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De Thulo Daha à Garaghat

Mercredi 25 mars 2020.Le soleil réchauffe les nomades et les toisons des moutons de Thulo Daha dans un embrasement de couleurs chaleureuses. Une dernière fois, nous remontons jusqu’à leur camp pour leur dire au revoir. Nous ne pouvons rester confinés avec eux et mettre à mal l’équilibre alimentaire fragile de leur subsistance. Nous les quittons donc à regret en partant vers l’inconnu.

Trouverons-nous le moyen de nous ravitailler sans être interceptés par un contrôle de police ? Pouvons-nous envisager de poursuivre notre périple ?

Norbin et sa couverture en laine de mouton offerte par Man

Dans l’immédiat, nous traversons un chapelet de grands pâturages, une enfilade de clairières désertes qui parsèment une forêt envahie par le chant matinal des oiseaux et des insectes. A chaque fois que nous entendons les chants des insectes, nous pensons à une amie de notre village de Haute-Savoie toujours à l’affût du moindre de leurs cris qui nous dit souvent, pleine de nostalgie, « pourquoi ont-ils disparu ? Ils chantaient tellement fort avant ! ».

En chemin vers l’inconnu

L’équipe est en forme. Nous avons presque de la peine à suivre leur rythme. Nous laissons derrière nous le « sexe de la terre », une roche peinte en rouge à la forme évocatrice et, de façon inattendue, croisons dans les sous-bois une famille « citadine » venue se balader pour s’extraire de l’atmosphère déjà pesante du confinement à Musikot.

Une demi-heure plus tard, nous arrivons au village du président de l’office du tourisme qui nous attend, comme prévu hier à l’alpage, près de sa maison. Sa très jolie femme et ses enfants nous font visiter leur potager et leur ferme. Ils sont tous très fiers de nous faire découvrir leur plantation de kiwis. Le village est splendide avec ses maisons en ocre au toit de chaume essaimées au milieu des champs de blé qui ondulent au vent. Toute la famille nous accompagnent en bas du village. Le président continue avec nous pour nous indiquer l’itinéraire difficile à trouver dans le dédale de chemins qui sillonnent le village. En raison du confinement, son bureau vient d’être fermé comme toutes les services administratifs, alors il décide de nous accompagner jusqu’en haut de la crête qui, à 2300 m, domine Musikot.

Musikot, ville morte

Musikot est la préfecture du West Rukum. Ce statut lui vaut le nom de Khalanga. Nous avions prévu de nous y ravitailler ce soir mais, vu de notre belvédère, le confinement est respecté et nous oblige à renoncer à cette idée. La ville de 30 000 habitants semble morte. Aucun véhicule ne circule à l’exception de rares patrouilles de police. Nous comprenons vite qu’il nous sera impossible d’y descendre sans nous faire repérer. Notre guide d’un jour nous confirme que toutes les boutiques sont fermées avant de faire demi-tour.

Musikot Khalanga et l’aéroport de Salle

En silence, nous descendons jusqu’à un relai de télécommunication au-dessus de Salle, quartier de Musikot où se trouve l’aéroport. Nous rejoignons une piste et nous mettons à la recherche d’un point d’eau car il est grand temps de s’arrêter pour manger. Nous arrivons aux premières maisons sans voir âme qui vive. Man qui a repéré un tuyau décide que l’endroit fera l’affaire. Bhim s’en accommode à contrecœur au grand plaisir de l’équipe qui nous suivait de près.

Comme des pestiférés

A peine les dokos posés contre le talus, nous voyons surgir d’un champ avoisinant quelques personnes qui nous agressent verbalement et poussent des cris avant de s’enfuir comme si nous étions le diable. Plus grave encore, ils nous refusent l’accès à l’eau. Nous sommes sous le choc. Les gens sont terrorisés par notre présence. Sur les ondes de la station de radio locale, les journalistes de « Radio Sani Bheri » rappellent les consignes de sécurité et expliquent en boucle que le virus vient de l’étranger. Ils ont été entendu ! Comme ici nous sommes les seuls intrus, nous sommes, avec toute l’équipe, immédiatement perçus comme les démons porteurs du virus.

