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Préparation du ghyu

Dimanche 26 avril 2020, 18h. Dazu nous attend à Lochabang. Il veut nous montrer comment il sépare le petit lait du beurre. Encore une fois, il nous demande de filmer les opérations pour conserver une trace de cet héritage ancestral.

Dazu s’installe dans un coin de la cuisine où sont entreposées les magnifiques jarres en bois au contenu jusqu’ici mystérieux. Ces objets d’art font partie du patrimoine familial. Ils ont été confectionnés sur un tour il y a plus de vingt-cinq ans.

Tous les jours après la traite, « le lait frais est bouilli afin d’enlever les mauvaises odeurs », nous explique Man. Ses parents le versent dans les jarres où, sans additif, il devient naturellement en trois jours un délicieux yogourt qu’il est assez rare de déguster. En effet, les habitants du Rukum le destine principalement à la fabrication du beurre clarifié, le ghyu, qui peut se conserver pendant de longs mois.

Autrefois, ce produit dérivé du lait servait de monnaie d’échange pour commercer avec les populations des plaines du Gange où il prend plutôt le nom de ghee et parfois une dimension sacrée. La médecine ayurvédique lui attribue de nombreuses vertus. Ceci lui vaut son surnom: l’« or de l’ayurveda ». De nos jours, les troupeaux sont plus modestes et les familles le produisent essentiellement pour leur propre consommation.

Une pratique ancestrale

Dazu commence par transvaser le contenu de toutes les jarres dans une grande bassine en aluminium, la gamelle des buffalos ! Il ajoute ensuite quelques grands bols d’eau froide au yogourt et remue le tout pour obtenir un mélange homogène dont il remplit au deux tiers la plus grande des jarres en bois.

Première étapes

Dazu prend soin de décomposer tous ses gestes avec lenteur afin que Man puisse nous les expliquer. Il dépose la jarre à une trentaine de centimètres du mur où pend un morceau de bois dont la forme rappelle celle du descendeur baptisé « huit » couramment utilisé en alpinisme. Ce « huit » est attaché au mur par un des deux trous. Dazu s’empare d’un bâton d’environ un mètre de long et plonge son extrémité doté d’ailettes en bois dans le pot de yogourt. Il enroule alors consciencieusement une ficelle dotée de deux poignées en bois autour du long bâton noirci par la fumée du foyer, avant de glisser son extrémité supérieure dans le trou libre du « huit ».

Nous comprenons maintenant que c’est le frottement du « huit » qui a creusé au fil des jours une petite gorge dans le bâton, décorant ainsi celui-ci du bel anneau clair que nous avions immédiatement remarqué. Distinguer cette marque dans la pénombre de la cuisine nous avait ramené à nos jeux d’enfants, lorsque nous sculptions au couteau l’écorce de nos bâtons pour les orner d’anneaux clairs.

Dazu s’assoie sur un sakati face à la jarre, pose ses pieds contre elle, resserre les dix anneaux de la ficelle sur le bâton et s’empare des poignées. Il se tourne alors vers nous pour vérifier que nous sommes bien prêts à filmer et nous adresse même un « ready ? » pour s’en assurer.

Le barattage

L’acteur du soir joue une scène de son quotidien. Dazu est fier et heureux. Didi observe en silence, avec un regard affectueux et admiratif, son bura, son mari qui se met en action. Dazu imprime une rotation au bâton en tirant alternativement sur les poignées. Dans la jarre, les ailettes brassent le yogourt. Pour que le barattage soit efficace, le mouvement doit être énergique et régulier.

L’exercice est assez physique car, lorsque le yogourt prend en crème, actionner la tige avec la corde devient de plus en plus difficile. De temps en temps, Dazu s’arrête pour observer le contenu de la jarre. Il incline l’ouverture vers nous afin que nous puissions constater l’avancement du travail. Il ajoute alors un peu d’eau froide ou chaude selon un diagnostic qui restera pour nous obscur. C’est le savoir-faire du baratteur expérimenté qui s’exprime !

