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Un monde contrasté

Vendredi 22 mai 2020. Réveil 5h00 au paradis de l’oiseau qui crie « Garabang t’attend ! ».

Dazu arrive tôt à Horlabot pour boire le thé avec nous avant d’aller couper du fourrage pour les buffalos. Cela nous fait très plaisir. Il nous invite à manger le dal bhat ce soir. Comme à chaque fois, il inspecte nos casseroles et nos provisions ; il prend toujours grand soin de nous.

Nous imaginons parfois deux asiatiques naufragés par un confinement à Thônes. Serions-nous capables de les accueillir et de les intégrer comme ici nous le sommes ? Pas sûr ! Nous espérons ne jamais oublier cette belle leçon de générosité et toujours laisser les portes de notre maison et de notre cœur ouvertes.

Après une lessive, nous étalons le vieux compost pioché et sorti de la cave par Laurent depuis notre arrivée pour faire notre propre jardin. Ici, sans compost aucun espoir de récolte car les sols sont lessivés par la mousson.

Brigitte peut maintenant partir en exploration. Laurent ira aider Didi et Dazu pour les travaux quotidiens.

Liberté surveillée

Montée maintenant classique après le gué entre Chinkhet et Garaghat par la « crête des deux villages ». Au niveau du premier village, Brigitte quitte l’itinéraire habituel et part à gauche. Vers 1700 m, elle franchit l’arête qui monte vers Phera et bascule sur le village de Garabang. Son idée est de remonter le vallon jusqu’au village de Kandipur par lequel Sita, la fille de Manisha, lui a dit descendre depuis Phera pour se rendre à l’école à Garabang.

En chemin pour Garabang

Brigitte passe devant le centre de soins dont lui avait parlé le couple de Garabang rencontré quelques jours auparavant. Une jeune femme qui y travaille l’interpelle : «  une femme ne doit pas marcher seule en montagne, c’est dangereux ! ». Après une longue discussion en anglais, elle laisse Brigitte repartir en lui offrant de l’eau mais en lui interdisant de poursuivre dans le vallon jusqu’à Kandipur. Le chemin est trop difficile à trouver lui dit-elle en la sommant, pour se rendre à Phera, de suivre un homme qui remonte sur la crête qu’elle vient juste de franchir.

Brigitte obtempère car la jeune femme semble vraiment inquiète pour elle. En haut du village de Garabang, il y a quelques fermes où des didis très sympathiques l’invitent à s’asseoir avec elles. Ceci lui permet de fausser compagnie à son chaperon. Elle repart après une sympathique discussion à l’ombre car ici tout le monde craint la chaleur et s’en protège. Brigitte remonte jusqu’à l’arête et la parcourt jusqu’au bel arbre à palabre de Phera. Elle ne regrette pas le changement d’itinéraire qui lui a été imposé car cette arête est magnifique.

Douceurs du Rukum

Aussitôt, le fils de Manisha vient à sa rencontre pour l’inviter à manger les rotis. Brigitte a amené des dattes trouvées dans le magasin de « sa » didi à Chinkhet et, sans le faire exprès, elle fait des heureux. Comme elle, toute la famille de Manisha adore ces petits fruits très secs !

Le fils de Manisha lui offre des kafals qu’il a ramassé à Thuma Lekh. Comme elle a hâte d’aller là-haut !

Manisha et ses fils

Brigitte redescend par la piste. Au col de Jhula, trois didis qui reviennent du moulin de Chinkhet lourdement chargées et remontent à Phera font une halte pour reprendre des forces en mangeant un cornet de riz soufflé et de nouilles déshydratées. Brigitte discute avec elles en se régalant, comme les enfants, d’une petite boule de coco.

Une didi qui parle français !

A Chinkhet, elle achète des dattes pendant qu’il y en a encore car on ne sait de quoi demain sera fait et elle tient à en offrir de nouveau à la famille de Manisha. Le mari de « sa didi du shop de Chinkhet » dont elle ne connaîtra jamais le nom est là. Il a l’allure d’un businessman occidental. Sa femme, tout au contraire, est habillée de façon très traditionnelle et a toujours un de ses nombreux jeunes enfants au sein. Elle est très jolie, toujours souriante, habillée et maquillée avec soin comme la plupart des femmes ici. Depuis leur première rencontre, Brigitte et elle ont une belle complicité.

