Dimanche 26 avril 2020. Réveil 5h00 au paradis de l’oiseau qui lance quelques cris apeurés dans le décor sublimement effrayant de l’orage.
Cette nuit nous avons eu la visite du chien de Dhami aboyant à la poursuite d’une bête sauvage. Ces fortes pluies ne sont qu’un petit prélude à la mousson que nous découvrirons bientôt. A la fin du déluge, nous voyons arriver Dazu, Didi, Jessica et Man suivis par leur chèvre et ses deux petits.
Ce matin, très discrètement, les tantes de Man ont déchargé leurs dokos remplis de terre ocre au rez-de-chaussée de notre maison. Elles ont dû se lever très tôt pour aller à Jhula extraire l’ingédient indispensable à tout bon peintre du Rukum ! Nous ne les avons même pas entendues. Man est ravi car, grâce à elles, il va pouvoir reprendre la rénovation d’Horlabot.
Première visite de Didi
Didi Sandra Khola monte pour la première fois à Horlabot depuis notre arrivée. Nous lui préparons un thé sur le feu de bois. Elle nous explique qu’elle n’a jamais aimé le foyer à deux trous que nous utilisons car il est inadapté à la cuisson des rotis. Didi regarde d’un air critique le souffleur d’air à manivelle, pourtant très efficace, que Man lui a ramené du Dolpo. Elle lui préfère un simple tuyau en bambou dans lequel elle souffle avec plus de précision.
Ses petites phrases critiques semblent juste destinées à masquer son émotion d’être ici avec Man et de voir revivre les deux maisons où elle a habité avec ses beaux-parents et ses enfants petits pendant que Dazu était dans l’armée indienne. D’après Man, c’était le paradis! Brigitte se demande si l’oiseau criait déjà.
Mortier de terre
Juste le temps de boire le thé et nous nous mettons au travail. Avant de crépir, il faut colmater les trous avec un mortier à base de terre. La préparation de ce mortier est très simple. Nul besoin d’aller bien loin chercher la matière première ! Quelques coups de posalo au pied de la maison, ce petit pic à tout faire, un peu d’eau, un bon malaxage avec les pieds et le tour est joué.
Laurent enlève les multiples couches de crépi délitées de l’escalier extérieur pendant que Man répare les dégâts causés par les rongeurs dans le sol et les murs de la maison. La spécialiste locale de l’ocre selon Man, une didi de Kibane, arrive à son tour. Horlabot s’anime !
Didi et Dazu sont redescendus à Lochabang. Brigitte n’ayant pas de tâche attitrée s’échappe pour une petite exploration.
Deux couches d’ocre
La didi peintre aidée de Jessica fabrique un mélange à base d’ocre et de bouse de buffalo encore fraîche que Man est allé se procurer juste au-dessus auprès de Dhami. Elles ajoutent un peu d’eau et malaxent le tout énergiquement. Jessica qui semble adorer ce travail se retrouve rapidement ornée de belles peintures de guerre sur le visage. Comme à l’habitude, la bonne humeur règne et les rires ponctuent le travail.
Deux couches seront nécessaires pour redonner fière allure à la maison. La première couche consiste en un crépi assez grossier qui est déposé à la main. La deuxième couche dite de finition est plus liquide et passée au « pinceau ». Quand l’entretien est régulier, il suffit de repasser une couche de finition pour redonner à une habitation sa belle couleur ocre typique des maisons du Rukum.
Pour passer la couche de finition, il faut, bien entendu, attendre que le crépi soit sec. Man espère que ses tantes trouveront un créneau libre dans leur emploi du temps très chargé pour retourner chercher de l’ocre. La récolte du blé terminée, les travaux agricoles ont déjà repris : il faut maintenant labourer et planter le maïs.
La peintre de Kibane attaque donc le sol et les murs intérieurs de notre maison. Pendant ce temps, Man et Laurent consolident l’escalier avec du mortier.
Ravitaillement en bouse
Vers 11h, Man, Jessica et Laurent descendent manger à Lochabang et y retrouvent Brigitte. Elle discute avec un instituteur de Simtaru contraint à l’inactivité par le confinement. En fait, il s’agit d’un simple monologue car ce dernier ne cesse de lui faire promettre d’intervenir dans sa classe quand elle sera ré-ouverte. Didi le regarde avec l’habituelle bienveillance dont elle fait preuve pour tous ceux qui abusent un peu du raksi. La fermeture des écoles ne nuit pas qu’aux élèves !
Les rotis de Didi et son tarkari sont excellents, comme toujours. Nous mangeons rapidement car nous devons remonter à Horlabot pour apporter le repas à notre peintre et un doko de bouse afin qu’elle puisse poursuivre le travail après une pause bien méritée.
Thé masala sur un « rooftop »
Nous abandonnons le chantier en début d’après-midi pour nous rendre à Chinkhet afin d’y acheter des matelas en mousse pour nos futures virées en « homestay ». Man, quant à lui, est déjà équipé d’un matelas auto-gonflant. Il nous fait découvrir un nouveau chemin qui rejoint l’arête au-dessus de Chinkhet. En route, nous sommes surpris par la pluie et nous nous abritons quelques instants chez une famille qui habite sur les hauteurs du quartier Magar de Lochabang. L’accueil est très chaleureux comme toujours !
A Chinkhet, nous nous rendons dans une échoppe au rez-de-chaussée d’un des petits immeubles, souvent très colorés, qui a poussé récemment dans le Bazar. Le propriétaire est un proche de Man, un oncle ou un cousin, qui ouvre sa boutique spécialement pour nous. Après nous avoir vendu deux morceaux de mousse qui nous serviront de matelas, il nous invite à prendre le thé sur la terrasse, au quatrième étage de son futur hôtel. Il est extrêmement fier de son « roof top ». Son thé masala très épicé est délicieux.
Man nous explique qu’en temps normal beaucoup de chauffeurs de camions et de jeeps venus ravitailler le secteur ou ralliant le Dolpo transitent par Chinkhet Bazar. D’après lui, un bon commerçant peut aisément y faire fortune.
Les pinceaux de Dhami
Nous remontons à Horlabot où nous constatons que la didi de Kibane a dû interrompre la peinture faute de matière première. Auparavant, elle a néanmoins terminé l’intérieur de la première maison et l’escalier. Dhami vient admirer les travaux et nous apporter les pinceaux commandés par Man ce matin. Il a confectionné trois balayettes à partir d’une herbe qui devient rigide quand elle est sèche. C’est un véritable petit chef d’œuvre de tressage artisanal que nous regrettons aujourd’hui de ne pas avoir emporté dans nos bagages. Nous préparons un thé pour Dhami comme il est de coutume avec tous les visiteurs.
Ce soir, nous sommes conviés à Lochabang pour assister à la préparation du ghyu, une sorte de beurre clarifié. Avant de descendre, Man et Brigitte repiquent les plants d’aubergines que Man a acheté il y a deux jours à Musikot. C’est le début de notre potager.