Mardi 28 avril 2020. Réveil 5h00 au paradis. Le grand ami oiseau de Brigitte crie « c’est le bonheur ! ».
Brigitte part pour une grande tournée de ses amis petits et grands. Il a encore plu toute la nuit. Nous commençons à nous dire que la mousson est en avance cette année. Les maïs s’en réjouissent et sortent de terre. Nos plants d’aubergine ont belle allure. En revanche, notre tente commence à montrer des signes de fatigue : l’eau traverse le double toit… Toutes nos affaires sont humides.
Dazu veille sur nous
Ce matin, nous avons reçu la visite de Dazu. Depuis que l’équipe est partie, il insiste pour que nous allions manger tous nos repas à Lochabang mais nous ne voulons pas nous imposer tous les soirs. Comme il craint que nous ne nous alimentions pas correctement, il est venu vérifier ce que nous nous préparons à manger. Notre protecteur nous dit qu’il faut faire très attention avec le riz. Une fois cuit, il ne faut pas le conserver plus de douze heures. Une intoxication due au riz peut être fatale.
Nous trouvons rapidement la dose exacte que nous devons cuire. Encore une leçon d’adaptation. Presque tous les jours, Dazu, notre protecteur adoré, viendra inspecter le contenu de nos gamelles pour veiller au bon respect de ses consignes. Il surveillera l’état de nos réserves de nourriture (riz, lentilles, sel, sucre…) s’inquiétant que nous ne manquions de rien.
A l’abri des éléments
Pendant que Laurent sort le contenu de la tente sur une grande bâche pour tout faire sécher au soleil qui a finalement décidé de revenir, Man investit ce qu’il a décidé être « sa » chambre, celle qu’occupait son grand-père. Il y réinstalle ses affaires sur le sol en ocre tout juste sec.
Brigitte de retour, Man nous explique que les pluies allant bientôt devenir diluviennes, il faut nous résoudre à quitter notre tente. Enfin, pas vraiment puisque nous décidons de conserver l’intérieur en guise de moustiquaire et de protection contre toutes les bestioles rampantes ou volantes…
Notre future chambre est située à l’étage de notre maison. Pour y accéder, nous devons traverser la cuisine où trône notre foyer en argile à deux trous lui aussi repeint à l’ocre. Par miracle, notre tente rentre au millimètre près dans l’espace entre le mur qui sépare la chambre de la première pièce et le poteau central. Collée contre le mur du fond, elle laisse juste un couloir d’accès de la largeur de la porte. C’est parfait. Nous sommes au sec et prêts pour la mousson !
Une connexion capricieuse
Installés comme de vrais pachas, nous pouvons monter à notre point internet de Banphikot. Il tombe une pluie battante. A notre arrivée, il n’y a pas d’électricité. Le courant et la connexion qui en dépend finissent par revenir mais seulement pour dix petites minutes. C’est suffisant pour récupérer les précieux messages de notre famille et de nos amis que nous ne lisons que le soir avant de nous endormir. L’épidémie semble sous contrôle au Népal avec seulement cinquante-deux malades recensés alors que la France enregistre déjà plus de vingt-trois milles décès.
Nous tentons de revenir par la piste qui descend sur Chinkhet mais lorsque nous voyons un poste de contrôle auquel Man ne nous a pas encore présentés nous décidons par prudence de rebrousser chemin.
Dazu commence les labours
Le calendrier des travaux agricoles n’accordent aucun répit aux paysans du Rukum. Cette période de transition entre la récolte du blé et les semis du maïs et du riz est particulièrement exigeante.
A Lochabang, Dazu laboure avec ses deux bœufs le grand champ où nous avons récolté le blé. Man le remplace. Il apprécie visiblement ce travail très physique. Son père nous explique qu’avant Man pouvait labourer le champ en une seule journée. Lui aura besoin deux jours au minimum d’autant plus que l’un des deux bœufs qu’il vient juste d’acheter est très rétif.
« ek bura, dui buri »
Après le thé, Man nous dit « allons visiter Lochabang ! ». Nous faisons un premier arrêt à une cinquantaine de mètres de chez ses parents, vers le bas, en direction de Chinkhet. Nous sommes chez Ardu, son oncle, celui qui a deux femmes : « ek bura, dui buri ». Didi s’en amuse et nous dit qu’ils font toujours tout ensemble…
La polygamie bien qu’interdite par la loi est tolérée. L’oncle n’avait pas d’enfant avec sa première femme, il a alors pris la sœur de sa première femme comme deuxième femme. Ces deux très jolies didis ne se quittent jamais. Finalement, toutes deux ont eu des enfants ! Elles sont très proches de Didi Sandra. Il ne se passe pas une journée sans qu’elles ne lui rendent visite pour partager une sulpa. Nous n’apprendrons que bien plus tard que ce sont ses nièces. Accessoirement, ces deux magnifiques femmes sont aussi nos porteuses d’ocre.
Avec Ardu, nous dégustons une délicieuse papaye que nous prépare une de ses filles, Kalpana, ravissante comme ses mères. Man nous dit qu’elle est la meilleure amie de sa propre fille Manisha.
