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De Sulichaur à Phagam

Lundi 16 mars 2020. En remontant dans le bus, nous nous apercevons que nous avons changé de chauffeur. C’est rassurant. Les sacs en plastique continuent de circuler, le dal bhat a aggravé la situation des estomacs plus habitués à la marche qu’au transport motorisé. Le trajet reprend au son d’une musique locale assourdissante qui ne nous empêchera pas de grappiller quelques heures de sommeil. Au petit jour, la route est plus étroite. Nous approchons de notre destination.

Terminus

Peu après six heures, nous arrivons enfin à Sulichaur. Le bus stoppe sur une place boueuse qui sert d’aire de retournement. Il ne va pas plus loin. Terminus, tout le monde descend. Le froid glacial nous sort brutalement de la douceur du sommeil. Prem Magar, Yadu Khatri Chetri et Norbin Magar, nos porteurs du Rukum, nous attendent en prenant un thé. Ils viennent de suite à notre rencontre et se chargent d’extraire les bagages. Man tenait à ce que des gens du pays partagent notre projet car il poursuit le double objectif de former des équipes locales et de montrer aux habitants du Rukum qu’ils peuvent bénéficier des retombées économiques d’un tourisme « doux ».

Notre équipage devient vite l’attraction du quartier. Le bidon de kérosène n’a pas bougé malgré les nids de poule. Nous allons tous nous réfugier dans un minuscule café. Ses planches ajourées et l’absence de fenêtre ne nous laisse aucune illusion sur le confort thermique que cet abri pourra nous apporter. Nous sortons tous les doudounes et commandons un thé pour nous réchauffer. Ce sera dal bhat pour les uns, soupe de nouilles très épicées pour les autres en guise de petit déjeuner. Ces soupes chinoises instantanées sont devenus en quelques années un véritable fléau écologique. Les jeunes, qui en raffolent, les consomment sans cuisson en marchant et jettent l’emballage aluminisé sur les chemins.

Derniers signes de vie

Les premiers rayons de soleil arrivent enfin et nous redonnent de l’énergie. Au bout de la place du terminus, un petit hôtel affiche « free wifi ». Brigitte part se renseigner. Le propriétaire est très sympathique. Sans attendre qu’elle franchisse le seuil de son établissement ou commande quoi que ce soit, il déchire une page de son livre de compte pour lui écrire le mot de passe de la connexion internet et l’invite à s’asseoir sur une des quatre tables couvertes d’une nappe plastifiée aux motifs plutôt kitsch.

Internet fonctionne. Tous nos amis ont répondu au dernier message que Brigitte leur avait écrit depuis Katmandou. Ils sont heureux de nous savoir à l’abri du virus. Le résultat du premier tour des municipales tombe. Les trois listes sont encore en course. Une alliance entre les forces d’opposition pourrait renverser le maire sortant et mettre fin à ses projets démesurés d’un autre temps dans notre massif des Aravis. Le rapprochement semble déjà se mettre en place. Le deuxième tour pourra-t-il seulement avoir lieu ?

Nous passons notre téléphone portable en mode avion. A priori, nous ne pourrons pas communiquer avant Musikot, dans dix jours.

Man et Bhim nous attendent pour aller faire quelques courses. Le bazar qui s’éveille a conservé tout son charme avec ses ruelles pavées bordées d’échoppes. Espérons que nos géomètres épargnent ce village d’une nouvelle route… Nous achetons des légumes et des œufs. Tout est moins cher qu’à Katmandou. Etrange.

La petite ville de Sulichaur est accueillante et paisible, loin de ressembler à ces cloaques de bout de route que nous fuyons pour éviter de dormir dans un taudis infesté d’insectes qui semblent vouloir eux-mêmes fuir la ville en se cachant sous nos vêtements…

Premiers pas dans le Rolpa

Nous nous mettons en route. A peine avons-nous traverser le pont suspendu qui enjambe la Phagam Khola et rejoint la piste au-dessus du village, que nous croisons un homme qui nous interroge. Il nous demande si nous venons travailler pour le gouvernement. Des touristes dans le Rolpa ? Ca lui paraît totalement inconcevable. Man lui explique que nous partons pour plus d’un mois et que nous prenons la direction du Jaljala. Une réponse qui ajoute à la confusion. Pourquoi ne prenons-nous pas la route plus directe qui mène à Jelbang ? Marcher pour le plaisir. Presque une hérésie pour cet homme visiblement instruit.

