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Les semis du riz

Jeudi 28 mai 2020, 8h00. Après avoir débattu de l’avenir politique de nos pays respectifs avec Man, nous descendons à Lochabang car nous sommes attendus pour partir semer le riz, une nouvelle étape de notre apprentissage de la vie du Rukum.

Nous partons en famille à Cherakhet avec Didi et Dazu, les chèvres, les deux bœufs et leur double joug. Aujourd’hui, un champ de blé va être transformé en rizière pour y semer les plants de riz qui seront repiqués dans un gros mois.

En route pour Cherakhet

Les passants s’amusent à voir Laurent porter le long morceau de bambou qui servira à lisser la boue, étape ultime de la préparation des rizières. De son côté, Man porte le joug et le petit râteau hérissé de solides dents en bois dont le maniement demande des talents d’équilibriste comme nous avons pu le constater à la veille de notre départ pour Bayele.

Une rizière pépinière

Dazu possède une vingtaine de rizières à Cherakhet de surfaces très variées. Les deux que nous allons préparer aujourd’hui serviront de pépinière pour cultiver de jeunes pousses qui seront repiquées dans un mois.

Cette méthode de plantation présente de nombreux avantages sur le semis direct dans toutes les rizières. Le repiquage limite la présence de mauvaises herbes et permet une aération des plants qui donne à chacun l’espace pour se développer. Procéder en deux temps nécessite plus de main d’œuvre mais le surcoût est compensé par un meilleur rendement. Un autre avantage de la pépinière est de pouvoir enrichir le sol avant de semer les graines ce qui contribuera à accélérer la croissance des jeunes pousses.

Il y a quatre jours, nous avons observé le père de Man qui réparait les murets de pierre et de boue qui ceinturent les parcelles parfaitement horizontales et assurent leur étanchéité. En arrivant à Cherakhet, Dazu commence par vérifier que les rizières sont correctement noyées. Ni trop, ni pas assez. Seule l’expérience permet d’en juger.

Ingénieuse irrigation

Dazu est fier de nous montrer le fonctionnement du système d’irrigation. Les rizières sont disposées de part et d’autre d’un canal qui n’est qu’un des bras secondaires d’un immense réseau d’irrigation collective. En cette période de pré-mousson, l’eau est plutôt rare et les différents propriétaires doivent s’entendre pour faire bon usage de la précieuse ressource.

La vanne est ouverte !

Au ras du sol, côté amont, chaque rizière possède une arrivée d’eau. Elles sont si bien dissimulées au pied des murets que nous ne les avions pas remarquées jusqu’à présent. Elles disposent d’un robinet artisanal et naturel : une pierre d’un diamètre à peine plus gros que celui du trou. Un peu de boue autour de la pierre sert de joint d’étanchéité. Simple et efficace mais encore faut-il qu’il y ait de l’eau qui coule dans le ruisseau-canal central !

Dazu remonte le canal jusqu’au point de dérivation pour aller négocier avec un des autres propriétaires. Quelques minutes plus tard, nous voyons l’eau arriver. Mission accomplie. Nous pouvons ouvrir les vannes.

Travailleurs ingrats

Pendant que la rizière se remplit doucement, Man prépare l’attelage. Une fois n’est pas coutume, les bœufs sont assez dociles et n’opposent miraculeusement que peu de résistance quand il les appaire sous le joug. Il ne reste plus qu’à fixer le râteau qui servira temporairement d’ancre pour immobiliser les animaux.

Les bœufs ne travaillent que dix jours par an environ et sont vraiment des têtes de lard qui n’obéissent pas, refusent d’avancer ou s’enfuient des rizières obligeant le laboureur à courir pour les rattraper. Ce sont de véritables ingrats car leurs maîtres les nourrissent à la sueur de leurs fronts en portant, chaque matin, de lourdes charges de fourrage constitué, entre autres, de feuillage coupé au péril de leurs vies en grimpant au sommet d’immenses arbres frêles. Peu importe, Dazu adore ses bêtes : il les bichonne, les lave, les arrose pour les rafraîchir !

