Samedi 20 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis des oiseaux qui chantent et crient : « Pluie, pluie, pluie ! Toute la nuit ! ».
La rivière gronde au fond de la vallée. Elle est chargée de boue. Dazu arrive tôt pour boire le thé et fumer une churot avec nous. Cela devient un rituel très apprécié par lui et nous : Horlabot revit et nous sommes un peu acteurs de cette résurrection induite par l’hospitalité inespérée de la famille et des amis de Man.
En constatant que nous n’avons pas besoin d’allumer du feu le matin pour faire chauffer de l’eau, Dazu nous dit : « thermos good ». Il est rare qu’il ait une bonne opinion sur un objet « moderne ». Là, il apprécie car cela nous permet d’économiser notre bois.
Stocker du bois
Il nous dit que la mousson approche. Dire que nous pensions qu’elle était déjà là. En fait, nous ne l’avons jamais vécu car comme la plupart des touristes nous la fuyons. Nous redoutons cette expérience inédite ! Néanmoins, comme rien n’indique une reprise prochaine des vols internationaux, il devient évident que nous serons toujours là en juillet et , qui sait, en août ou septembre pour en faire l’expérience.
Dazu inspecte le stock de bois que nous avons fièrement entreposé contre la maison à l’abri de la pluie sous le auvent en chaume. Jusqu’ici, nous nous sommes contentés d’assurer un renouvellement permanent de notre stock mais à voir Nanda Bahadur inquiet devant notre tas nous comprenons que nous devons en accumuler beaucoup plus. En fait, nous n’osions pas trop nous servir aux alentours de peur de dépouiller les parents de Man.
Depuis quelques jours pourtant nous observons le manège de Dazu qui laisse derrière lui la moitié du bois qu’il coupe… En fait, notre ange gardien a laissé pour nous des tas de branches un peu partout sur les terrasses en dessous d’Horlabot !
Adopter les chapals
Dazu nous explique ensuite que nos juttas, nos chaussures, sont inadaptées aux conditions climatiques de la mousson. Nous devons utiliser des chapals, des « claquettes » en plastique portées partout au Népal.
Brigitte acquiesce car elle doit enlever à chaque instant ses chaussures pour franchir les gués et les torrents d’eau boueuse qui envahissent chemins et pistes. Si elle ne les quitte pas, cela revient à les condamner à mort ainsi que les pieds qui y macèrent et deviennent le paradis des moisissures.
Laurent est plus sceptique car nous ne sommes pas habitués à marcher avec ces sandales et encore moins à descendre ainsi chaussés des pentes raides et glissantes. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre blessure. En fait, il s’inquiète surtout pour Brigitte et ses genoux privés de ligaments qui la tiennent encore debout par miracle.
Eliminer le superflu
Dazu dit à Brigitte de passer à Lochabang car il va couper des branches d’un pêcher et il veut qu’elle récupère les arrus. Pour Didi et lui ces fruits délicieux mais très durs restent juste une tentation car leurs dents sont trop abîmées. Ils se contentent d’en consommer quelques unes en les broyant avec du piment pour faire un délicieux condiment aux saveurs très tranchées.
A Lochabang, Didi lui donne plein de graines. Elle a attendu que nous fassions nos preuves avant de nous les sortir de son « sac à trésor ». Ce sac à trésor est un simple sac plastique perdu au milieu d’autres sacs plastiques devenus trop usagés pour servir à autre chose qu’à allumer le feu au même titre que les semelles de chapals dont la bride est cassée. Tous ces sacs et semelles sont entassés dans un grand panier en osier fait main suspendu au mur.
Dans la cuisine de Didi, il n’y a rien de superflu, tout objet a un usage bien précis. Didi ne supporte pas les objets qui ne servent à rien.
Des chapals roses à diamants
A Chinkhet, Brigitte trouve au milieu d’un bric-à-brac des chapals de femmes à sa taille. Ce sont de simples sandales en plastique avec une petite lanière sur le dessus. Celles qui sont à sa taille sont roses avec une lanière étroite ornée de 5 diamants. Elles sont très élégantes mais Brigitte préférerait les chapals noires et plus rustiques de Didi qui ont une lanière plus large et tiennent mieux le pied.
N’ayant plus de chaussures, elle se résout à marcher avec ces chapals de poupée Barbie qui lui font des pieds très élégants mais peu stables. Elle a peur que le plastique ne lui brûle les pieds et n’occasionne de nouvelles plaies qui s’infecteront inévitablement.