Comme des pestiférés !

Un homme plus téméraire est resté à portée de voix. Il garde la main devant sa bouche pour se sentir protégé. Man tente de lui expliquer que nous ne pouvons être contaminés car nous venons de parcourir la montagne depuis dix jours. Rien n’y fait. Alors que le sens de la négociation de Man semble inné, tous ses efforts sont vains.

Nous nous sentons pestiférés et c’est vraiment une impression horrible.

S’éloigner au plus vite de Musikot

Il faut vite prendre une décision. Man court jusqu’aux portes de Salle pour se faire une idée de la situation. Il revient sans nouvelles rassurantes mais avec des soupes de nouilles lyophilisées. A voir les sachets qui traînent le long des chemins à l’approche des villages, tout le monde semble en raffoler. Comme les enfants sur le trajet de l’école, nous préparons notre repas : broyer le paquet pour casser les torsades agglomérées, ouvrir l’emballage puis arroser les pâtes avec le sachet d’épice qui se trouve à l’intérieur du paquet. Pratique et finalement assez bon. Trop peu pour rassasier mais suffisant pour nous donner encore plus soif sous un soleil de plomb qu’aucun arbre ne vient dissimuler.

Man passe un coup de téléphone. Un marchand de Musikot accepte de nous fournir clandestinement du kérosène. Durga propose d’accompagner Dorje qui ne connaît pas la ville. Nous leur souhaitons bonne chance et surtout leur demandons de rester prudents. Nous nous donnons rendez-vous à Garaghat sur les bords de la rivière Sani Bheri où une autre piste, plus directe, arrive de Salle.

La piste nous éloigne rapidement de Musikot. Les pentes que nous devinons plus bas sont recouvertes de jolies maisons colorées. Après une longue traversée, nous trouvons enfin une fontaine pour nous rafraîchir et remplir nos bouteilles. Malgré la soif, nous, petits touristes à l’estomac aseptisé, résistons à la tentation de boire cette eau sans la purifier. Cette habitude va bien vite nous quitter.

Une révélation inattendue

La rivière Sani Bheri paraît bien loin, 700m plus bas. Man nous attire sur la crête à travers champ. Arrivés en haut, nous comprenons que ce n’est pas la vue, pourtant superbe, qu’il souhaite nous montrer. Un grand sourire lui barre le visage quand il nous montre la vallée qui nous fait face et nous demande : « Vous voyez la maison au bord de la piste, celle au pied des sapins ? ». Nous ne sommes pas vraiment certain d’identifier la bonne bâtisse. Au fond peu importe, nous avons seulement hâte que Man nous renseigne sur le but de notre escapade. Sans attendre notre réponse, il poursuit : « C’est la maison de mes parents ! ». Quel cachottier ! Il ne nous avait pas encore révélé que l’itinéraire que nous avions imaginé passait aussi près de chez lui.

Garaghat sur les rives de la Sani Bheri

Satisfait de son effet de surprise, Man met fin au suspens. Avant de venir s’installer au bord de la piste, sa famille habitait deux belles maisons au beau milieu de la colline au lieu dit « Horlabot », là où il a grandi, là où ses ancêtres paternels sont nés depuis plusieurs générations. Depuis la mort de son grand-père, les maisons sont abandonnées. Son plan est simple : si nous ne trouvons pas d’autre solution, nous irons nous réfugier à Horlabot.

Plongeon sur Garaghat

Nous nous hâtons de redescendre sur le raide chemin qui zigzague au milieu de l’habitat dispersé. Curieusement, les gens d’ici sont très serviables et nous renseignent sur le chemin à suivre. Toutefois, nous les sentons tout apeurés. Bhim nous confiera ce soir avoir entendu « le coronavirus arrive », quelques mots lâchés sur son passage par une femme qui entraîna immédiatement ses enfants à l’intérieur de sa maison. Il fait encore très chaud malgré l’heure tardive. Nous dégringolons vers la Sani Bheri entre les bananiers et les amandiers.

