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Sobriété énergétique

Vendredi 19 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis sous la pluie qui n’a cessé de tomber violemment toute la nuit. L’oiseau crie : « Brigitte tu salues respectueusement la pluie de la mousson, sans elle, ici, ce serait le désert ! ». Brigitte est d’accord avec l’oiseau mais, ce matin, elle a envie de disserter sur l’électricité…

Ici, l’électricité est consommée avec modération. Cette sobriété énergétique est sans nul doute dictée par des capacités de production restreinte. La Municipalité Rurale de Banphikot est alimentée par deux micro-centrales hydroélectriques de 250 kW : celle de Magma alimente le haut de la vallée alors que celle de Bhagle fournit les zones plus proches de la Sani Bheri.

Conduite forcée de Magma

Que la lumière soit !

Néanmoins, à l’exception des villages les plus reculés, la plupart des habitations ont accès à l’électricité. Le besoin essentiel est couvert : l’éclairage de la pièce de vie. Tout le monde possède des ampoules LED ! Comme quoi, sobriété peut rimer avec modernité.

Au fil des années, radio, télévision, téléphonie mobile et internet se sont invitées chez presque toutes les familles. Ici, cependant, il est encore d’usage de se retrouver entre voisins devant un poste de télévision pour commenter l’actualité ou partager un moment de détente devant une série bollywoodienne ou un feuilleton relatant la mythologie hindouiste.

Sobriété imposée

Par ailleurs, ici, les coupures d’électricité et les baisses de tension sont fréquentes tant le réseau est fragile et les intempéries intenses. Au moindre orage, il n’est pas rare de voir un poteau être brisé par des vents tempétueux ou déraciné par des pluies diluviennes. Le mardi, l’électricité est en général coupée pour maintenance. Quand il fait soleil, l’électricité fait parfois défaut car le réseau souffre de la chaleur torride. La puissance vient alors à manquer et la télévision s’assoupit comme Didi et ses amies venues s’allonger pour palabrer devant le poste avant de reprendre leur labeur.

Ces nombreux sevrages temporaires impromptus, conséquences des défaillances fréquentes du réseau électrique, sont, avec la rareté des postes de télévision, les derniers remparts contre la victoire du monde virtuel sur les liens sociaux si précieux.

Infrastructures malmenées

Lorsqu’il pleut très fort, Brigitte imagine la minuscule centrale hydroélectrique de Bhagle mais qui a le mérite d’alimenter depuis 45 ans de nombreux villages, agonisant sous le supplice de l’eau qui déferle en abondance de la petite conduite forcée. Comme elle n’a rien à avouer, elle ne peut que subir.

En réalité cette explication est très mauvaise : la centrale boit tout ce qui arrive de la gorge du lac Syarpu sans s’étouffer, ce sont les fils électriques peu isolés qui en se touchant causent des court-circuits à l’origine des coupures!

Conduite forcée de Bhagle

Revenir à l’essentiel

Lorsque nous montons tout exprès à Banphikot pour récupérer les messages réconfortants de France, nous apprécions même ces coupures de courant qui nous obligent à découvrir les bienfaits de la patience, à accepter l’imprévu avec fatalité et à rester tranquillement avec les gens pour discuter de tout et de rien. Ici, personne ne considère l’électricité comme banale. Tout le monde l’apprécie à sa juste valeur. Il suffit d’écouter les exclamations de joie quand la coupure prend fin et que la fée électricité redonne vie aux objets.

En oubliant la valeur des choses les plus élémentaires, notre société de l’opulence a ouvert la porte à la surconsommation et au gaspillage.

Comme nous l’avons vu, à Banphikot, une capacité de production hydroélectrique de 500 kW suffit donc à couvrir les besoins essentiels de 20 000 habitants. Si non rapportons ce chiffre à la population française, nous aurions besoin d’une puissance de 1 675 MW, soit un peu moins de 2 tranches 900 MW d’une centrale nucléaire. Mieux, sachant que la France dispose d’une capacité installée hydroélectrique d’environ 25 000 MW, nous pourrions couvrir nos besoins « vitaux » avec seulement 7 % de notre hydroélectricité. Vive la sobriété énergétique !

Une fée bien capricieuse

Comme il en a pris l’habitude, après le repas de midi, Laurent respecte les injonctions de Didi et monte directement à Banphikot en empruntant la croupe de la colline de pins où les glissements de terrains se font rares. Brigitte brave quant à elle les interdits et le rejoint par la piste de Cherakhet qui est dévastée par la pluie et transformée en un tapis de boue très glissant. Passer ici revient un peu à jouer à la roulette russe mais elle a confiance en sa bonne étoile et rien ne peut lui faire renoncer à voir ses amis de Cherakhet et Simtaru.