Malaxer et lisser

Dès que la rizière est couverte d’eau, Man et Dazu se relaient pour d’ultimes séances de surf jusqu’à l’obtention d’une boue homogène. Le travail n’est pas encore terminé . Il reste à lisser le mélange de terre onctueuse. Les bœufs tirent un long rouleau de bambou que Man maintient à la surface en pesant de son poids tout en courant plié en deux derrière l’attelage. La position de notre ami est pour le moins inconfortable.

Ultime passage du râteau
Lissage de la boue

Après ce difficile travail, Dazu, Man et les animaux sont couverts de boue et vont se transformer en statue de terre séchée en se reposant au soleil. Pendant ce temps, Didi, Brigitte et une femme de Cherakhet employée pour la journée cueillent des branchages. Cette matière première trouvée aux alentours servira d’engrais biologique pour enrichir une terre qui vient déjà de nourrir les blés pendant quatre ou cinq mois.

Le feuillage pour composter la pépinière

Quand Dazu juge que le niveau d’eau est suffisant, il demande à Laurent de refermer les vannes. Il lance ensuite quelques tiges feuillues pour tester la consistance de la boue. Les branches doivent s’enfoncer. Ni trop, ni trop peu. En fait, les feuilles doivent juste affleurer à la surface.

Bain de boue collectif

Il est temps de passer à l’action. Nous entrons alors toutes et tous dans la rizière. La boue bien lisse nous arrive à mi-mollet. Nous deux sommes très malhabiles, il n’est pas aisé de marcher pieds nus, à l’aveugle, sur de petits bouts de choses vivantes ou mortes dont nous ignorons la nature, dans la boue dense et profonde d’une vingtaine de centimètres qui retient nos pas. Nous sommes gauches et évitons de prendre trop d’assurance pour ne pas prendre un bain…

Cette maladresse fait bien rire nos habiles amis népalais. Dazu nous explique que notre tâche consiste à enfoncer soigneusement le feuillage dans la boue avec les mains de sorte qu’il ne remonte plus à la surface. Nous prenons exemple sur la Didi de Cherakhet qui est à nos côtés pendant que Dazu et Didi Sandra répartissent les feuilles derrière nous dans la rizière.

Un bain de boue bien chaud

Un cours de compostage

Pendant ce temps, Man s’amuse de nous voir travailler et regarde son père nous diriger. Depuis l’étalage du compost dans les champs de maïs, il sait qu’il peut compter sur nous et n’hésite plus à nous solliciter. Du coup, nous n’avons plus l’impression d’être des fardeaux.

Malgré notre bonne volonté, nous devons mal nous y prendre car Dazu vient nous donner un cours de rattrapage. Nous ne pourrons jamais assez remercier Man d’avoir filmé cette scène magique où l’on voit son père décomposer les gestes en les exagérant pour nous les apprendre. Difficile de comprendre ce que nous faisions de faux mais maintenant notre professeur semble satisfait. En fait, il semble que nous enfoncions un peu trop les feuilles.

Comme toujours, le travail se fait dans une ambiance détendue et joyeuse et encore plus aujourd’hui car nous offrons un spectacle particulièrement comique en pataugeant maladroitement dans la boue.

Semis à la volée

Après une bonne heure de franche rigolade, la tâche est accomplie. Dazu délimite une zone qui couvre les trois-quart de la rizière. Ce sera la pépinière. Il y sème à la volée les graines de riz conservées à l’abri depuis la précédente récolte. Bientôt, ces graines vont germer pour donner des jeunes plants robustes d’une trentaine de centimètres de haut. Il sera alors temps de les repiquer. Une autre belle journée en perspective !

Dazu est fier de nous avoir transmis son savoir-faire. Man est heureux d’avoir pu immortaliser ce pan de la culture du Rukum. Tous les passants apprécient de nous voir participer aux travaux agricoles, ce qui nous honore.

A la fin du travail, il faut refaire le niveau d’eau de la rizière mais le canal a cessé de couler. Brigitte et Didi Sandra montent vers le village pour aiguiller l’eau dans notre direction. Elles en profitent pour se laver car elles sont couvertes de boue.

