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Les préparatifs de la Kul Puja

Mardi 5 mai 2020. Réveil à 4h00 pour Brigitte au paradis retrouvé d’Horlabot car elle a pris beaucoup de retard dans l’écriture de son carnet de voyage « sédentaire ». Il est encore trop tôt pour son joyau, son ami emplumé à qui elle dit : « Tu dors encore bel oiseau du paradis ? ». Elle attend une bonne heure avant qu’il ne s’éveille enfin.

En route pour le temple

A huit heures, nous partons à la rencontre de Man qui monte lourdement chargé. Nous ne pouvons lui offrir le thé à Horlabot car il ne doit pas poser les objets rituels avant d’arriver au temple sous peine de les rendre impurs et de mettre en péril la vie de « notre » Dhami lorsque les esprits auront pris possession de lui.

Le temps est très menaçant. Nous traversons le gros landslide derrière la ridge de Dhami et montons droit dans la pente en direction de Dang. Ces anglicismes sont les témoins d’une langue étrange que nous commençons à adopter comme par mimétisme même quand nous sommes seuls, un mélange de français, d’anglais, d’hindi et de nepali.

Nous arrivons à un tout petit temple construit en pleine pente que nous n’avions jamais vu auparavant et pourtant nous sommes déjà passés souvent juste en dessous ou au-dessus de lui en nous rendant à Dang. Avec ses murs en ocre et son toit en tôle, ce très modeste et minuscule bâtiment passe inaperçu. Difficile d’imaginer que ce puisse être le lieu où le clan se rassemble pour célébrer sa divinité tutélaire d’autant plus que le terrain plat à côté du temple est grand comme un mouchoir de poche.

Le temple du clan domine la vallée

Le pujari et les dhami

Dazu est le pujari, le maître de cérémonie de la puja. A ce titre, il a revêtu ses plus beaux vêtements : costume à carreaux avec gilet serré à l’arrière par un deux petits morceaux de ceinture cousu à la hauteur de la taille et reliés par une boucle, chemisette blanche en lin, jolie montre. Dazu a la grande classe, nous admirons notre « grand frère » ! Il s’affaire immédiatement à la préparation de l’autel dans l’unique pièce très exiguë du petit temple. Il délivre Man de tous les objets rituels qu’il a béni hier soir à Lochabang et les dispose près de l’autel avant de procéder aux incantations d’usage.

Malgré son rôle crucial, Dazu n’est pas le personnage central de la puja. Tous les regards sont braqués sur Dhami, notre voisin qui doit approcher les soixante-dix ans. A ses côtés, deux autres dhami vont officier. Le premier doit approcher la quarantaine tandis que le plus jeune est encore un adolescent de quatorze ans, un novice qui fait ses premiers pas à la puja du clan et qui s’avérera déjà très impressionnant quand il entrera en transes. Dhami ne semble pas être stressé d’être bientôt sous le feu des projecteurs : il discute et plaisante avec tous ceux qui arrivent.

A peine délesté du poids des instruments, Man grimpe dans l’arbre qui jouxte le temple pour y accrocher sur la plus haute branche des rubans rouges ou blancs que Dazu vient de bénir.

Au cœur du clan

Les hommes du clan commencent à affluer. Tous apportent un sac de farine, un sac de riz, de l’huile, du sel et du bois. Nous sommes très ennuyés car Man ne nous a pas dit que nous devions amener cela. Le chef du comité d’organisation de la puja qui n’est ni dhami ni prieur nous met tout de suite à l’aise en nous disant que Didi Sandra a donné pour nous, que nous sommes leurs invités et qu’il y aura beaucoup trop de nourriture.

Nous connaissons déjà beaucoup de monde parmi les nombreux participants. Quel cadeau Man et ses parents nous font en nous conviant à cette puja très confidentielle à laquelle seuls les membres du clan Chetri, de leur famille élargie, peuvent assister ! Cette invitation véhicule un message qui nous touche profondément : ils nous considèrent comme des membres à part entière de leur chaleureuse famille !