Une première précaution s’impose : conserver des chaussettes pour protéger ses pieds tout blancs des coups de soleil. Cependant la didi vendeuse de chapals lui fait comprendre que les chaussettes vont lui faire pourrir les pieds et elle lui dégote miraculeusement un tube de crème solaire. Brigitte se demande à qui cette crème était destinée puisqu’ici les gens se baladent toujours sous des parapluies-ombrelles.
Apprivoiser les chapals
Les pieds enduits de crème et donc très glissants dans les chapals, elle entreprend de monter à Banphikot par la piste très boueuse. Contrairement à ce qu’elle craignait, tout se passe bien, elle ne ressent aucune brûlure ni blessure et apprécie beaucoup les lavages de l’ensemble pieds-chapals qu’elle peut faire à chaque fois que l’eau traverse la piste. A partir d’aujourd’hui, les torrents d’eau qui étaient un obstacle avec ses chaussures françaises deviennent un moment de bonheur partagé avec celles et ceux qui les traversent avec elle.
Un petit détail technique s’impose très vite : si les pieds sont un tant soit peu boueux, il est impossible de continuer la marche car ils glissent sans contrôle dans les chapals et la lanière à diamants se retrouve vite coincée au niveau de la cheville voire du mollet d’où il est très difficile de l’en déloger.
L’adhérence des chapals est vraiment comparable à celle de nos chaussures, voire meilleure ! A Neta Bazar, forte de cette expérience réussie, Brigitte achète une paire de chapals à Laurent. Il a plus de chance qu’elle car il existe de belles chapals « rustiques » à sa taille, identiques à celles de Didi et Dazu.
Capes de pluie artisanales
Retour par Simtaru sur la piste dévastée. Milan, le tout petit garçon de Komala l’attend comme à chaque fois, il lui fait de grands signes. Son grand-père l’amène dans un doko près de Brigitte et invite cette dernière à venir manger des rotis.
Après cette agréable halte, Brigitte retrouve « sa didi aux kafals » de Simtaru qui repique du riz avec de nombreuses autres didis non loin du gué de Cherakhet et vient immédiatement à sa rencontre avec les autres rolpeuses pour entamer une discussion joyeuse. Les rolpeuses sont couvertes de boue et portent sur la tête un morceau de plastique pour se protéger de la pluie.
Ces capes de pluie sont confectionnées par l’épicier de Cherakhet. Il découpe une feuille de plastique dans un rouleau, la plie en deux dans le sens de la largeur et soude un des côtés à la chaleur d’une bougie. A Chinkhet, les deux bords ne sont pas scellés à la bougie mais cousus à la machine par la couturière locale.
L’extrémité scellée est posée sur la tête et le long abri en plastique descend jusqu’en bas des jambes. La protection est optimum sur le dos mais peu efficace sur le devant du corps, surtout en cas de vent ! Ici, tout le monde a opté pour cette protection bon marché qui laisse libre de ses mouvements pour travailler ou marcher sous la pluie. Didi appelle ce poncho artisanal tout simplement «plastic ».
Et la lumière fût !
Brigitte passe par Lochabang pour le rituel thé avec les parents de Man. Aujourd’hui, elle n’a pas besoin de raconter sa journée. Ils n’ont qu’à regarder ses pieds pour deviner qu’elle a suivi les conseils matinaux de Dazu.
« Bijuli chaina » lui dit Dazu. L’électricité est coupée. Pas de feuilleton religieux ce soir mais peu importe ! « Bijuli chha ! » rétorque Didi en lui montrant sa lampe LED solaire qui lui permettra ce soir de voir ce qu’elle cuisine.
Au passage, il est intéressant de faire la lumière sur un élément de langage. Ici, tout le monde emploie indifféremment le mot bijuli pour nommer l’électricité ou l’éclairage. On retrouve parfois cette même ambiguïté lexicale dans nos campagnes. Comme quoi l’usage essentiel de l’électricité est l’éclairage aux quatre coins du monde !
Traiter les infections
Brigitte remonte à Horlabot avec un pickle très pimenté préparé par Didi pour Laurent qui a une résistance plus élevée au piro que bien des Népalais. Didi rit à chaque fois qu’il reste imperturbable en le mangeant alors que Dazu ouvre grand la bouche pour cracher le feu. Didi, elle-même, adore le piro intense et a trouvé en Laurent un bon compagnon de dégustation.
Malgré le pickle piro et les belles chapals rustiques, Laurent n’a pas oublié l’ultimatum donné à Brigitte ce matin. Il lui ordonne de commencer le traitement antibiotique car son bras pourrit de plus en plus.