Mercredi 3 juin 2020, 5h00. L’oiseau du paradis réveille Brigitte en lui murmurant à l’oreille : « ton père avait raison, la recherche fondamentale humaniste est une belle chose ! ».
Brigitte est chercheuse au Centre National Recherche Scientifique Française (CNRS) qui avec l’INRA (qui s’occupe plus particulièrement des problèmes agronomiques ) ou l’INSERM (plus spécialisé dans le domaine de la santé) appartient à l’état, fait des recherches fondamentales (sans but initial) dans tous les domaines, accroît les connaissances et les met au service de la société. Ces organismes non motivés par le profit, sont à l’honneur des petits êtres humains que nous sommes.
La recherche fondamentale est universelle et peut, quand le gouvernement en place en voit l’intérêt et lui alloue un peu d’argent, permettre de résoudre rapidement un problème inattendu comme, par exemple, trouver un vaccin contre le coronavirus.
Appel à l’aide
Aujourd’hui, la recherche va s’inviter sur le devant de la scène au Rukum avec l’arrivée du charmilo dans les champs de maïs. Nous envoyons une photo de la plante invasive à Alain Charcosset qui travaille sur le maïs à l’INRA. Alain est le fils d’Henri, surnommé affectueusement Charco, un des mentors de Brigitte qui a eu la chance de l’assister alors qu’elle venait juste de terminer sa thèse, dans la direction d’un laboratoire du CNRS.
Henri devait être agriculteur, comme son père, à la Clayette, petit village de Bourgogne mais le destin en a décidé autrement : il fût fauché en vol par la poliomyélite à l’âge de 16 ans. Complètement paralysé il réussit, aidé par des professeurs en médecine révoltés de voir tous ces jeunes aux vies gâchées, à obtenir son bac puis à poursuivre ses études jusqu’à terminer au plus haut échelon des Directeurs de recherches du CNRS.
Même si la réussite professionnelle d’Henri est incroyable dans un tel contexte, ce n’est qu’un détail par rapport à sa formidable personnalité humaine. Lorsque vous êtes avec Henri, c’est vous qui vous sentez handicapé tellement il dégage une énergie créatrice pour faire émerger des structures humaines où les gens, même les plus égocentrés, sont mis en valeur en participant à la synergie du groupe. Des structures humaines qu’il crée naissent des amitiés qui leur survivent.
Identifier l’envahisseur
Toute la famille d’Henri est à son image et il a l’art de nous mettre en lien avec elle. Quelle aubaine qu’Alain travaille sur le maïs à l’INRA !
Cependant, ici nous ne pouvons communiquer facilement que par Whatsapp. Nous sommes donc en relation avec Henri par l’intermédiaire de son gendre et sa fille, également nos amis et également chercheurs mais dans le domaine de la santé. Brigitte leur explique le problème du charmilo et leur demande de contacter Alain.
Immédiatement, une belle chaîne de solidarité se met en place. Alain répond très vite et de façon très détaillée, joignant de nombreuses publications notamment d’un chercheur pakistanais qui travaille depuis des années sur le charmilo. En effet, il s’avère que les agriculteurs Pakistanais sont confrontés à cette invasive depuis de nombreuses années.
Une invasive bien armée
Hélas, Alain nous dira que, pour l’instant, il n’y a pas de solution miracle pour éradiquer le charmilo. Cette mauvaise herbe qui colonise les cultures se nomme l’Oxalis latifolia Kunth. Au Népal, elle est connue sous le nom de chari amilo, en référence à ces feuilles au goût citronné. Pour une fois, nos oreilles ne nous avaient pas trop trompées.
Cette invasive est apparue depuis environ 5 ans au Népal. Alain, tout comme le chercheur pakistanais, pense qu’arracher les oignons est une très mauvaise idée car il y a tellement de bulbes périphériques, qu’au lieu de les supprimer, cela les disperse et favorise la prolifération du charmilo. Le labourage est peut-être aussi source de prolifération.
Cette histoire de labourage contre-productif rappelle à Brigitte une étude de certains sols du Brésil qui « disparaissaient » dramatiquement pour donner de véritables déserts. Il avait été découvert que ces sols présentaient une micro-structure en forme de petites boules (clusters) dont le labourage favorisait la prise à l’eau et donc leur disparition par « lessivage ». Le non labourage avait largement permis de ralentir ce processus.
Fatiguer la plante
Alain suggère de « fatiguer » la plante en brûlant ou coupant ses feuilles autant de fois que nécessaire, avant la floraison. Un travail titanesque mais bien plus simple que la vaine extraction des bulbilles dans une terre de même couleur.