Le cercle des hommes

Avec les anciens

Aunty, qui ne veut pas manquer la puja malgré son grand âge, est montée seule jusqu’à Horlabot. Dès qu’ils l’aperçoivent, Man et Bulldozer courent à sa rencontre et se relaient pour la porter, à une vitesse incroyable. Man lui fait traverser le dangereux glissement de terrain sur son dos. A son arrivée, elle est radieuse. Au Rukum, il est impensable de laisser de côté les anciens. Les liens intergénérationnels ne sont pas dénoués et il est naturel que la grand-tante soit aimée, aidée et protégée par les jeunes.

Man profite de la présence des anciens pour les interroger sur l’ancienne route du sel. Il voudrait retrouver l’itinéraire suivi par les troupeaux de chèvres et de moutons pour acheminer le sel du Dolpo et jusqu’aux plaines du Teraï. La mémoire du clan est en train de s’effacer avec les années. Man voudrait conserver une trace écrite de cette caravane ancestrale qui était une sorte de voyage initiatique pour les enfants du Rukum qui accompagnaient souvent leur père ou leur grand-père. Dazu a effectué ce trajet étant enfant. Man, lui, n’a pas eu cette chance car ce temps était déjà révolu.

Les puri

Deux feux de bois sont déjà allumés à l’extrémité de la petite terrasse dans deux grands trous creusés dans la terre pour cette occasion. Le premier foyer servira à faire cuire les puri, une sorte de chapati frit dans l’huile bouillante.

Notre ami « Bulldozer » se charge de malaxer farine et eau pour confectionner la pâte des puri dans une grande cuvette en fer blanc. Quotidiennement, ce sont les femmes qui se chargent de ce travail très physique mais, en ce jour de puja, ce sont les hommes qui se relaient pour accomplir cette tâche. Ils devront répéter plusieurs fois l’opération pour préparer suffisamment de pâtes pour quelques centaines de puri.

Bulldozer en action

Didi et bahini extraient de petites boules de pâte de la cuvette, les aplatissent sur une étroite planche ronde indissociable de son petit rouleau rouleau, les rares ustensiles présents dans chaque maison népalaise. Lorsque les boules de pâte sont devenues de jolies galettes parfaitement rondes et peu épaisses, elles sont trouées au centre et jetées dans l’huile bouillante. Après une minute environ, la préposée à la cuisson sort le puri de l’huile à l’aide d’une baguette en bois enfilée dans le trou et le dépose dans un doko.

Cuisson des puri dans l’huile bouillante

Brigitte ne sait pas trop pourquoi lui reviennent alors à l’esprit les manèges qui la faisaient vomir en tournant sur eux-mêmes quand elle était petite à Paris. Les enfants y étaient juchés sur des chevaux de bois avec une lance à la main et celui qui parvenait à attraper un anneau avec celle-ci gagnait un tour gratuit. Brigitte adorait attraper les anneaux et gagner le droit de vomir une fois de plus.

Le kheer

Autour du deuxième foyer, Ardu s’active déjà pour préparer le kheer. Nous constaterons au fil des mois et des puja que la cuisson de ce plat rituel est sa spécialité attitrée. Le kheer est du riz au lait, sans sucre ni sel. C’est le plat des dieux qui accompagne toute cérémonie hindouiste et non pas la boisson bourguignonne affublée du patronyme du chanoine représentant une autre religion.

Ardu, le maître du kheer

Pendant plus d’une heure, Ardu remue inlassablement le riz avec une grande spatule pour ne pas qu’il brûle au fond de la gamelle. Quand le kheer est prêt, il le couvre de feuilles de bananier pour le tenir au chaud.

