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Retour au lac Syarpu

Lundi 22 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis où nous ne sommes pas morts cette nuit. L’oiseau crie « Debout petits Français fragiles! ».

Dazu Nanda Bahadur est monté en éclaireur boire le thé de racines de Didi Magar au poivre noir. Il nous explique en mimant des tremblements de fièvre qu’il faut nous méfier du typhus, que nous sommes plus fragiles que les Népalais, que le mieux serait de rester à Horlabot lorsqu’il pleut beaucoup comme aujourd’hui.

Il serait sage d’écouter Dazu mais pour Brigitte, ne pas vagabonder dans cet endroit inconnu des cartes où chaque pas offre une découverte reviendrait à faire un grand gâchis de l’éphémère splendeur de la vie. Si elle était un dieu, le commandement suprême serait « vivre passionnément chaque instant de la vie ».

Un pont sur la Sani Bheri

Ce matin, elle a prévu de monter au lac Syarpu par la rive gauche de la gorge qui mène à son verrou. Pour accéder à ce vallon escarpé, il faut sortir de Chinkhet par la piste qui file dans la direction opposée de Garaghat, franchir le poste de police, passer devant la fabrique de papier lokta située sur la gauche, dépasser, à droite, le petit temple hindouiste jaune qui domine les rizières bordant la Sani Bheri River et marcher jusqu’à l’endroit où la piste se divise en deux.

Une nouvelle amie pour Brigitte

La branche de droite part en contrebas et franchit un large pont en métal pour les véhicules. Elle s’élève ensuite en zigzags sur la pente raide avant de devenir une longue saignée horizontale qui file à travers la jungle en direction de Musikot que l’on nomme ici Khalanga car il s’agit de la préfecture du district du West Rukum.

Dans peu de temps, la mousson rendra suicidaire cette traversée vers Musikot car elle sera ravagée par de multiples glissements de terrains et autres cascades toutes neuves venus de la crête qui la surplombe.

Le village de Dharma

La branche de gauche s’élève quant à elle le long d’un petit canal en cours de bétonnage. Des ouvrières et ouvriers y travaillent. Plus loin piste et canal franchissent un dangereux glissement de terrain où est planté un panneau qui semble annoncer un danger ou bien des travaux pour le supprimer… Brigitte doit approfondir ses connaissances en népalais !

Pause en bord de piste

Dès la sortie de Chinkhet, elle essaie de tracer le topo de l’itinéraire du jour mais il pleut tellement que toutes ses notes s’effacent au fur et à mesure. Il va falloir qu’elle revienne, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Il est toujours plus confortable pour une vagabonde d’avoir un alibi de vagabondage!

Après avoir franchi le glissement de terrain, la piste traverse un joli village où se trouve, sur la droite, la maison de Dharma KC, notre ami et maire de la municipalité rurale de Banphikot. Peu après le village apparaît un magnifique plateau suspendu couvert de belles rizières au vert tendre qui dominent la majestueuse Sani Bheri et son grand méandre.

Repiquage du riz

La piste passe ensuite entre quelques maisons et devant un centre de vente de médicaments sur la gauche avant d’arriver à la rivière issue du vallon du lac Syarpu. Pour le moment, il est encore possible de la franchir sur une sorte de « pont-gué ».

Jouer à « saute-vallon »

Dans quelques jours, lorsque la mousson commencera à imposer sa loi, il n’y aura pas d’autre choix que de quitter la piste avant le village, monter assez haut sur la gauche à flanc de vallon, franchir un très long pont suspendu qui, tel un joli fil de métal, survole la rivière pour arriver à la même hauteur sur le flanc opposé du vallon.

Brigitte se demande comment de petits êtres humains ont pu le déployer au-dessus d’un tel vide en l’ancrant simplement de chaque côté. Ces ponts himalayens sont de précieux « saute-vallons ».

Pour le moment, le gué est encore franchissable. Femmes, hommes et enfants y sont rassemblés pour moudre le blé au petit moulin, faire la lessive dans les vasques de la rivière ou simplement jouer. L’accueil est très chaleureux. Non seulement Brigitte a enfin compris que ne pas s’asseoir avec les gens est très malpoli de sa part mais c’est devenu un tel plaisir qu’elle ne pourrait plus s’en passer.

La piste se sépare à nouveau en deux branches, l’une file à plat vers la Sani Bheri qu’elle longe ensuite jusqu’à Rukumkot, l’autre monte sur la croupe qui s’élève rive gauche de la rivière qui vient d’être franchie.

Le long de la Syarpu Khola

En s’élevant sur la croupe, Brigitte pensait voir la micro-centrale électrique de Bakle mais il n’en est rien. En fait, pour pour la découvrir, il aurait fallu continuer quelques centaines de mètres sur la piste de Rukumkot. Ce n’est que partie remise!

Par chance, la nature a repris ses droits sur la piste pour dessiner un chemin herbeux qui zigzague sur la croupe offrant tour à tour la vue sur le bucolique vallon du lac Syarpu ou sur l’immense vallée plate façonnée par la Sani Bheri. Cette montée est de toute beauté!

Choisir le bon tuyau !

Quittant la croupe pour partir à gauche au niveau du verrou du lac, Brigitte traverse un village d’où part une petite conduite forcée qui descend probablement à la centrale de Bakle. Ce village est très accueillant et c’est un plaisir pour elle de s’y asseoir quelques instants pour discuter avec les habitants et s’assurer auprès d’eux qu’elle boit au « bon » tuyau noir. Après la désagréable mésaventure de Bayele, elle a appris à discerner la subtile différence de diamètre entre tuyau d’eau potable et tuyau d’eau agricole mais la confirmation de son choix par les habitants est rassurante.