Extraction de la crème commentée par Man

Quand Dazu juge que la séparation du « beurre » est aboutie, il verse délicatement le petit lait, le mohi, dans une autre jarre. Il extrait ensuite, à la main, la crème onctueuse et bien grasse dans une grande casserole.

Du cœur à l’ouvrage

Dazu peut alors entreprendre un nouveau cycle. L’opération complète durera plus de deux heures. Nous aurons tous l’occasion de nous essayer au barattage à la mode du Rukum. Nous mettons comme Jessica beaucoup de cœur à l’ouvrage mais rien n’y fait. Notre manque d’efficacité amuse nos hôtes attendris. Pour nous rassurer, nous nous disons que Dazu n’a pas divulgué tous ses secrets de fabrication.

S’essayer au barattage

Comme toujours, le travail se fait dans la joie. Alors que Dazu a repris les poignées en main, Didi fait bouillir le mohi de la première jarre car Man veut essayer de faire du sérac. Pour elle, c’est une première. Avec Man, nous nous régalons de ce fromage. En revanche, le résultat fera faire une grimace à Didi qui n’aime pas le goût du fromage. Nous ne renouvellerons pas l’expérience.

Un sérac peu apprécié

Lorsqu’il termine le barattage de la dernière jarre de yogourt, Dazu retire le bâton en prenant soin d’ôter la crème qui s’y accroche afin de ne rien perdre. Cette crème blanche épaisse ne ressemble pas à du beurre. Elle fait plus penser à la double crème dont nos amis suisses de Gruyère enduisent les meringues.

Le barattage est terminé
Que d’énergie dépensée pour peu de crème !

La clarification

Didi Sandra prend alors le relais pour clarifier cette crème en la faisant doucement fondre sur le feu de bois. Ses composants se séparent. La protéine du lait, la caséine, forme une mousse à la surface. Juste en dessous, on trouve une couche de lipides et, au fond de la casserole, le petit lait qui n’a pas été évacué mécaniquement lors du barattage. Tandis que Didi retire avec une cuillère l’écume en surface, progressivement, le petit lait s’évapore.

Le ghyu est prêt

Quand Didi estime que l’évaporation est complète, elle verse le beurre clarifié encore chaud dans une boîte métallique en le filtrant pour éliminer le reste de la caséine. Elle ferme hermétiquement le pot et l’entrepose sur une étagère, à température ambiante.

Didi nous régale

Didi a préparé le dal bhat avant notre arrivée. Le temps de réchauffer le dal, nous montrons à Dazu les photos et les vidéos que nous avons réussi à réaliser malgré l’absence de lumière. Il est enchanté de se voir accomplir cette tâche traditionnelle qui leur tient tant à cœur de préserver.

Ce soir le dal a une saveur nouvelle car il n’est pas à base de lentilles mais de gros haricots secs. Le tout est accompagné d’un pickles de mûres pas encore mûres broyées avec du korsani, c’est-à-dire du piment. Didi avait mis de côté un bol de yogourt qu’elle nous sert en guise d’accompagnement du dal bhat. Un vrai régal !

Le rituel de la sulpa

Nous terminons la soirée en fumant la sulpa. Didi la prépare avec du tabac local auquel elle a ajouté des copeaux d’un bois bien sec à l’essence inconnue. Elle l’allume ensuite avec une braise qu’elle pose au-dessus du tabac tassé avant d’inspirer profondément par l’autre extrémité de la poterie au travers d’un chiffon rouge qui sert de filtre. Le corps de la sulpa est gravé de sortes de hiéroglyphes qui lui donnent un petit air égyptien.

Brigitte et sa sulpa

Nous remontons très tard à Horlabot malgré l’insistance de Didi qui souhaite nous voir dormir à Lochabang. Cette journée qui s’achève est qualifiée d’un majuscule « MAGNIFIQUE » dans le carnet de voyage de Brigitte et ce n’est pas exagéré ! Ces moments partagés resteront à jamais gravés dans nos mémoires.

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