Ardu sert le kheer sur des assiettes en feuille de bananiers tressées par les femmes. Deux puri sont posés sur chaque assiette avant qu’elle ne soit portée à l’intérieur du temple pour y être offerte aux dieux du clan. Les dieux sont servis en premier.

Ardu est venu sans ses deux femmes mais avec son fils ; ces deux-là sont inséparables.

Offrandes au Dieu du clan

Les élues des dieux

Des gens arrivent accompagnés d’une petite chèvre marron gracile avec ses très longues oreilles caractéristiques des bakhra du Rukum. Ce doit être une petite femelle vierge, nommée lachagra, la préférée des dieux et des hommes pour la saveur de sa viande.

Un chèvre bientôt offerte aux dieux

La viande des jeunes mâles castrés et de leurs mères,appelés respectivement khasi et bakhari, est nettement moins appréciée. Quant au bouc adulte dénommé boka, il est sacrifiable mais il ne plaît ni aux dieux, ni au goût des hommes. Ici, il semble impossible de tromper les gens sur l’origine de la viande qu’ils détectent au fumet de la soupe ou dès la première bouchée. Le verdict tombe comme un couperet : lachagra, khasi, bakhri ou boka.

Au début, nous acquiescerons à leur jugement pour paraître connaisseurs mais franchement la différence est ténue, même le bouc n’a pas un goût exécrable comme cela peut être le cas en France. Au cours du temps, nous arriverons plus ou moins à distinguer les différentes espèces tout comme nous distinguerons le riz cultivé à Cherakhet, le meilleur du monde selon Dazu, du riz plus ordinaire cultivé à Lochabang.

Rituel sacrifice

Un autre groupe arrive traînant au bout d’une corde deux petites lachagra noires et blanches qui rechignent à avancer comme si elles avaient deviné le sort qui les attend. Enfin, une grosse bakhri arrive sur les lieux. Son âge doit la rendre plus avisée du sort qui va lui être réservé car elle donne bien du fil à retordre aux hommes, pourtant très costauds, qui essaient de l’amener à côté du temple.

Hier, Man nous avait dit qu’à cause du lockdown ce serait une petite puja sans sacrifices alors Brigitte pense naïvement que les chèvres ont été amenées ici pour faire joli avec leurs rubans rouges et blancs autour du cou.

Toutes les chèvres sont attachées à un arbre au-dessus du temple. La grosse chèvre est redevenue paisible comme si elle acceptait son sort et même quand sa corde se dénoue et qu’elle peut filer, elle reste sagement au pied de l’arbre.

La pluie s’invite à la fête

Une vieille dame s’assoit quelques instants avec nous avant de repartir avec un très lourd chargement de branches qui ont été stockées ici. Nous l’aidons à se relever avec sa charge incroyable qui devient un convoi grande largeur sur deux petits pieds massacrant tout sur son passage y compris les gens qui le croisent sans se garer.

Aux abris !

Soudain, l’orage qui menaçait depuis ce matin éclate violemment. Il pleut des cordes. Bulldozer et d’autres hommes descendent en courant et remontent avec une grande bâche en plastique transparent. De l’entrée du temple jusqu’aux deux foyers, tout le monde la tient à bout de bras pour faire un toit aux dhami, aux cuisiniers, cuisinières, aux anciens comme la grand-tante de Man et pour se protéger par la même occasion.

Bulldozer part couper de gros bambous sous les trombes d’eau et en fait des supports pour la bâche en plastique, quel soulagement de pouvoir baisser les bras ! La belle chemise qu’il porte spécialement pour la puja est trempée et lui colle au corps mais cela ne semble pas le gêner du tout. Il en faudrait plus pour qu’il se départisse de son éternel sourire bienveillant.

Il ne fait plus très chaud car la pluie qui matraque le toit en plastique improvisé a refroidi l’atmosphère. Cependant, personne ne s’en soucie car le moment est venu pour les dhami de s’installer devant le temple, assis en tailleur avec leurs instruments et du riz déposés devant eux.

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