Accueil > Népal > Confinés mais libres > Sur les traces des maoïstes

Sur les traces des maoïstes

Samedi 4 avril 2020. Man arrive, il a décidé de réparer un des trois chemins qui vont de Horlabot à Chinkhet en traversée à flanc de colline. La dernière mousson a emportée le chemin le plus bas au passage d’une ravine le rendant totalement impraticable. Ce sentier est important pour Man. Selon lui, il s’agit de la façon la plus rapide d’atteindre Chinkhet depuis Horlabot.

Bulldozer la force tranquille

Man a engagé une équipe de choc pour la circonstance : Dhami qui, bien que très frêle, est vraiment costaud et un autre ami que Man surnomme affectueusement « Bulldozer » tellement il est fort et efficace avec sa pioche. Notons au passage que le surnom est sans doute le meilleur patronyme au Rukum. Nous savons immédiatement de qui on parle. Bulldozer dont le véritable nom est Nim Bahadur pourrait également être surnommé « le gentil » tant ce qualificatif correspond à son caractère. Nous l’adorons immédiatement.

Nous laissons Dhami et Bulldozer au travail et suivons Man qui a décidé de nous emmener repérer un nouveau circuit pour élargir notre zone de liberté. En marchant, Man nous explique que les trois chemins plus ou moins parallèles qui arrivent de Horlabot traversent ensuite la jungle au-dessus de Chinkhet à mi-pente de la colline de Banphikot. Ces passages discrets au milieu de la végétation étaient utilisés par la guérilla maoïste pour se déplacer, de nuit, à l’abri des regards. Bien souvent, des combattants venaient se cacher à Horlabot en les empruntant.

Ayant rejoint le large chemin qui suit la crête de Chinkhet à Jerma, nous descendons quelques mètres pour retrouver les traces qui marquent le départ du plus bas de ces sentiers .

A travers la jungle

La jungle est splendide car peu dense avec de hauts arbres dont les feuilles ont des couleurs changeantes selon l’angle d’attaque du soleil ; un lieu de rêve pour les impressionnistes. Les jeunes feuilles sont marrons et non vertes, ce qui fait qu’au début nous pensons qu’ils sont en train de mourir ou bien que l’automne arrive !

La jungle de Chinkhet

L’ébranchage subi par les arbres pour nourrir le bétail leur donne des allures de grands fous tout maigres dégingandés. Brigitte adore cette jungle qu’elle décrit comme une armée de statues de Giacometti géantes ondulant au vent qui auraient été coloriées à l’aquarelle. Elle s’y sent bien alors que dans la jungle des forêts primaires elle a l’impression d’être dans une prison verte.

Pour Man, c’est tout le contraire car étant petit il avait trop chaud lorsqu’il venait ici collecter du bois. Effectivement, nous ressentons rapidement des bouffées de chaleur accablante sur ce versant de la colline frappé depuis le matin par un soleil ardent. La brise agréable qui rafraîchissait l’atmosphère sur l’arête a soudain cessé. Après quelques minutes, Laurent qui dégouline déjà de sueur partage la préférence de Man pour l’autre jungle, celle qui protège du soleil.

Man le roublard

Le chemin est parfois très scabreux tant le flanc de la montagne subit les assauts de la mousson dévastatrice. Nous parvenons malgré tout à notre but : quelques maisons perdues au milieu de la colline. Man nous explique qu’enfants, lui et son frère venaient ici voler du bois pour ne pas aller le chercher dans la jungle « chaude » qu’ils redoutaient! Nous sommes reçus royalement par Hija, un copain de Man, qui visiblement ne lui tient pas rigueur de ses larcins d’antan.

En orange, notre boucle du jour.

Pour rentrer, nous empruntons le « high way ». Dans la bouche de Man, c’est simplement le chemin du haut. Rien à voir avec une autoroute ! Le sentier est toujours aussi étroit et se confond souvent avec les sentes créées par le passage répété des chèvres que les enfants emmènent paître dans les environs.

Man s’amuse de ce parcours sur les traces des maoïstes. Il nous dit en riant : « ce soir nous attaquons le poste de police à 11h ! ». La vie n’est vraiment pas triste avec notre ami.

Mission accomplie

Dans l’après-midi, après avoir coupé un gros bambou, Man et Laurent retournent au chantier. Modan intrigué et désœuvré se propose pour porter le bambou. Depuis ce matin, Dhami et Bulldozer ont déjà redonné forme au chemin. Le bambou posé comme un pont en travers de la ravine va retenir des grosses pierres qui constitueront les nouvelles fondations du chemin.

Le sentier est presque réparé !

Dorje, Dibi et Bhim se prennent également au jeu et viennent participer aux travaux. En quelques heures, la tâche est accomplie. Le chemin est praticable mais résistera-t-il aux prochaines pluies de mousson ? Rien n’est moins sûr mais, fiers du travail accompli, tous rentrent à Horlabot boire un thé bien mérité.

Découverte du quartier Magar

De son côté, Brigitte est repartie explorer d’autres chemins. Sans cesse Man l’encourage à s’enhardir et lui lance en français « tu dois poursuivre ta colonisation ! ». Ce terme est vraiment dérangeant. Nous lui expliquons qu’en français coloniser a un aspect vraiment péjoratif. Nous ne voulons pas nous approprier son territoire. Man saisit bien la nuance mais préfère en rire. L’expression ponctuera toutes nos escapades vers l’inconnu.

Brigitte qui n’avait pas besoin de tant d’encouragements trouve un nouveau chemin qui descend en lacets à Lochabang. En bas, elle passe devant une maison décorée de splendides bougainvilliers. Elle se fait toute petite pour passer le plus discrètement possible mais un chien tout gentil vient la saluer. Grande surprise, c’est une sorte de dalmatien vraiment inattendu ici où tous les chiens sont du même type, petits et tout noirs. Un jeune couple l’interpelle… Pour le passage incognito, elle repassera.

Brigitte s’est égarée et ne prend pas le chemin de Lochabang mais un cul de sac vers les terrasses. Elle vient de faire sa première incursion dans le quartier Magar de Lochabang. Ces deux jeunes charmants, souriants, accueillants veulent juste lui indiquer la bonne direction. Ils sont le fils et la belle-fille de celle qui deviendra notre « Didi Magar ».

Man adore les habitants de ce quartier qui jouissent de la vie, mangent toutes les sortes de viande qui se présentent et boivent du raksi. Ce sont de véritables épicuriens. Man les aime beaucoup et ils le considèrent comme un membre de leur famille. Nous serons également toujours reçus ici comme étant des leurs.

La pandémie

Nous recevons un SMS de Namgyal. Renée nous apprend que la pandémie prend de l’ampleur et touche toute la planète. Plus d’un million de cas de coronavirus sont recensés mais seulement six au Népal. Tout le monde s’inquiétait de nous voir partir dans ce pays, souvent pointé du doigt pour ses risques sanitaires, et voilà que le hasard en fait un des lieux les plus préservés du virus.

Pour l’instant, nous ne nous attardons pas sur les raisons qui pourraient expliquer ce contexte plus favorable. Nous saisissons seulement l’occasion pour révéler à Renée que nous avons interrompu notre trek et que nous avons trouvé refuge chez la famille de notre guide. Jusqu’ici, ignorant la situation au Népal, nous avions omis de parler du lockdown et de ses conséquences.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *