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Le massacre du maïs

Samedi 13 juin 2020. Réveil 5h00 au paradis. L’oiseau crie « Les Gurkhas sont là, il faut détruire le maïs ! »

Voilà huit jours que Man est parti. Il a maintenant une place réservée dans le puzzle de nos vies comme tous les gens auxquels nous nous sommes attachés au cours du temps. Certes nous ressentons un vide lorsqu’il n’est pas là mais il s’agit d’un vide sentimental et non matériel car il a œuvré pour nous donner les clés de la liberté et de l’autonomie. Grâce à lui, nous pouvons circuler partout dans la commune de Banphikot que nous sommes encore loin d’avoir fini d’explorer.

Ce matin, nous avons donc rendez-vous pour « massacrer le maïs ». Depuis plusieurs jours, nous voyons tous nos voisins passer la charrue dans leurs magnifiques plants de maïs qui font maintenant plus d’un mètre de haut : un vrai massacre !

Dazu et Didi disposent de beaucoup de terres et, leurs trois fils ayant quitté Lochabang pour migrer en Corée, s’établir à Nepalganj ou devenir guide, ils doivent attendre que leurs voisins aient terminé leur propre travaux agricoles afin de pouvoir recruter une aide extra-familiale. Ce décalage permanent de quelques jours nous permet de deviner les tâches champêtres qui nous attendent. Néanmoins, aujourd’hui, nous devons avouer que nous ne comprenons pas pourquoi tout le monde s’acharne à détruire les plantations.

Dazu prépare son attellage

Miraculeuse résistance

Nous devrons attendre le retour de Man pour obtenir une merveilleuse explication. Légende ou réalité historique, toujours est-il que ce labourage du maïs est une tradition ancestrale dans la vallée. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si cette pratique est connue dans d’autres régions népalaises ou d’autres pays.

Man nous expliquera donc qu’il y a bien longtemps une puissante armée était aux portes de Banphikot. La supériorité de l’envahisseur ne faisait aucun doute et la fuite était la seule issue envisageable. Avant de quitter les lieux, les habitants de la vallée décidèrent de labourer les plantations de maïs afin de priver leurs ennemis de la récolte à venir. Quelque temps plus tard, quand ils revinrent chez eux, ils eurent la surprise de découvrir que leurs champs étaient superbes et la récolte fût miraculeuse. Depuis, les ancêtres de Man se transmettent ce secret de génération en génération et tous les paysans « massacrent » leur maïs après l’avoir bichonné pendant des semaines.

L’unification du Népal

Notre ami ne peut poser une date sur cette fabuleuse histoire mais il est fort possible qu’elle remonte à plusieurs siècles de cela. A cette époque, le piémont himalayen n’était encore qu’une mosaïque de principautés et de royaumes indépendants. En 1742, Prithvi Narayan Shah accéda au trône du Royaume de Gorkha. Belliqueux, il se mit en tête de repousser les frontières de son territoire. Sa sanglante conquête des trois puissants royaumes Newar de la vallée de Katmandou, déboucha en 1768 sur la fondation du Royaume du Népal. La dynastie Shah allait diriger le royaume jusqu’à la chute de la monarchie en 2008. Le premier roi auto-proclamé du Népal n’était pas rassasié. Il décida de poursuivre son offensive vers l’ouest et vers l’est pour annexer toutes les principautés. Ses descendants achèveront sa campagne d’« unification ».

Massacre en famille

Dazu a déjà fini d’atteler les bœufs lorsque nous arrivons à Lochabang. Rang après rang, la charrue va laisser un sillon au milieu du maïs arrachant au passage une bonne moitié des plants.

Le champ dévasté par la charrue

Aujourd’hui, Komala, la fille de Bina et petite-fille de Didi, est venue de Simtaru pour aider sa grand-mère. Elle devrait déjà être au Portugal avec son mari qui s’y est expatrié. Ils ont fait un « mariage d’amour » selon Man. Le coronavirus a retardé le projet de départ au Portugal de Komala et son mari n’a encore jamais vu son petit garçon. Komala vit avec lui chez ses beaux-parents à Simtaru. Son départ retardé fait le bonheur de sa famille du Rukum.

Didi trie, arrache et replante

Didi et Komala ont un sacré coup de main pour relever certains plants de maïs et en arracher d’autres. Nous nous contentons de porter les plants jugés indésirables qu’elles ont arrachés car nous avons peur de mal faire. Comme toujours, ici, rien ne se perd. Ces plants serviront de fourrage pendant plusieurs jours et apparemment ils seront très appréciés par les buffalos.

Didi ne perd rien

Le retour du charmilo

Didi nous a confié une deuxième mission : ramasser les bulbes de charmilo sortis de terre par le passage de la charrue. Nous remarquons au passage que les oignons semblent être agglomérés aux racines de blé qui sont des reliques de la récolte du mois d’avril. Par endroit, nous les récoltons par poignée. C’est désespérant !

Le charmilo prospère…

Cette année, la récolte sera très belle mais aurait-elle été moins belle sans ce massacre ? Nous envoyons des photos des plants de maïs labourés à Alain Charcosset qui n’en revient pas.

A bien y réfléchir, cette opération a peut-être le mérite de desserrer les plants et de ne conserver que les plus résistants mais l’histoire de Man est tellement belle que nous nous contenterons de cette explication !

Au travail sous un soleil brûlant !

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