Après ce village, le chemin continue sa montée pour rejoindre un peu plus haut une piste taillée récemment dans les flancs de la colline. Cette large saignée d’ocre permet de franchir le verrou du lac.

Nouvelle entaille dans la colline

Les rives du lacs

Au-dessus du verrou, le lac se dévoile et Brigitte découvre un joli village, posé sur ses rives, qu’elle baptise arbitrairement « Syarpu rivage »). Elle quitte ensuite la piste qui file rive gauche du lac pour descendre par un vieux chemin large vers « la plage ». Ce chemin longe de jolies maisons où les gens qui s’affairent aux travaux des champs prennent le temps d’une pause pour discuter avec elle.

La plage où est amarré le bateau communautaire est en herbe, sauvage et atteignable en descendant un talus sans chemin. Ceci ajoute à la beauté du site : le lac est là, il fait partie des lieux mais n’y tient pas une place particulière. Les habitants l’aiment, l’utilisent pour prier en installant de petits temples jaunes sur ses rives, pour nager, pour rafraîchir les buffalos, pour jouer au volet ou y tamiser du sable sur les endroits plats laissés libres par l’eau lorsqu’il est bas. Ce n’est pas une attraction déconnectée de leur vie.

La plage du lac Syarpu

Des pistes très controversées

Man peste contre toutes les pistes tracées sauvagement sur les rives du lac et nous sommes également très peinés de constater les dégâts perpétrés par les pelleteuses autour de ce joyau. Nous constaterons avec tristesse l’amplification des dégâts causés par un cercle vicieux : le terrassement d’une piste provoque lors de la mousson des éboulements qui la détruisent ; les pelleteuses reviennent et retracent la piste au milieu de l’éboulement ; à la mousson suivante bis repetita avec des éboulements de plus en plus importants…

Gardons nous de juger à l’emporte-pièce. Dazu qui était un soutien du parti libéral du Congress s’en est éloigné en observant de ses yeux non seulement des avancées sociales mais de plus un certain désenclavement du Rukum depuis l’arrivée au pouvoir des élus maoïstes. Force est de constater qu’ils ont fait construire les pistes que le Congress s’était contenté de promettre. Un bien ou un mal ?

Alors que penser ? Il est vrai que ces pistes sont irrespectueuses de la nature, des maisons des riverains souvent mises en péril, de la qualité de vie des habitants qui en saison sèche, sont parfois contraints de porter un masque anti-poussière et, en saison humide, se retrouvent entourés de boue qui est tellement glissante que marcher est impossible. Cependant, ces pistes rendent la vie parfois plus facile.

Le vallon de la Syarpu Khola et ses rizières

Nouvelle piste de vagabondage

De « Syarpu rivage », on domine tout le lac, on voit le village de Syarpu, construit sur la pente qui tombe dans le lac rive droite et au loin le bout du lac fermé par la pente qui rejoint le village de Syaubang où nous sommes allés depuis Kanda.

Quel bonheur d’être capable de se repérer dans un univers qui était inconnu quelques mois auparavant. Il est sans doute possible d’aller de Syarpu à Kanda, plus directement, en suivant une croupe qui semble relier les deux villages. Quelle chance d’avoir tant de possibilités de découvertes ! Brigitte se promet de revenir explorer cet itinéraire, certaine que la complexité du relief local lui réservera des surprises et quelques ravines à traverser.

Elle rentre par la piste de Neta Bazar qui passe sous le porche bleu en béton disgracieux posé là comme un panneau publicitaire par le Ministère du Tourisme pour vanter les beautés d’un trésor de la nature alors qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour découvrir la splendeur du lac Syarpu. A quoi rime ce genre d’aménagement ?

Sur la voie de l’autonomie

De son côté, profitant d’une accalmie matinale, Laurent a décidé d’agrandir drastiquement notre potager. En fait, il va défricher la terrasse en dessous de notre refuge, au pied des aubergines plantées avec Man dans le coteau où poussent « nos » bananiers.

Extension de notre potager

Après avoir semé les graines de haricots et d’autres plus mystérieuses, il est monté à Banphikot. En chemin, au-dessus de Djerma, il a doublé une joyeuse bande équipée de pelles et de pioches qui retournait au travail après la pause de midi.

A Banphikot, la connexion internet capricieuse a fini par lui accorder quelques minutes de communication après plus de deux heures d’attente. Laurent en a profité pour envoyer notre article au rédacteur en chef de Trek Magazine. Mission accomplie, en redescendant à Horlabot, il pourra constater la redoutable efficacité du travail collectif. En quelques heures, les hommes du village ont taillé un nouveau chemin de deux mètres de large. Cette piste fait un lacet et retrouve l’ancien sentier quelques dizaines de mètres plus haut. Elle est bien trop raide pour être utilisée par un véhicule. A quoi peut bien servir cette débauche d’énergie musculaire ?

Sacré cousin

Ce soir, nous sommes invités à dîner par Didi et Dazu. Après avoir fait chauffer l’eau et rempli nos thermos, Laurent descend à Lochabang avec l’espoir de pouvoir recharger notre téléphone. Cet espoir est vite déçu car la bijuli n’est pas revenue. Dazu lui explique qu’un poteau électrique est tombé cette nuit !

Brigitte arrive à Lochabang suivie de peu par le cousin Magar de Didi. Ce dernier a légèrement abusé du raksi mais, comme toujours, il est joyeux et très sympathique. Il nous explique que ce soir il va fêter en famille la fin de la plantation du riz par un bon repas de poulet arrosé bien entendu de raksi. Il en transporte une bouteille de deux litres pour l’occasion mais il n’oublie pas d’en offrir à Didi et à Laurent. Ici, tout est toujours partagé.

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