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Moisson à Cherakhet

Samedi 25 avril 2020. Réveil 5h00 au paradis où l’oiseau invisible crie sa joie de retrouver le soleil après l’orage de la nuit.

Ce beau temps est annonciateur d’une grande journée de moisson. Dès que le soleil aura séché les blés, l’équipe recrutée par Dazu se rendra à Cherakhet pour récolter les épis. Brigitte part très tôt se balader car pour nous il est inenvisageable de ne pas participer aux travaux agricoles.

Nos hôtes sont toujours les derniers à planter ou à récolter. Dazu et Didi ont en effet besoin de bras pour les aider et ils doivent attendre que leurs proches aient terminé leurs propres tâches. Ce décalage leur permet parfois de bénéficier d’une météo plus favorable. Cette année, ce n’est pas le cas : les caprices du ciel ont retardé la moisson.

Une équipe fidèle

Vers onze heures, tout le monde est sur le pied de guerre dans les champs de Cherakhet, après avoir mangé à Lochabang les rotis que Didi Sandra a préparés en se levant bien avant l’aube.

Nous retrouvons l’équipe à dominante féminine composée des deux tantes de Man qui sont deux sœurs qui partagent le même mari, leurs filles, des didis de Kibane, des didis Magar de Lochabang, le mari de Bina, son fils Santosh, son frère Ganesh, et le baje (grand-père, surnom affectueux donné aux hommes âgés) de Cherakhet. Seuls seront payés ceux à qui Dazu n’aura pas rendu et ne pourra pas rendre un service équivalent.

Aujourd’hui, Didi Sandra ne participe pas à la récolte. Elle est restée à Lochabang pour préparer un immense dal bhat que tous les membres de l’équipe viendront manger après avoir fini le travail.

Pratiques ancestrales

A Cherakhet, le blé pousse dans les rizières qui forment de petites parcelles. Il est moins dense que celui qui pousse dans les champs de maïs. Les femmes magnifiques dans leurs saris multicolores ont commencé la moisson. Elles progressent en ligne, accroupies, dans une ambiance très joyeuse. D’une main, elles serrent les tiges déjà coupées et attrapent les suivantes. De l’autre, elles tranchent avec leur hachi. Régulièrement, elles se relèvent, isolent quelques tiges qu’elles serrent de leur main libre autour de la gerbe. C’est alors qu’à bout de bras, de leur poignet, elles impriment un mouvement de rotation à leur gerbe. Ce geste exécuté avec grande dextérité leur permet de lier solidement la gerbe. L’ensemble s’apparente à un ballet parfaitement orchestré.

Une barre de coupe multicolore !

Nous sommes plongés dans un passé pas si lointain où nos ancêtres devaient peu ou prou effectuer les mêmes gestes. Nous pourrions rester là simplement à admirer ces femmes en action. Dazu ne nous demande d’ailleurs rien de plus. Il tenait à ce que nous assistions à cette moisson traditionnelle et que nous filmions ces scènes de cette vie rurale du Rukum qu’il craint de voir disparaître.

Une récolte festive

Trouver sa place

Pendant que Laurent filme, Brigitte apporte sa contribution. Elle a trouvé sa place parmi les hommes qui effectuent des tâches moins sophistiquées. Leur travail consiste à regrouper les gerbes pour former de gros ballots. Dazu assis sur le rebord d’une rizière fabrique des cordes avec de longues herbes qu’il a soigneusement sélectionnées. Ces herbes torsadées et ligaturées forment des liens très solides.

Brigitte au travail

Lorsque Didi coupe l’herbe pour les animaux, elle prend bien soin de laisser les touffes drues de cette herbe très spéciale qui sert également à fabriquer les petites balayettes (« cousso ») pour nettoyer le sol des maisons.

Brigitte va chercher les gerbes et les pose sur le cordage naturel sous le regard amusé du baje de Cherakhet, l’ancien qui participe à tous les travaux. Quand il juge le ballot complet, Dipendra prend le relais pour solidariser les gerbes en serrant énergiquement en servant du poids de son corps. Chaque ballot doit peser une cinquantaine de kilogrammes.

Ambiance festive

Quand une parcelle est finie, chacun s’accorde une pause. On allume la sulpa que l’on fait tourner et on boit une gorgée de mohi. Sans trop attendre, le travail reprend car le ciel s’assombrit et la récolte doit impérativement être mise à l’abri avant que l’orage n’éclate.