Nous arrivons enfin au pont suspendu au-dessus de la Sani Bheri qui coupe en deux le village de Garaghat. D’un côté de la passerelle, le bout de la piste qui vient de Musikot est bordée de quelques cabanes en tôle qui abritent de minuscules cafés où des hommes ont déjà trop consommé de raksi. De l’autre côté, la piste part vers Chinkhet. Nous traversons la Sani Bheri et arrivons droit sur un poste de police impossible à éviter.

Assis à l’extérieur du poste dans des fauteuils de jardin en plastique, nous découvrons une troupe hétéroclite : un militaire arborant un brassard de la croix-rouge, une femme drapée de violet chargée de consigner tous les passages dans un registre, un officier de police local aux sourcils froncés par la surprise de notre visite. En sortant de son sac nos permis de trek et sa licence de guide, Man nous dit en français de ne pas nous inquiéter. Encore un talent caché de notre ami ! L’utilisation de notre langue deviendra une habitude pour échanger discrètement lorsque nous serons confrontés à des difficultés.

Une police bienveillante

Il explique notre situation et présente les papiers justifiant ses paroles. Juste à côté, trois hommes masqués surveillent la scène les bras croisés. Le policier se montre plutôt bienveillant à notre égard. Il nous demande de lui laisser une photocopie de nos passeports et nous laisse passer sans autre formalité. Il nous indique même un emplacement pour poser notre camp.

Nous nous éloignons tous les trois, bien contents d’avoir évité une mise en quarantaine forcée.

Quelques maisons plus loin, une boutique est ouverte. La femme derrière le comptoir s’enfuit en hurlant dès que nous approchons. Le propriétaire d’un autre magasin se montre plus accueillant. Sa boutique est officiellement fermée mais Bhim pourra passer le voir pour acheter des provisions.

A la sortie du village, nous trouvons le terrain de volleyball indiqué par le policier pour établir notre camp. Un immense champ d’énormes galets nous sépare de la rivière. En période de mousson, les flots tumultueux envahissent tout le large lit de la Sani Bheri pour venir lécher la pelouse usée de notre terrain de camping improvisé.

Un jour de repos et de réflexion

Nous nous posons pour discuter au calme de ce qui s’est dit au poste de contrôle. Le policier ne s’oppose pas à ce que nous continuions, comme s’il souhaitait se débarrasser du problème posé par notre présence. Néanmoins, qu’en sera-t-il au prochain poste de contrôle ou plus loin dans un autre district ? Comment composer avec la frayeur des habitants ?Continuer notre périple dans ces conditions ressemble trop à une mission impossible. Après consultation de la carte, il apparaît que des itinéraires alternatifs seraient envisageables pour rejoindre Dunai plus rapidement. Nous gardons donc un dernier espoir car le confinement n’a été décrété que pour une semaine et choisissons de prendre un jour de repos et de réflexion.

Cette idée est saluée par l’équipe qui ne tarde pas à nous rejoindre. Norbin, Prem et Yadu, qui habitent à quelques encablures, nous quittent, heureux de pouvoir retrouver leurs familles respectives. Ils reviendront demain soir pour déguster le poisson que Bhim nous a proposé d’acheter. Les autres se réjouissent à l’idée de rester une journée à Garaghat pour prendre un bon bain et faire une lessive.

Dorje arrivera bien plus tard lourdement chargé d’un bidon de kérosène rempli à ras bord. Sans l’aide de Durga, il n’aurait pu accomplir sa mission à Musikot où règne la psychose. Tous les habitants le prenaient pour un indien et se méfiaient de lui comme de la peste.

Bhim est parti passer commande auprès des pêcheurs locaux qui s’aventurent dans les eaux de la Sani Bheri pour y jeter leur filet. Cette prise de risque justifie le prix élevé de ce plat de fête. Nous voyons Bhim revenir avec un poulet. Garaghat devient-il une halte gastronomique !

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