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Une allocution historique

Lundi 6 avril 2020. Réveil 5h00 aux cris de l’oiseau du paradis.

A peine une heure plus tard, le son de Radio Sani Bheri envahit la vallée, imposant son hégémonie aux oiseaux et insectes qui voulaient discuter avec nous. C’est la radio locale qui a emprunté son nom à la rivière. Un habitant de la vallée a décidé de faire don à tous les habitants des flashs infos sur le coronavirus ! Il fera école. Dorénavant, même dans les endroits les plus reculés, Radio Sani Bheri avec son jingle sur le coronavirus, que chacun va bientôt fredonner, fera partie du décor sonore. Heureusement, l’oiseau de paradis a gardé son créneau matinal. C’est notre émission préférée. Quant aux insectes « turbine », ils gardent le créneau du soir.

Brigitte part en balade par le chemin maoïste du haut. Traversée de la colline de pins jusqu’à l’arête de Chinkhet ; remontée de cette dernière jusqu’à la fontaine entre les deux pipal, un mâle peu remarquable et une femelle qui étend ses branches le plus loin possible dans toutes les directions telle la déesse aux multiples bras dont nous ne connaissons pas le nom.

Rituel du matin

Après sa rituelle halte chez Karma Dir et Dila, elle poursuit vers Dang sur le chemin en balcon dominant la vallée, avec tous les enfants dont elle est devenue la « aunty » puis avec ceux menés par Tchamili qui l’accompagnent joyeusement jusqu’au point où ils doivent faire demi-tour pour retourner travailler. La séparation dure longtemps. Ils ont toujours une dernière salve de questions : « Aunty, kaha jane boli ? Aunty, uncle ? ».

Brigitte termine son tour seule en descendant vers la Magma Khola, un cours d’eau qui se jette à Chinkhet dans la Sani Bheri. Du lit de la rivière, plusieurs sentiers remontent vers la piste entre Kibane, où nous aurons bientôt nos habitudes, et Lochabang.

Quel bonheur d’avoir l’impression de maîtriser les lieux ! Enfin encore bien modestement car « les lieux » se résument pour l’instant aux pans de montagne qui ceinturent la colline de Banphikot de Dang jusqu’au lac Syarpu en tournant au-dessus de Chinkhet. Ce petit bout de territoire nous paraît toutefois immense tant il est synonyme de liberté préservée malgré le confinement.

Jessica au travail

A Lochabang, Jessica lave le sol de la cuisine. Elle rit car elle est couverte de boue. Le sol est constitué d’un mélange d’ocre et de bouse de buffalos. Une fois sec, le revêtement est solide. Contrairement aux idées reçues, ce sol en terre battue n’est pas poussiéreux. Tous les jours, Jessica balaie la pièce pour éliminer les cendres autour du foyer et les saletés accumulées autour du tas de bois posé contre le mur.

Régulièrement, en général la veille d’une grande occasion, Didi et Jessica se lancent dans un grand nettoyage. En fait, elles repeignent le sol pour éliminer les tâches et lui rendre sa belle couleur ocre. Il leur suffit d’une petite cuvette d’eau et de quelques poignées de terre fine pour préparer le mélange. Quoi de plus naturel ! Jessica s’amuse en travaillant. Ses peintures de guerre sont ravissantes.

L’attente

Ce matin, Man est monté à Horlabot avec un doko pour cueillir les fleurs de coiral. Comme chaque matin, il interroge Brigitte à propos de sa balade matinale. Il est heureux de la voir s’évader car il a compris qu’elle est, comme lui, insatiable d’espaces et de liberté. Il se réjouit que nous apprécions son pays, que nous nous sentions comme chez nous à Horlabot.

Man perché dans le coiral

Le lockdown prend fin officiellement aujourd’hui. Man n’a pas encore d’informations officielles mais il ne fait aucun doute que le gouvernement népalais va annoncer une prolongation du confinement. De son côté, l’équipe est confiante. Plein d’espoir, nos quatre confinés de Katmandou restent collés au poste de radio que Man a emprunté pour eux dans la cuisine de Didi, privant au passage sa maman d’un de ses petits bonheurs quotidiens : écouter de la musique en préparant le repas.

Zimba nous appelle sur le téléphone de Man. A Katmandou, il n’y a pas de nouveaux cas de coronavirus. La femme revenue contaminée de France est guérie. Néanmoins, avec toute la famille, ils vivent cloîtrés à domicile et se font livrer de la nourriture. La vie est plus difficile pour les plus démunis qui vivent au jour le jour. Ils souhaitent être autorisés à partir dans leurs villages où ils pourraient plus facilement survivre.

Ces nouvelles de Katmandou confortent Bhim et les siens dans leur nouvelle posture : ils se trouvent désormais très bien ici !

Man perché dans les arbres

Man grimpe dans ces arbres plutôt frêles avec une agilité remarquable. Il dépouille les branches les plus basses de leurs fleurs roses et blanches avant de s’aventurer plus haut. Le mouvement de balancier de l’arbre qui s’accentue ne semble pas perturber notre ami. Il atteint bientôt les plus hauts branchages dans une posture d’équilibriste, les jambes très écartées, ne se tenant qu’aux fleurs qu’il arrache de ses deux mains. Quelle prise de risque pour un condiment aussi délicieux soit-il !