Bientôt, la dernière parcelle est coupée. Une quarantaine de ballots sont répartis dans les différentes rizières. Il est l’heure de faire un premier voyage. Dazu confie à Laurent la dizaine de hachis qu’il avait fournies aux femmes. Brigitte rentre avec la jarre de mohi vide. C’est symbolique mais nous avons le sentiment de participer, de faire partie de la communauté.

Le ballet des ballots

Hommes et femmes chargent sur leur dos un ballot sanglé sur leur front et se mettent en route. Un tableau surréaliste se dessine sur la piste où nous ne voyons que des gerbes de blé qui semblent progresser avec leurs petites jambes.

Les bottes en marche

Une joyeuse compétition s’organise spontanément. A notre grande surprise, les plus solides se mettent à courir avec leur charge jusqu’à Lochabang situé à environ deux kilomètres des rizières. Quelle énergie ! En chemin, Dazu recrute quelques jeunes de Cherakhet qui viennent donner bénévolement un coup de main. En fait, ce sont des hommes à qui Nanda Bahadur « prête » des champs. Ils feront deux voyages.

Didi Sandra qui est montée pour assister à la fin de la moisson est incorrigible : elle glane les épis oubliés dans les rizières pour ne rien perdre. Elle rentre bien entendu avec un des plus gros ballots sur le dos. Man ferme la marche loin derrière les femmes. Il a perdu l’habitude de porter de telles charges.

Didi veille au stockage du blé

La récolte à l’abri

A Lochabang, Dazu coordonne le stockage des ballots qui arrivent les uns après les autres. Laurent lui prête main forte pour les empiler le long de l’escalier qui mène aux chambres de la maison.

Il ne reste plus qu’une dizaine de ballots à descendre de Cherakhet. Comme l’orage semble encore loin, tout le monde peut partager le copieux dal bhat préparé par Didi Sandra. Les femmes retourneront après le repas chercher le reste de la récolte.

Dal bhat pour toute l’équipe

Ces moissons, comme toutes les récoltes, sont des moments de joie, l’aboutissement d’un long travail qui assure la nourriture et donc la vie. Nous avons l’agréable impression d’être adoptés par tous les moissonneurs. C’est un peu comme si nous avions toujours vécu ici.

L’orage n’éclate finalement quelques minutes après que la bâche a été posée et solidement fixée au-dessus des bottes de blé. Dazu imperturbable et rassuré de savoir sa précieuse récolte à l’abri découpe des morceaux de canne à sucre qu’il offre à tous les travailleurs avant qu’ils ne rentrent chez eux.

Respecter la tradition

Nous prenons le thé pour conclure cette fabuleuse expérience. Dazu est très déçu car il n’a pas trouvé de viande à acheter. Ce soir, nous n’aurons donc pas l’occasion de déguster la soupe de chèvre qui ponctue traditionnellement cette belle journée de moisson.

Il nous promet de bientôt accomplir ce qu’il considère être son devoir pour nous remercier. C’est un comble ! Nous tentons vainement de lui faire comprendre que cette journée était pour nous un formidable cadeau. Mais Dazu n’en démord pas : la tradition doit être respectée.

Des projets plein la tête

Man remonte avec nous à Horlabot. Il nous fait prendre un nouveau chemin qui traverse toutes les terres qui appartiennent à ses parents. Nous faisons le tour du propriétaire avant de disserter de nos futures escapades. Man a imaginé un circuit de trois jours au cours duquel nous dormirions chez l’habitant à Likhabang et Melchaur. Cet itinéraire nous permettra de découvrir l’alpage de Bamphu et de parcourir les arêtes du Trisul, aux frontières du périmètre dans lequel nous avons l’autorisation de nous déplacer.

Man a ce projet depuis le début de notre séjour à Horlabot mais la présence de Bhim et de son équipe nous empêchait de le concrétiser. En quelque sorte, ils nous séquestraient pour être certains que Man ne s’enrichissait pas en venant explorer avec nous ! De plus, se lancer dans une telle aventure avant leur départ n’aurait fait que compliquer les négociations auxquelles Namgyal sera inévitablement confrontées dès que le lockdown sera terminé…

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