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Nouveaux horizons

Vendredi 24 avril 2020. Réveil au paradis toujours plus délicieux. L’oiseau crie son bonheur.

Laurent fait chauffer de l’eau pour le café. Désormais, il remplira nos thermos le soir avant de cuisiner pour éviter d’avoir à refaire du feu le matin et surtout pour économiser notre stock de bois. Subvenir à nos besoins essentiels va devenir une des occupations importantes de notre quotidien ; un retour à la vie basique que nous apprécions.

En guise de petit déjeuner, Laurent s’offre une gamelle de riz froid, les restes de notre dîner, avec un peu de ketchup ou d’une sauce verte très épicée, un reliquat des courses faites avec Bhim qu’il faut bien terminer avant de passer exclusivement à la nourriture locale. Brigitte ne change pas ses habitudes : elle pratique le ramadan perpétuel.

Chaque matin, Laurent part glaner le bois abandonné çà et là sur les terrasses de Horlabot.

Libres comme l’air

Le ciel est d’une clarté limpide après le violent orage nocturne. Nous attendons des nouvelles de Man avec impatience. Jusqu’ici, nous savons seulement que le bus de l’équipe est sorti du Rukum. Normalement, il devrait avoir atteint Katmandou.

Nous nous sentons plus légers de nous retrouver seuls à Horlabot. Le mot le plus juste serait « libres » car Brigitte ne redoute plus l’accueil glacial de Bhim au retour de sa longue et magnifique balade matinale. Notre chef cuisinier épiait nos moindres faits et gestes pour y déceler un signe de désespoir. Malheureusement pour lui, notre adaptation à la vie simple du Rukum a petit à petit annihilé ses espoirs de nous voir formuler une demande de rapatriement sur Katmandou auprès de notre ami Zimba.

Plus nous étions « libres », plus Bhim s’enfermait dans de noires pensées. Plus nous étions heureux avec la famille de Man, plus il mettait la pression sur notre ami allant jusqu’à l’accuser de nous « kidnapper » à Horlabot pour gagner de l’argent. Il tentait de faire courir cette rumeur dans le village mais les habitants y étaient, heureusement, peu réceptifs.

Le départ de l’équipe nous ouvre de nouveaux horizons

Café en famille à Horlabot

Didi, Dazu et Jessica doivent également se sentir libérés d’un poids. A partir du départ de l’équipe, ils monteront presque tous les jours à Horlabot. Cette visite quotidienne va bien au-delà de la mission protectrice à notre égard. Ils semblent heureux de voir Horlabot revivre. Cela leur rappelle avec nostalgie le temps où toute la famille vivait ici avec les grand-parents et les jeunes enfants.

Dazu ce matin a pris une grande décision. Il ne nous parlera plus qu’en nepali. A vrai dire, ça ne changera pas grand-chose à notre conversation. Il veut que nous apprenions à parler sa langue. Tous les jours, Didi et Dazu nous apprendront quelques mots et petit à petit, nous arriverons à mieux nous comprendre.

Bientôt, un rituel va s’instaurer : tous les matins Dazu arrivera suivi de Didi Sandra et de Jessica et nous prendrons ensemble un café accompagné d’une cigarette « Kukhuri ». Comme nous avons bientôt épuisé les stocks de café lyophilisé achetés pour notre trek, nous en rationnons les derniers grammes. Le breuvage reprendra une meilleure couleur quand Brigitte finira par dénicher des petits pots de Nescafé dans une minuscule boutique de Chinkhet enfin ré-ouverte.

Nous continuerons le rationnement pour respecter la pratique locale car ici le café est un luxe que l’on consomme avec une extrême modération comme tous les produits importés.

En offrant des « Kukhuri » avec filtres, Brigitte a l’espoir de moins nuire à la santé de Didi et Dazu. Au début ils ne seront pas contents car ces cigarettes sont plus chères que leurs traditionnelles « Bijuli » et ils ne veulent pas que nous dépensions trop d’argent pour eux. Cependant, après un certain temps ils apprécieront de ne pas avaler de bouts de tabac en fumant.

Nous prendrons toujours soin de garder un thermos d’eau chaude pour eux afin d’entretenir le rituel du café matinal qui nous enchante !

Mission « internet » à Banphikot

Une deuxième routine se met doucement en place. Nous montons à Banphikot dès que nous en avons l’opportunité pour communiquer avec nos proches et suivre l’évolution de la pandémie. Aujourd’hui, nous allons faire chou blanc. L’orage d’hier soir a causé de nombreux dégâts. Des poteaux électriques sont tombés ici et là. Faute d’électricité, nous n’aurons pas de connexion internet. Cela deviendra bientôt monnaie courante en période de mousson.

