Mercredi 1er avril 2020. Réveil 5h00 au paradis de l’ami oiseau qui crie « hor hor hor » avec un « h » guttural… Bref, ce n’est pas très explicite car difficile à retranscrire en mots mais c’est merveilleux d’être réveillés par lui ! Il nous a déjà adoptés et va se charger de nous réveiller chaque matin. Brigitte l’adore et lui parle comme si elle le connaissait depuis toujours.
Contrairement à ce que nous avons pu connaître au cours de nos précédents périples himalayens, notre café bouillant ne refroidit pas à peine versé dans notre tasse. Ici, pour le moment, nous pouvons ouvrir notre tente pour laisser entrer l’air pur sans craindre d’être frigorifiés, trempés ou de la voir s’envoler.
Témoins d’un monde en danger
Nous profitons de ces délicieux instants de paix matinale pour noircir les pages de nos carnets de voyage. Nous ne voulons pas oublier une miette de la journée intense que nous venons de vivre : décrire le moindre geste de Dhami, coucher sur le papier les émotions ressenties lors de cette rencontre avec les esprits et garder une trace des confidences de Dazu. C’est comme si nous nous sentions humblement investis d’un travail de mémoire tant nous avons peur de voir disparaître le monde que nous découvrons.
Nous partons tôt pour une grande balade à la découverte des environs de notre camp sans toutefois nous aventurer trop près des maisons. Chaque jour de nouveaux petits détails s’offrent à notre regard : une fleur, un petit autel abandonné perdu au coin d’un champ ou encore des petits bâtons enrubannés plantés dans le sol avec souvent posés au milieu ce qui ressemble à une assiette d’offrandes. Autant de choses, que nous avons hâte de raconter à notre retour à Man, qui devient de jour en jour un véritable ami, pour essayer de comprendre la signification de nos découvertes.
Le ciel s’assombrit très rapidement ;nous revenons précipitamment à Horlabot, juste avant un violent orage accompagné de vent tempétueux. Nous ne sommes pas encore experts en météo de la région mais nous comprenons vite qu’ici le ciel peut virer d’un instant à l’autre du bleu au noir foncé.
« home stay » à Horlabot
Man nous rejoint à l’abri dans « notre » maison. Il est en pleine réflexion mais, cette fois, ce ne sont pas les atermoiements de l’équipe qui le préoccupent. L’idée lui est venue de transformer Horlabot en « home stay ». Man est confronté à un dilemme : comment concilier sa soif de grands espaces et de liberté avec un désir tout aussi profond de revenir vivre au Rukum avec femme et enfants ? Il ne lui était jamais venu à l’esprit que des visiteurs puissent autant s’adapter et apprécier les conditions de vie spartiates de sa communauté, voire même de les rechercher. Ces quelques jours passés ensemble ont eu l’effet d’un révélateur.
Son projet doit encore mûrir. Il ne s’agirait pas de transformer ce qui fait la richesse culturelle de son pays ou de détruire l’hospitalité des habitants par l’appât du gain. Les bonnes intentions sont souvent parsemées d’écueils dont il est bien difficile de se protéger. En faisant la promotion de son Rukum, ne risque-t-il pas d’être submergé par une vague médiatique qui ferait germer l’opportunité du développement d’un tourisme de masse dans la tête des responsables politiques ?
Le défi pour Man est également de convaincre sa famille, actuellement installée à Dang à quelques sept heures de jeep d’ici, de revenir vivre aux côtés des leurs. Les relations entre sa femme et Dazu ne sont pas toujours au beau fixe. Chacun devra faire des compromis pour que le projet de Man soit couronné de succès.
Malgré toutes ces inconnues, Man se montre de plus en plus enthousiaste comme s’il avait besoin de notre caution pour valider ses plans.
Des nouvelles de Katmandou
Cette discussion très intéressante est mise entre parenthèses quand Man reçoit un appel de Namgyal qui s’inquiète pour nous. A Katmandou c’est la tempête et à Pokhara il pleut de la glace ! Nous le rassurons car ici il fait de nouveau grand beau : l’orage a cessé aussi brusquement qu’il était arrivé.
Namgyal nous apprend que Zimba et Ang Dati acceptent avec fatalité le confinement de toute la famille. Zimba doit pourtant se sentir comme un lion en cage derrière les grilles de sa résidence. Danu est rentré aux Etats-Unis tandis que Kalpana et Sonam sont toujours à Katmandou. Une nouvelle vie s’organise. Nous nous demandons comment « mama » supporte d’être privée de sa promenade spirituelle quotidienne autour de la stupa de Bodnath.
Avec le retour du soleil, les oiseaux chantent à tue-tête, tous de façon différente. Cela va du cri de la mouette à celui du Ara. Brigitte est aux anges : nous sommes en symbiose totale avec la nature, les paysages très escarpés lui promettent de belles « explorations » et il fait chaud alors qu’en général montagnes et chaleur ne font pas bon ménage.
Didi, Dazu et la pizza
Nous proposons à Bhim et à l’équipe d’inviter les parents de Man à dîner pour les remercier mais ces derniers préfèrent que nous descendions car ils doivent traire maman buffalo le soir.
Bhim et l’équipe préparent une pizza que nous descendons mais Didi, Dazu et Jessica préfèrent les rotis ou le dal bhat. Décidément, cela confirme leur aversion pour le fromage et ces mélanges d’odeurs et de saveurs auxquels ils ne sont pas habitués !
Nous passons donc une nouvelle soirée chez les parents de Man. Dazu reprend le récit de ses aventures militaires là où il s’était arrêté. Il semble ravi d’avoir deux paires d’oreilles attentives. Man, amusé par notre intérêt pour les histoires qu’il a tant entendues, reprend son travail d’interprète.
Le chemin du paradis
Encore une merveilleuse soirée ! Man reste dormir à Lochabang. Nous rentrons seuls à Horlabot. Le sentier escarpé grimpe à travers les terrasses. Nous franchissons avec prudence le passage étroit au-dessus du vide qui donne accès à un minuscule ruisseau qu’il faut enjamber. Deux petits lacets plus haut, nous sommes au-dessus de l’étable de Ardu, un oncle de Man. La suite est plus tranquille. Nous remontons le chemin tracé à flanc de colline. Encore quelques minutes et nous atteignons notre refuge.
Nous emprunterons cet itinéraire deux à trois fois par jour pendant toute la durée de notre séjour. Aujourd’hui encore, nous pourrions sans doute remonter au paradis les yeux fermés.