Ce matin, elle lui a dit en français « 1 kilogramme c’est 300 roupies ». Brigitte en est restée bouche bée et n’en est toujours pas revenue.

Convivialité dans les affaires !

Brigitte évite sa boutique lorsque son mari est là car il a toujours des plaisanteries frimeuses et grivoises qui lui déplaisent. Ce soir, Brigitte n’a pas vu qu’il était là. A son arrivée, il sort de la pièce sombre située au fond d’un étroit couloir de tôle où les enfants couchés sur une planche regardent la télévision. Il clame, comme à chaque fois, vouloir échanger sa femme contre une Française.

D’ordinaire Brigitte fait semblant de ne pas avoir compris et passe son chemin mais aujourd’hui il l’énerve vraiment alors elle lui répond : « je ne sais pas si une Française voudrait de toi mais fais attention, si des Français viennent, ils vont tomber amoureux de ta femme belle, intelligente parlant déjà leur langue ».

Commerce équitable

Le mari indélicat sourit jaune alors que toutes les didis des boutiques voisines qui, comme d’habitude, sont venues dès l’arrivée de Brigitte rient de bon cœur.

Ici, tout le monde s’entraide. Les didis pratiquent le commerce en réseau. Si l’une d’elles n’a pas un produit, elle le demande à une de ses amies. Cette dernière fonce le chercher dans sa boutique. Brigitte paie la note à sa copine qui redistribue ensuite l’argent. A Chinkhet, nous sommes bien loin d’Amazon, de ses entrepôts géants et de ses drones. Le commerce est convivial, chaleureux, avec circuits courts et livraison rapide à pied !

Un poissonnier fier de sa pêche

Maintenant, tout le monde sur le chemin demande à Brigitte non seulement où elle va mais aussi d’où elle vient : « Timī kahām̐kō hauṁ ? » .

Sur le chemin du retour, des didis lui offrent des pêches pas encore mûres, très dures mais avec un bon goût. Nous comprendrons vite qu’ici il est impossible de consommer les fruits mûrs à point car ils pourrissent très vite. Alors, ceux et celles qui ont de bonnes dents les dégustent avant qu’ils ne mûrissent pour ne pas les perdre. Les autres en font des pickles en les écrasant avec du piment.

Point de bascule

A Lochabang, Laurent est un sauveur car il a réparé la télévision !

Dans l’après-midi, il est monté à Banphikot. Devant les bureaux de la municipalité rurale, il fait le constat d’une activité inhabituelle. Beaucoup de visages lui sont inconnus. Il se remémore les paroles d’Harka Pun faisant écho de l’arrivée de sept bus de travailleurs contraints de revenir d’Inde, leur terre d’émigration. Méfiance ! Pour la première fois depuis très longtemps, il se cache derrière un masque…

En France, c’est le week-end de l’Ascension. Tout le monde doit profiter du déconfinement et de la liberté retrouvée car nous n’avons pas reçu de messages. La tenue du deuxième tour des élections municipales fait débat alors que les réunions publiques sont toujours interdites. Un scrutin sans campagne est-il démocratique ?

Le nombre de cas de coronavirus augmente au Népal mais le Rukum et le district du Rolpa sont toujours épargnés. Sans le savoir, nous sommes à un point de bascule : la pandémie s’éloigne pour un temps de l’Europe alors que la première vague de virus va bientôt toucher le sous-continent indien.

Didi et Dazu nous offrent un délicieux repas avec de la masu de chèvre. C’est peut-être pour fêter la fin du nettoyage du blé ou le retour prévu de Man qui finalement ne rentrera pas ce soir. Nous passons une soirée formidable comme toujours en discutant de sujets variés et souvent inattendus.

Ce soir, le jhakri de Jhula officie à Sandanbura ; son tambour nous bercera toute la nuit.

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