Il règne une agitation inhabituelle autour des bureaux du VDC. A l’intérieur, Dharma tient un grand meeting. IT Sir, au chômage technique faute d’électricité, nous explique que le chef de la municipalité rurale transmet des consignes aux responsables de chaque village pour gérer au mieux le retour massif au pays des habitants de Katmandou.

Les réfugiés de Katmandou

Arrivés à Lochabang, nous croisons un tracteur avec un chargement inhabituel. Dans la remorque, plusieurs dizaines de personnes sont entassées avec leurs bagages. Ce sont certainement des habitants de Katmandou qui ont profité de l’assouplissement ponctuel du lockdown pour rentrer dans leurs villages. Cet afflux de personnes fait courir un risque à la population locale jusqu’ici totalement préservée du virus.

Nous prenons la mesure de l’ampleur du problème auquel le gouvernement népalais doit faire face. Dans l’urgence, ils ont choisi de répondre à la crise humanitaire aux dépens de la crise sanitaire. Ces réfugiés ne sont soumis à aucun test avant d’embarquer dans les bus et ne devront pas observer de quarantaine à leur arrivée. Peut-on reprocher au gouvernement ce pragmatisme ?

Quelques mesures de makai

Didi nous dit que Man est à Horlabot. Il est rentré seul de Musikot. Quelle bonne nouvelle ! Nous l’attendons avec sa mère qui vend du makai, c’est-à-dire du maïs, à une voisine. Didi Sandra n’a pas respecté les injonctions de son fils qui lui demandait de ne pas vendre un gramme de leur récolte pendant le temps du confinement. Le conseil de Man est rempli de sagesse mais appliquer cette règle inhabituelle est impossible à Didi pour qui venir en aide à quelqu’un est trop naturel.

Didi remplit généreusement les mesures de maïs

La maman de Man remplit un récipient dont le volume est normalisé et correspond à un pati, soit un peu plus de 4,5 litres. Didi est généreuse. Les mesures débordent de grains. Didi verse cinq ou six mesures dans le grand sac défraîchi apporté par la jeune femme. En échange, cette dernière lui donne quelques billets. Un pati coûte cent roupies.

Man libéré

Man nous rejoint heureux. Il nous épargne le récit détaillé de son horrible trajet vers Musikot en compagnie de l’équipe qui n’a eu de cesse de médire sur nous, sur lui et sur sa famille. Quels ingrats ! Il est vraiment soulagé du départ de l’équipe dont le bus est bien arrivé à Katmandou. Lui aussi se sent plus libre !

Nous commençons à faire des projets de circuits de quelques jours en logeant chez l’habitant. Man a d’ailleurs pas mal d’endroits à explorer dans son propre fief car il ne vient pas souvent dans son Rukum natal et quand il vivait encore à Lochabang, ses déplacements étaient simplement utilitaires. Jusqu’à présent nous ne pouvions pas nous permettre de quitter Horlabot quelques jours de peur d’attiser la colère de Bhim !

La Khora du Sisne

Notre ami arrive avec un grand rouleau qu’il déplie fièrement sur le sol de la cour pour nous montrer la grande carte plastifiée qu’il a fait imprimer à Musikot. Il s’agit de la carte topographique du Sisne que Laurent lui avait trouvé sur internet. Ces six mètres carrés de bâche vont devenir le centre d’attention de tous les passants. Dans les jours qui vont suivre, Man et Laurent vont souvent se pencher dessus pour étudier les courbes de niveaux et imaginer la Khora du Sisne, c’est-à-dire le tour du sommet emblématique du Rukum.

Man nous dévoile sa Khora du Sisne

Réaliser le tour de « sa » montagne est devenu pour Man plus qu’un projet. Nous le sentons spirituellement investi de cette mission qui devrait lui permettre de tracer le chaînon manquant de sa traversée intégrale du West Dhaulagiri au plus près des sommets. Pour lui, ce serait mettre un point final à son travail de cartographie commencé en 2014. Cette idée l’obsède, hante ses jours et ses nuits.

Nous imaginons Man tiraillé entre le désir de vivre son rêve et la crainte de réussir qui pourrait mettre un terme à cette vie d’explorateur qui lui apporte la liberté dont il est épris.

En remontant à Horlabot, nous nous apercevons que Bhim a emporté avec lui la lampe solaire que Namgyal nous avait donnée avant notre départ de Katmandou. Peu importe, ce dernier méfait nous rapproche un peu plus des conditions de vie ancestrales : nous devrons cuisiner et manger avant la nuit.

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