Samedi 28 mars 2020. Réveil très tôt au paradis, les oiseaux crient dans un merveilleux silence.
Au fil des jours nous allons vivre des expériences parallèles et complémentaires qui enrichissent le récit mais compliquent la narration car le « nous » devient souvent un double « je ». Parler de nous à la troisième personne dans ce récit si personnel, nous semble incongru et pourtant comment faire autrement sans vous perdre.
C’est un peu comme si les narrateurs devenaient ces oiseaux qui s’égosillent dans les arbres pour nous réveiller le matin à Horlabot avant de nous suivre chacun sur notre chemin de vie. Le « nous » va de plus en plus souvent s’effacer pour laisser la place à Brigitte ou à Laurent.
Nous sommes inquiets pour Jean, le frère de Brigitte, dont l’opération au cœur a été déprogrammée parce que les hôpitaux sont saturés par des malades atteints du coronavirus. Brigitte s’inquiète également pour sa maman Nicole coupée de sa famille pourtant à proximité et privée de ses amis avec qui elle partage la passion du bridge trois ou quatre fois par semaine. Laurent est plus serein car, déjà en temps normal, sa maman Renée recherche presque la solitude.
Changer de rythme
Nous avons déjà adopté le rythme local et un rituel se met doucement en place. Brigitte très matinale écrit son carnet de voyage, devenu journal de bord d’une nouvelle vie, en buvant son café, avant de partir explorer les lieux pendant que Laurent prend le relai dans la tente.
Aujourd’hui, Brigitte remonte jusqu’au chemin tracé par Man et le poursuit en direction de Dang dans une très belle forêt de pins maritimes pour le moins inattendus au milieu de l’environnement de jungle.
Man dit qu’ils ont été plantés ici de façon stupide. Ils ont remplacé les arbres de la jungle dont le feuillage sert de fourrage aux buffalos, bœufs et chèvres et les branches effeuillées de bois de chauffage (daoura). Hommes, femmes et enfants coupent les branches à la faucille ou avec un khukuri, au péril de leur vie, à des dizaines de mètres de hauteur.
Satisfaite de cette première escapade, Brigitte fait demi-tour en vue des premières maisons de Dang pour ne pas affoler leurs habitants.
Bhim et les araignées
Un peu plus tard, Laurent s’extrait à son tour de la tente. Bhim est debout. Il est inquiet, pressé de récupérer son téléphone laissé en charge chez les parents de Man. Il lui dit avoir passé une très mauvaise nuit : il est effrayé par les monstrueuses araignées. Pourquoi ne veut-il pas utiliser une des tentes pour s’en protéger ?
Modan et Dibi partent allumer le feu pour faire bouillir de l’eau. La cuisine devient rapidement enfumée. L’atmosphère est irrespirable. Les yeux piquent. Il faut rester au ras du sol pour ne pas étouffer. Dibi qui écoute la radio donne à Laurent les nouvelles du jour : le gouvernement demande à la population de ne pas quitter leur maison pendant quatre ou cinq jours.
Dazu chef de chantier
Man arrive en portant un doko chargé d’outils. Dazu et Jessica le suivent. Le père de Man est venu pour orchestrer la réfection du balcon.
Pour améliorer le confort de l’équipe et rassurer Bhim, il veut refaire le balcon afin qu’ils puissent s’installer à l’étage où, selon lui, il y aurait moins d’araignées. Il faut commencer par arracher ce qu’il reste des planches. Pour les matériaux, on utilise les ressources locales. Un beau bosquet de bambous hauts d’une vingtaine de mètres qui pousse au coin de la terrasse en-dessous des maisons à proximité de la source fera l’affaire. Modan et Dorje qui sont de bons manieurs de khukuri vont l’aider à débiter cinq ou six belles pièces aussi rectilignes que possible.
Vers dix heures, avec la bénédiction de Man, nous partons refaire le petit tour reconnu par Brigitte ce matin. Par jeu, nous nous lançons le défi de cartographier les alentours d’Horlabot, avec notre téléphone portable en guise de GPS.
Quand nous rentrons, les bambous sont coupés. Nous mangeons tous ensemble au soleil avant d’attaquer les travaux.
Tout le monde au travail
Malgré le soin pris pour les sélectionner, les longs bambous s’avèrent fort tordus. Il va falloir faire appel à la force collective pour redresser ces véritables troncs afin de les attacher solidement aux poutres qui dépassent du mur de la maison. Pendant que Dibi et Laurent se suspendent aux bambous pour les maintenir à l’horizontale, Dazu, Man et Bhim tirent dessus latéralement depuis les portes de l’étage pour les déceintrer. Modan est chargé de les attacher avec des morceaux de fils de fer rouillés glanés ça et là autour des maisons. Souvent le fil casse, lorsqu’il l’entortille pour serrer l’étreinte sur les bambous. Il faut tout recommencer.
L’opération est périlleuse. La rupture d’une attache provoque un violent retour de bambou. Le tronc libéré de la tension balaye tout sur son passage. Bhim en sera l’unique victime et, par chance, en sera quitte pour une grosse bosse sur le tibia. Cet incident qui aurait pu être dramatique est un véritable rappel à l’ordre mais il n’entame pas l’enthousiasme des troupes. Nous reprenons le travail en essayant de prendre encore plus de précautions.
Dazu veille sur nous
Dazu se montre très attentionné envers nous, comme investi d’une mission protectrice. Il n’aura de cesse de prendre soin de notre sécurité et de notre santé pendant tout notre séjour à Horlabot.
Après quelques heures de labeur dans une ambiance très joyeuse, nous nous installons tous ensemble pour boire un thé bien mérité en admirant le fruit de notre travail. L’étage de la maison est désormais habitable. Dazu et Man rayonnent de bonheur.
Jessica qui trépigne depuis un moment nous répète alors : « mill ma jane ! ». Il est l’heure d’aller au moulin.