de notre installation à Horlabot, Man a pris le soin de dégripper avec un peu de kérosène les cadenas qui n’avaient pas servi depuis des années. Quel bonheur de voir miraculeusement ces vieux objets reprendre vie !
Nous savons que le cadenas ne résisterait pas à quelques coups de pierre ou de posalo mais nous le fermons scrupuleusement à chaque fois que nous partons afin de respecter la consigne de Dazu qui est devenu pour nous la voix de la sagesse.
Des chèvres rétives
Une fois la maison fermée, il faut convaincre les chèvres de redescendre. Elles ont décidé de rester à Horlabot. Il faut donc les mettre en laisse. Laurent essaie de descendre la mère mais abdique devant sa mauvaise volonté et sa force incroyable. Man tente sa chance et après un certain temps réussit à la tirer vers le bas. Ces jolies chèvres à longues oreilles, malgré leur apparence gracile, sont vraiment robustes et ont un sacré sale caractère !
Dazu a préparé du lait chaud. Il nous en sert un verre quand nous arrivons à Lochabang. Après le dal bhat, Man qui tombe de sommeil part se coucher. Quant à elle, Jessica n’a pas eu le temps de monter dans sa chambre. Après cette journée à courir derrière les chèvres, elle s’est endormie, couchée sur les genoux de son grand-père.