Nous imaginons même que les feuilles ainsi coupées pourraient être valorisées. Certaines variétés d’Oxalis sont utilisées en Inde pour faire du thé au goût de citron. La plante contient de l’acide oxalique qui peut être toxique ingéré en trop grande quantité. Tout est question de modération.
Dazu, Didi, Man et les amis du Rukum sont stupéfaits. Ils trouvent que le CNRS et l’INRA sont vraiment de belles inventions. Ils n’en reviennent pas qu’ils ne demandent aucun argent pour aider des Népalais et sont encore plus étonnés que des chercheurs français s’intéressent à leur problème.
Charco propose immédiatement qu’Alain et nous écrivions une publication sujet. Alain propose de venir étudier le problème sur place lorsque le coronavirus aura fini de gouverner le monde.
Le combat du désespoir
Cependant Didi pense que, dans l’immédiat, il faut enlever tous les oignons pour préserver le compost indispensable à la croissance du maïs, alors nous allons l’aider même si cela nous paraît être impossible, une sorte de « barrage contre le Pacifique » et risque d’aggraver le problème plutôt que de le résoudre. Pour ne rien arranger, la prolifération du charmilo est sans doute facilitée par le sort réservé aux bulbilles arrachées. Au lieu de brûler cette récolte particulière, Didi l’abandonne au soleil au bord de la piste… Aussi ardent soit-il, le soleil du Rukum ne peut remplacer un bon feu.
Didi comprendra vite que ce combat est vain et qu’il est impossible d’ôter la multitude d’oignons, parfois de la taille d’une tête d’épingle, enfouis dans chaque centimètre carré de sol. A posteriori, nous regrettons de ne pas l’avoir convaincue d’essayer de couper les feuilles sur une partie du champ.
Vers l’autonomie alimentaire
Avant de monter à Banphikot chercher les messages d’Alain sur le charmilo, Brigitte est toute contente de commencer à préparer au posalo, à côté de la maison, ce qui doit devenir « notre jardin de Horlabot ». Nous voulons faire un potager depuis un moment mais nous n’arrivons pas à trouver de semences. Cependant, hier, Didi Sandra nous a fait un beau cadeau : du fin fond du panier en osier pendu au mur dans sa cuisine de Lochabang, elle a sorti un minuscule sac en plastique dans lequel elle a précieusement conservé quelques graines d’un maïs spécial qui serait bon pour faire du « pop corn » et nous l’a offert. Quel beau cadeau ! Nous nous sentons investis d’une grande responsabilité. Nous avons la crainte de ne pas arriver à le faire pousser et gâcher ainsi les précieuses graines.
Laurent va mieux mais est très fatigué. Il reste à Horlabot tandis que Brigitte après avoir pioché et semé monte à Banphikot récupérer nos messages.
Les papiers de la liberté
De son côté, Man nous a fait établir des papiers officiels indiquant que les autorités de Banphikot nous demandent de rester confinés dans la municipalité rurale jusqu’à la fin du lockdown et nous prennent sous leur protection. La police nous permet de circuler dans tout le territoire de la municipalité. Nous sommes CONFINÉS MAIS LIBRES et SOUS FRATERNELLE PROTECTION ! LA VIE EST BELLE !
Brigitte remercie le ciel ou toute divinité qui nous permet de vivre cette parenthèse enchantée libres, en pleine nature, choyés par notre nouvelle famille et les amis qui nous ont immédiatement adoptés. Elle a l’impression d’avoir toujours vécu ici. La vie est dure… enfin rien n’est tout cuit matériellement mais elle jure ne pas mentir en disant que mourir ici lui vient à l’esprit sans l’effrayer aucunement.
A Neta Pokhara l’orage éclate très violemment, tous aux abris ! Il dure peu de temps. Brigitte en profite pour acheter un concombre à partager avec Didi et Dazu. Ici, on partage tout ; il est impensable de garder tout pour soi !
Après l’averse, elle monte en direction de Kanda du haut. Au retour par Cherakhet, des enfants quémandent de l’argent. Brigitte en parle immédiatement à un vieux monsieur qui les dispute copieusement.
A Lochabang, Didi descend vite de la maison des buffalos pour lui offrir du thé. Elle veut que nous mangions le dal bhat pour « nous redonner des forces » mais Laurent est au repos toujours à Horlabot alors Brigitte remonte lui faire à dîner.