Nous avons en effet choisi de nous écarter de l’itinéraire usuel du « Guerrilla Trek » pour atteindre le Jaljala en suivant au mieux la ligne de crête qui surplombe la vallée de la Phagam Khola. Ce parcours devrait nous offrir de superbes panoramas.

Habitat traditionnel du Rolpa
Un village du Rolpa

Sortis de Sulichaur, nous admirons les maisons traditionnelles crépies d’ocre et couverte de lauzes. Un escalier extérieur permet d’accéder au balcon de l’étage qui dessert les chambres. En bas se trouvent la cuisine qui est la pièce à vivre et souvent la chambre de l’ancien et l’abri pour les récoltes. Le chambranle des portes et des fenêtres est peint dans un bleu très vif. Un ensemble magnifique sous les rayons du chaud soleil qui nous rappelle vite que nous ne sommes qu’à 800m d’altitude.

Nous quittons la piste et trouvons le chemin que nous avions repéré sur la carte topographique. Man découvre avec nous ce secteur qu’il n’a jamais visité. Nous prenons rapidement de la hauteur et attendons que notre équipe se regroupe. Les charges sont lourdes. La sueur perle sur le front de Dorje qui porte le kérosène et les réchauds.

Sous une chaleur écrasante

Après moins d’une heure de marche, nous sommes déjà conquis par le pays. Le chemin se fait plus étroit, à flanc de versant. Toutes les collines environnantes sont couvertes de forêts et de terrasses cultivées. Man se renseigne dès qu’il croise un habitant. Nous comprenons vite que nous sommes entre de bonnes mains. Au bout de la vallée, nous apercevons des sommets enneigés qui ne semblent pourtant pas très élevés. Serait-ce le Jaljala ? Difficile à dire. Les femmes que nous interrogeons n’en ont pas la moindre idée.

Notre chemin traverse une terrasse de blé encore vert, bordée par des pins et des arbres dont les branches fournissent un fourrage apprécié des petits cheptels familiaux. Nous passons les premières maisons du village de Purano Rijha et nous arrêtons sur un terrain de volley-ball au-dessus d’une école à 1160m. La chaleur est accablante. Bhim décide qu’il est grand temps de faire une pause. Son équipe cuisine arrive. Les porteurs du Rukum suivent un peu plus loin.

La brigade de Bhim est expérimentée. Chacun connaît son rôle. Dorje s’occupe de remplir les réchauds ; Dibi va chercher de l’eau et Modan découpe les légumes. Quant à Bhim, il fouille les dokos pour en extraire tous les ingrédients du repas avant de s’attaquer à la cueillette des orties. Pendant ce temps, avec Man nous nous plongeons sur la carte pour évaluer notre progression.

Nous repartons en début d’après-midi après un excellent repas. Un chemin escarpé nous ramène sur la crête où nous retrouvons la piste laissée peu après Sulichaur. A l’ombre, près d’un petit sanctuaire, nous attendons l’équipe qui refaisait les charges. Plusieurs pierres plates dressées entourent quelques tridents ornés de rubans rouges et blancs. Jusqu’ici rien de surprenant. En revanche, des totems en bois que nous n’avons pas l’habitude de voir attirent notre attention.

Bienvenue en terres maoïstes

Nous devons nous résoudre à suivre la piste où, heureusement, aucun véhicule ne circule. Elle nous conduit à un village très étalé. Man se renseigne auprès des habitants que nous croisons. Certains nous disent que nous sommes à Phagam, d’autres à Handun. Peu importe. Nous ferons étape ici si nous parvenons à trouver un emplacement pour poser notre camp. Les pères fondateurs du communisme dont les effigies sont dessinées sur une banderole défraîchie nous accueillent au milieu du village.

Le village de Phagam
Phagam

Les habitants intrigués par notre présence viennent à notre rencontre. Ils ne tardent pas à nous indiquer un coin, devant une maison en construction, où nous pourrons nous installer pour la nuit. Bhim finit par arriver suivi de nos six porteurs. Nous montons le camp entourés de gamins qui s’amusent de nos tentes. Les filles resteront des heures avec nous. Juste pour nous observer et échanger quelques sourires.

Phagam - Les enfants intrigués par notre visite
Des enfants intrigués par notre visite

Man part en quête de poulet et revient avec deux superbes volatiles que l’équipe s’empresse de plumer et de cuisiner. Nous nous réjouissons tous de la perspective de ce bon repas et encore plus du sommeil réparateur qui s’annonce.

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