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La réception au Bhojan Griha

Samedi 14 mars 2020. Ce matin, nous nous levons tôt, comme d’habitude, mais c’est un peu plus difficile que d’ordinaire car nos soirées sont très mouvementées en ce moment. Nous montons sur la terrasse en travaux observer avec enchantement la vue embrumée sur Katmandou. Sur le toit d’en face, le prieur hindouiste nous fait partager ses rituels au son de sa trompette. Quel bonheur de boire un café, de fumer une cigarette ou d’écrire son carnet de voyage dans cette merveilleuse atmosphère ! Ajoutons à cette extase matinale, le plaisir de caresser le carnet noir en moleskine, réplique de celui des explorateurs célèbres, avant de l’ouvrir en faisant sauter du bout des doigts l’élastique qui le maintient fermé. Comme dirait un de nos amis : « Si c’est cela le paradis, suicidons-nous immédiatement ! ».

Le « Farmers Market » de Bodnath

Nous avons rendez-vous avec Namgyal à huit heures. Il nous emmène, comme convenu la veille, à l’Utpala Café qui organise le marché des producteurs locaux de Bodnath. Ce marché aux airs tibétains est le rendez-vous saturnal pour toute la communauté sherpa aisée. Doma, Namgyal et les enfants ont l’habitude d’y prendre leur petit-déjeuner avec leurs amis. Nous sommes touchés de l’invitation à partager ce moment qui leur tient à cœur.

Nous allons être « déçus en bien ». Cette expression suisse romande traduit parfaitement nos sentiments : ce n’est ni l’endroit à la mode où il fait bon être vu, ni le lieu touristique que nous redoutions ; c’est juste un rassemblement assez simple de petits producteurs locaux et de restaurants improvisés pour l’occasion. Brigitte redoutait un marché similaire à celui de Paddington, un quartier de Sidney. Dans ce marché australien, les vendeurs proposent pour des prix astronomiques des objets dont on ne voit pas trop le rapport avec quoi que ce soit mais qu’il fait bon genre d’acheter pour montrer son appartenance à la communauté « branchée ». Ici rien de tout cela, les denrées et objets vendus ont une utilité et les prix ne sont pas déconnectés de la réalité.

Des produits bio et de l’artisanat local

On trouve toute sorte de produits sur ce marché : des légumes bio, du miel, des pommes séchées, et même des baguettes de pain. A côté des produits proposés par les petits cultivateurs locaux, il est possible d’admirer de jolis objets en bois, des céramiques ou encore des poteries fabriqués par des artisans, des associations ou des moines. Nous craquons pour une magnifique théière en céramique bleue. Il faudra revenir pour les tasses. Cette théière nous est vraiment précieuse en France ; l’utiliser pour préparer le thé nous transporte à Katmandou.

Les producteurs locaux du Farmers Market

Au milieu des stands, nous croisons Yangjin, l’épouse de Dr Nima, qui est une habituée des lieux. Décidément, nous ne nous quittons plus !

Une association tient un stand de sandales très plates qui nous intriguent. Les jeunes sherpanis s’esclaffent quand nous leur demandons comment on les porte. Elles finissent par nous expliquer que ces sandales sont des serviettes hygiéniques réutilisables ! Aucun tabou chez ces jeunes femmes qui font de leurs protections intimes un combat écologique. Faut-il y voir un combat plus profond, une opposition entre la culture plus libérale des groupes ethniques bouddhistes et le conservatisme de la société hindoue qui juge les femmes impures lorsqu’elles ont leurs règles ?

Namgyal et Doma éclatent de rire à leur tour quand nous leur relatons ce quiproquo. Nous nous installons avec nos amis dans les jardins du café. Namgyal déguste une gaufre en forme de sucette couverte d’un nappage de chocolat. Ce pêché de gourmandise régressive déclenche notre hilarité. Cette sucette est succulente, tout comme les glaces aux parfums exotiques que le vendeur nous fait déguster une à une. Tinley adore. Nous ne pouvons pas partir sans profiter d’un buffet alléchant aux saveurs odorantes. Nous n’arrêtons plus de manger. Il est grand temps que le trek commence…

Pêché de gourmandise

Nous sommes bien conscients que ce marché est réservé à la communauté aisée des Sherpas de Katmandou mais nous sommes agréablement surpris par son caractère assez authentique.

Fini de rire, au travail !

Nous terminons cet étonnant petit-déjeuner avant de rentrer prendre le thé avec le reste de la famille. Danu et Nima essayent d’avancer leur retour aux Etats-Unis, craignant de ne rester bloquer au Népal. Zimba nous refait la théorie du complot. Kalpana tente de récupérer. Sonam sent que son projet de recherche au Khumbu est en péril.