Comme prévu il n’y a pas d’électricité, elle retrouve Laurent en train de discuter avec les amis de la Municipalité Rurale de Banphikot. Soudain, l’électricité revient pendant cinq minutes !

C’est largement suffisant pour récupérer nos messages. Damber, notre copain népalais qui a réussi à obtenir un permis de résidence au Portugal nous envoie des nouvelles de son pays d’adoption touché par la pandémie.

Laurent rentre par la colline des pins. Brigitte choisit l’option Cherakhet car elle doit mieux observer le terrain pour ses topos ! Tenter de faire à main levée des semblants de topos des chemins lui est très profitable car cela l’oblige à scruter l’horizon des paysages qu’elle traverse pour prendre des repères. Elle a maintenant pris l’habitude d’observer les lignes de crêtes, les franchissement de torrents, les confluences entre deux rivières… D’ordinaire, elle se contente de passer en s’extasiant sur des détails. Lorsque ces détails ne sont pas éphémères (papillon, oiseau, jolie fleur…), ils peuvent toutefois être bien utiles pour retrouver le chemin la fois suivante.

La chiura

Tout le long de la piste, les gens travaillent dans les rizières, hommes au labourage et femmes au repiquage des plants vert tendre. Un groupe de « rolpeuses » (repiqueuses) fait une pause joyeuse en dégustant de la chiura ou riz battu. Didi nous a fait découvrir ces flocons de riz qui ont le grand avantage de ne pas me provoquer de brûlures d’estomac. Le riz est quasiment cru : il est seulement étuvé avant d’être aplati. Tout le monde en raffole sauf Dazu qui trouve cela bien trop sec et pense que ce n’est pas bon pour la santé.

Pause chiura au bord du chemin

Les didis disent à Brigitte de s’asseoir avec elles pour discuter et partager la chiura. Brigitte sort aussi la mienne car elle en a toujours un petit sac en cas de coup de barre. Les didis forment un ensemble splendide, coloré et joyeux. Comment leurs vêtements restent-ils si propres alors que la boue recouvre les parties des jambes et les bras qui en dépassent. Brigitte veut faire une photo mais comme la pluie menace, elle a soigneusement rangé son appareil au fond de son sac à dos et le courage lui manque pour tout déballer.

Dhami le malicieux

Elle repart mais est prise de remords, déballe tout son sac et revient faire la photo. Les didis sont ravies et décident de l’accompagner jusqu’à Lochabang où Didi et Dhami arrivent tout juste de Chinkhet. Tout ce petit monde joyeux s’assoit devant la maison des parents de Man pour déguster à nouveau de la chiura et fumer une sulpa collective préparée par la maîtresse des lieux.

Brigitte demande à Dhami de faire quelque chose pour que la pluie ne tombe que la nuit et pas la journée. Avec ses petits yeux pétillants de malice et sa gentillesse habituelle, il lui répond que la seule chose qu’il puisse faire est de lui offrir un parapluie !

Didi compte chaque soir le nombre de jours d’absence de Man, son fils adoré, et nous demande s’il a téléphoné. Le message que nous avons reçu aujourd’hui la rassure : Man stagne toujours de ce côté du Sisne. Nous taisons les difficultés qu’il rencontre avec son porteur. Même si ce dernier acceptait de continuer, certains cols seraient actuellement difficiles à franchir à cause de la neige abondante.

Une ceinture mystérieuse

Lorsque Dazu arrive, Didi lui montre son achat : une lampe à LED et à pile, un vrai luxe car Didi ne voit rien pour cuisiner lorsque la petite ampoule déjà très faible n’est pas alimentée faute de courant électrique.

Pour les petits achats « ordinaires », Dazu donne quelques roupies à Didi qui lui rend des comptes très précis. Rituellement, Dazu compte et recompte plusieurs fois la monnaie qu’elle ramène. Didi trouve cela normal et n’en tire aucun ombrage. Didi et Dazu forment un couple harmonieux, respectueux et très complice.

Pour les achats « non ordinaires » et généralement destinés à Jessica, Didi garde précieusement un petit trésor de guerre qu’elle cache dans la ceinture de sa jupe. Nous nous sommes souvent demandés comment elle se procurait les roupies dont elle fait généreusement profiter Man lorsqu’il en a besoin. Est-ce la vente du surplus de maïs ou de blé qui lui procure cet argent ? Difficile à imaginer. Est-ce son fils expatrié en Corée qui lui envoie de l’argent pour élever Jessica, le véritable trésor de Didi ? Quoi qu’il en soit, sa ceinture est remplie de roupies et de mystères.

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