Pause sulpa après le compostage
Brigitte et sa sulpa engendre une hilarité générale

Dazu, le guérisseur

Un jeune homme, accompagné de sa mère, arrive en se tenant la tête. Il vient d’être piqué par un insecte que nous imaginons être un « frelon de compétition » car ici tous les insectes sont plus gros et plus dangereux que chez nous!

Il vient consulter Dazu dont nous découvrons à cette occasion le rôle de « médecin local ». Dazu part au bord du canal principal cueillir une plante sauvage à grande feuille ovale se tenant à l’horizontal de sa tige large et incurvée. Il coupe la tige avec sa hachi et applique la sève qui en sort sur la piqûre. Le patient repart. Guéri ? Peut-être pas mais en tout cas soulagé.

Le baje de Cherakhet

Un vieux monsieur magnifique à moustaches, un ami de Dazu, nous rejoint à chaque fois que nous travaillons à Cherakhet. Il habite seul le long de la piste juste à côté des rizières de Dazu mais il y a toujours du monde chez lui quand il y est car il passe en effet beaucoup de temps assis sur le banc du shop avec tous les gens du coin ou de passage. Dès qu’il voit Brigitte, il lui dit qu’elle doit arrêter de marcher si elle ne veut pas que ses jambes rétrécissent !

Lors du repiquage du riz, Dazu lui confiera un travail à sa mesure contre rémunération : jeter les paquets de plants derrière les rolpeuses, c’est-à-dire les repiqueuses.

Man statufié et baje

Une diva dans les rizières

Il est venu accompagné d’un autre baje (grand-père) que nous connaissons bien puisqu’il est LE chanteur à capella, celui qui ponctue de ses chants chaque épisode important de la vie agricole des rizières. Aujourd’hui, il fait un peu sa diva : il faut le supplier et le regarder bien attentivement pour qu’il daigne chanter. Lorsqu’il juge que nous sommes prêts à l’écouter, il nous récompense du chant Sisne-Jaljala.

Nous ne regrettons pas d’avoir été obéissants car ce chant est très beau. Nous le fredonnerons souvent lors de nos balades en montagne ici et ailleurs, en imitant le son rauque du chanteur des rizières.

Repos bien mérité

Birami

Il est l’heure de rentrer à Lochabang pour un joyeux repas de rotis partagé par les travailleurs. Désormais, Didi Sandra prépare tous les rotis avec de la farine de blé car les stocks de maïs sont terminés… Il était temps de semer !

La chaleur et les reflets du soleil dans la rizière ont eu raison de Laurent qui tombe à son tour malade, birami. Man, lui aussi, commence à suivre les traces de Brigitte à Bayele. Au tour de Brigitte, encore bien faible, de s’occuper de Laurent à Horlabot et de le coucher comme un bébé avant de redescendre à l’énergie à Lochabang donner quelques médicaments à Man.

Manisha, étudiante confinée

En poursuivant son chemin vers Chinkhet en quête de surots pour Didi et Dazu, Brigitte fait la connaissance d’une bahini qui étudie en vivant dans un « hostel » à Musikot, comme Manisha, la fille de Man, le fait à Katmandou. C’est un système mis en place pour permettre aux jeunes sans argent de continuer leurs études jusqu’à l’équivalent de fin de lycée. Toutefois, cela ne leur permet pas de poursuivre des études universitaires.

Manisha force notre admiration car elle vit seule dans son « hostel » à Katmandou depuis le début du confinement, quasiment sans argent, sans sa famille, sans ses amies qui ont déserté les lieux pour rentrer dans leurs villages avec leurs parents. Elle fait tout cela dans l’espoir de pouvoir passer son examen final ! Elle devra finalement attendre plus d’un an pour obtenir son diplôme. Bravo Manisha !

Notre piteux état de santé nous promet une mauvaise nuit mais peu importe car ici, au Rukum, nous sommes simplement heureux et n’échangerions pour rien au monde notre place au paradis.

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