Dans la journée, nous réussirons à appeler nos mères que nous ne pourrons plus joindre au téléphone jusqu’à notre retour à Katmandou prévu fin avril. La situation en France est de plus en plus inquiétante mais tout va bien pour elles. Elles sont rassurées de savoir que pour l’instant le Népal est épargné. Pour la première fois, nous avons le sentiment d’être des réfugiés sanitaires.

Peu avant midi, Bhim arrive dans les bureaux de l’agence après avoir fait quelques achats. Il est plus serein depuis qu’il a appris que Jibi ne se joindrait pas à nous. Il préfère rester seul aux commandes de sa cuisine. Bhim nous présente Modan Rai comme un de ses assistants. Sans plus attendre, Nous partons acheter le kérosène dans une petite boutique. La citerne est sur le trottoir. Nous passons devant tous les jours sans l’avoir remarquée.

Une didi sort de la boutique juste à côté. Bhim lui demande trente litres de kérosène qu’elle verse dans notre bidon avec une mesure de deux litres. Comme il reste de la place dans notre jerrican, Bhim lui dit de compléter. Nous nous inquiétons du poids mais il ignore notre remarque. Quarante litres ! Les premiers jours vont être difficiles. Modan porte le bidon à bout de bras sans sourciller comme pour donner raison à Bhim. Il est sacrément costaud.

Shopping à Thamel

Bhim préfère faire les courses à Thamel dans un magasin qu’il connaît. Nous déposons le bidon à l’agence et nous engouffrons dans un taxi. La boutique est minuscule. On y entre difficilement à deux. Ce n’est pas un de ces supermarchés pour touristes mais une échoppe fréquentée par les cooks des agences de trekking. Le patron est à l’entrée. Notre tour arrive. Nous commençons à parcourir notre liste après avoir demandé à l’employé de nous indiquer le prix de chaque article. Derrière le comptoir, le commis se démène dans tous les sens pour dénicher les produits qu’on lui demande. Parfois, il doit aller chercher les articles dans une arrière-salle. Il est diablement efficace.

Nous trouvons tout ce qui est sur notre liste. Bhim ajoute ce qu’il juge nécessaire et que nous ne trouverons pas en route. Nous essayons de minimiser le poids en choisissant les emballages les plus légers. Nous avons fini. L’employé énonce un à un les produits et les quantités en remplissant des cartons pendant que le patron remplit la note, en anglais, et ajoute les prix unitaires qu’il connaît par cœur. Le responsable du stock recommence déjà son ballet avec le client suivant tandis que le patron termine notre addition sur le clavier de sa grosse machine à calculer, avec une dextérité qu’aurait enviée les meilleures dactylos des années 1960. Une affaire rondement menée.

Derniers préparatifs avant le départ

Bhim trouve un taxi et nous rentrons à l’agence avec nos trois cartons bien garnis. Man est également de retour avec les billets de bus. Nous laissons Bhim ranger les victuailles pour aller parler de l’itinéraire. Man sort « sa » carte et commence à détailler de possibles variantes pour notre itinéraire. Immédiatement, le courant passe entre nous et ce personnage hors norme. De plus, nous partageons la même passion des cartes. Man se penche avec grand intérêt sur les cartes topographiques imprimées avant de partir. L’ordinateur que Namgyal a mis à notre disposition permet de lui dévoiler nos sources. Man nous confirme que nous pourrons trouver du kérosène à Musikot et que trois porteurs du Rukum nous attendent déjà à Sulichaur.

En fin d’après-midi, nous le laissons pour retourner à l’hôtel et nous préparer pour la dernière soirée des festivités du mariage.

Dernière soirée de fête au Bhojan Griha

Kalpana va mieux. Elle sera de la fête orchestrée ce soir par Pema, la tante du marié, la sœur cadette d’Ang Dati. Cette fois nous prenons la direction du Bhojan Griha, restaurant où nous avons rencontré Zimba et Ang Dati pour la première fois. C’était il y a bien longtemps. Dix ans déjà. Au retour d’un trek au pied du Kanchenjunga, notre voyage de noces ! L’ancien palais, qui hébergea le prieur du Roi jusqu’à la chute de la monarchie venait d’être transformé en restaurant. Le bâtiment a énormément souffert lors du tremblement de terre. Néanmoins, l’atmosphère des lieux n’a pas changé avec des danses folkloriques qui s’immiscent entre chaque plat. Toujours les mêmes musiciens. Seules les danseuses sont trop jeunes pour ne pas avoir été remplacées.

Ici, Zimba est un peu le roi du monde. Combien de groupes a-t-il amené au Bhojan Griha ? Un défilé de snacks précède un dal bhat savoureux arrosé des dernières bouteilles de vin.

Nous disons au revoir à cette grande famille avec qui nous venons de vivre des jours inoubliables. La fête est terminée. Nous mettons un terme à cette merveilleuse parenthèse insouciante et rangeons nos tenues de gala.

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