Masu et raksi au programme
Nous poursuivons notre tour de Lochabang. En traversant la route, nous arrivons dans le quartier des Magars où nous nous arrêtons dans presque toutes les maisons. Man adore venir les voir. Aujourd’hui, ils ont tué un cochon dont ils ont partagé la viande. Une bonne odeur de cuisson sort de toutes les cuisines. Normalement, les hindouistes n’ont pas le droit de manger du porc mais les Magars, en tout cas ceux de Lochabang, dérogent à ces interdits religieux contrairement à la grande majorité des Chetris. Dans toutes les maisons, on nous offre de la masu, de la viande sous la forme de snacks de porc grillé et le rituel verre de raksi qui l’accompagne.
Nous faisons halte chez un homme qui est de la caste des Bhramane, la plus haute caste. Man nous dit : « Voici un pur Bhramane qui boit du raksi, qui mange du porc et du buffalo ! ». Tout le monde rit de bon cœur.
Chez les épicuriens
Nous atteignons à la nuit tombante les hauteurs du quartier. La visite de Lochabang se termine par la belle maison aux bougainvilliers dont la beauté et les habitants ont séduit Brigitte dès notre arrivée à Horlabot. Un chien dalmatien nommé Google est très content de nous accueillir. Un jeune homme athlétique qui porte un maillot de Ronaldo cuisine une grande marmite de porc, dehors, sur un feu de bois. C’est très appétissant et ça sent bien bon.
A l’évidence, les Magars sont de bons vivants, des épicuriens fiers de l’être, comparés aux Chetris. Nous commençons à comprendre pourquoi Man aime tant venir voir ses amis Magars.
Mariages mixtes
La jeune femme de « Ronaldo » arrive avec un bébé. Elle est originaire de Simtaru et, comme Man, elle est Khatri Chetri. Au Rukum, les mariages mixtes ne posent aucun problème. Les deux communautés non seulement se respectent mais vivent en parfaite harmonie. Mis à part quelques pujas réservées à l’un ou l’autre des deux clans, les festivals hindouistes tels que le Teej sont célébrés dans le quartier Magar en présence de toute la communauté Chetri.
Ici, Man est reçu comme un fils de la famille. A l’intérieur, pour la première fois nous voyons celle qui va devenir « notre » Didi Magar. Son nom est Lila mais ici personne n’utilise les prénoms, c’est impoli. Nous sympathisons immédiatement. Brigitte affirme que c’est comme si elle l’avait toujours connue, comme cela a été le cas dès notre première rencontre avec Man, Didi, Dazu, Jessica….
Une extraordinaire Didi Magar
Notre Didi Magar est une femme très belle au visage mongole toujours illuminé par un sourire espiègle, une sacrée personnalité qui a beaucoup vécu en montagne dans des lieux éloignés où sévissaient et sévissent encore les ours que l’on appelle des balous. Elle connaît plein de plantes médicinales ou simplement comestibles. D’ailleurs, ce soir, nous goûtons chez elle une excellente infusion de racines. Avant de nous laisser partir, notre Didi Magar ira en chercher un sac qu’elle nous offrira.
La viande est cuite. Nous avons droit à une nouvelle portion de masu, avec bien entendu un verre de raksi. Faire une grosse entorse aux coutumes Chetri qui imposent de ne manger que de la viande de chèvre ne pose aucun problème à Man. Il nous demande juste de ne pas parler de cela devant son père.
Une grande famille
A chaque fois que nous le croiserons, le mari de la Didi Magar ne cessera de nous répéter que nous sommes tous une grande famille : « Ustai, ustai. Same family. ». C’était déjà une évidence pour Didi et Dazu mais rapidement tous les habitants de Lochabang, nous considérerons également comme des leurs. Nous nous souviendrons toujours des mots répétés par cet homme, du bonheur d’être leurs semblables, de la même famille. Comment se sentir plus intégrés ? Cette sincérité non feinte embue encore nos yeux quand nous écrivons ces lignes.
Fin de soirée avec Didi et Dazu
Nous faisons remarquer à Man que la nuit est tombée et que ses parents nous attendent pour le dal bhat. Nous prenons congé bien à regret mais ce regret est vite compensé par le plaisir de retrouver Didi et Dazu qui nous ont attendus patiemment pour dîner. Didi sourit en nous voyant arriver. Nous devons être plus gais que d’habitude…
La soirée se poursuit très agréablement par une discussion sur l’origine de l’homme ! Man et ses parents nous laissent réfléchir sur le singe qui ici dit « Namaste » quand l’homme s’apprête à le tuer. Quel plaisir de partager la vie de ces personnes aussi merveilleuses qu’inattendues.
Nous remontons très heureux à Horlabot en dissertant sur les surprises magnifiques et insoupçonnées que nous réserve la vie! Laurent est d’accord quand Brigitte lui dit que le ciel leur a fait le magnifique cadeau du paradis de l’oiseau qui crie.