Alors qu’il s’attaque au dernier arbre, Man change soudain de stratégie. Il part avec la machette pour couper le tronc de l’arbre. Nous ne saurons pas s’il s’agissait de lassitude ou d’une improbable prise de conscience du danger mais à le voir revenir, l’arbre sur le dos, les yeux pétillants de malice nous comprenons qu’il est fier de lui. Il nous déclare toujours rieur : « Si mon père apprend ce que j’ai fait, il me tue ! ». Son geste n’était peut-être qu’un ultime défi à l’autorité paternelle.

Changement de technique

Un pickles pour les grandes occasions

Cet arbre au sol nous donne l’occasion de participer à la cueillette malgré notre condition de terrestre plutôt rampant que voltigeur inapte aux travaux aériens sans filet. Bientôt, les fleurs colorées remplissent le doko. Didi terminera le travail en faisant cuire les fleurs dans l’eau bouillante avant de les faire sécher au soleil. Après toute cette préparation, tout le contenu du doko rentrera dans un pot en plastique transparent de quelques litres, celui-là même qu’elle utilise pour nous offrir du petit lait de temps en temps. Elle ajoutera quelques piments rouges entiers et fera macérer le tout dans l’huile. Le bocal sera placé au soleil pour quelques jours. Régulièrement, Didi le secouera pour que les fleurs s’imprègnent bien de l’huile épicée.

Man nous explique que ce pickles est destiné à une grande occasion. Il sera servi lors du repas regroupant toutes les personnes ayant participé à la récolte du blé à Cherakhet.

Man joue les maçons

Après avoir descendu les fleurs à Lochabang, Man est de retour. Il veut réparer les dégâts causés par les rongeurs qui ont creusé quelques jolis trous dans le sol et les murs des maisons. Pour boucher les trous de souris, il doit préparer une sorte de béton à base de terre. Sans rien dire, Man part chez Dhami. Nous l’apercevons quelques minutes plus tard au-dessus de nous. Il tire un tuyau noir à travers le champ de blé de son ami pour amener l’eau « potable » chez nous. Man est radieux, ravi de son effet de surprise. Grand luxe, nous n’avons plus besoin de descendre à la terrasse inférieure avec le bidon de vingt litres.

Brigitte se demande soudain d’où vient le nom de « Plymouth » qu’elle utilise couramment pour désigner ces tuyaux d’adduction d’eau, souvent de petit diamètre, en caoutchouc noir. Pourquoi cette interrogation lui vient-elle seulement maintenant à l’esprit alors qu’elle a installé, il y a des années, 400 m de ce type de tuyau pour amener l’eau jusqu’à un chalet d’alpage en Oisans ? Pourquoi les questions surgissent-elles parfois sans logique chronologique ? Elle se demande si cela n’arrive qu’à elle et Laurent lui dit « oui », juste pour rire ou peut-être parce que c’est la vérité.

Une nouvelle semaine de lockdown

Nous partons à Cherakhet car le bruit court que le propriétaire du shop a décidé de rouvrir en portant un masque. En dessous de Dang, nous croisons un jeune professeur de Katmandou venu se réfugier au Rukum chez ses parents. Il nous apprend que le gouvernement a pris sa décision : sept jours supplémentaires de lockdown. Nous pourrions dire seulement sept jours tant il est difficile de croire que la crise sera résolue dans une semaine.

Ce contexte inédit pour tous les dirigeants ouvre un débat politique et philosophique. Vaut-il mieux entretenir le vain espoir d’une rapide sortie de crise ou faire des annonces réalistes au risque d’effrayer la population ? Pour notre professeur, la question est tranchée par le jeu institutionnel : pour décréter un lockdown plus long, le gouvernement de son pays devrait soumettre le projet au parlement.

Savourer l’instant présent

Pour nous, a posteriori, cette stratégie des petits pas a été une véritable chance. Aussi étrange que cela puisse paraître, ne pas avoir de perspectives de retour nous a poussé à vivre pleinement tout ce qui s’offrait à nous. L’éphémérité des choses exacerbe le plaisir qu’elles procurent. En séjournant sept mois au Rukum sans jamais savoir combien de temps il nous restait à y vivre, nous avons découvert le bonheur intense de l’éphémère durable.

Encore fallait-il avoir vu dès le départ ce séjour forcé comme une chance ! De nombreux touristes bloqués à Pokhara ou à Katmandou ont sombré dans une profonde dépression même sans contraintes matérielles. D’autres se sont comme nous réjouis de leur sort et se sont battus pour avoir le droit de rester le plus longtemps possible. Les réactions humaines sont vraiment imprévisibles.

Les us et coutumes

Nous retrouvons Man et Bhim à la boutique qui est effectivement ouverte et redevenue l’agora des habitants du quartier pour quelques précieux instants de convivialité. Tout le monde est assis sur le banc qui jouxte l’échoppe ou accoudé au comptoir et commente cette prolongation du confinement avec le propriétaire des lieux.

Une boutique toujours bien achalandée

Nous découvrirons au fil du temps qu’il est d’usage de prendre le temps de s’asseoir et de discuter avant de commencer ses achats. Faire ses emplettes sans respecter ce cérémonial est même impoli. Cela nous rappelle un peu les inévitables et interminables négociations dans le souk de Marrakech auxquelles il est nécessaire de s’astreindre pour ne pas décevoir le vendeur trop heureux de discuter avec son client étranger. Les us et coutumes sont parfois bien délicats à cerner pour le voyageur pressé.

En nous voyant arriver, le propriétaire nous dit gentiment « Bosne ! » en nous montrant le banc. Man soucieux nous confirme que le lockdown est prolongé.

Un discours symbolique

Bhim nous fait lire un long message de Renée qu’il a reçu de Namgyal.

Aujourd’hui le Royaume-Uni est sous les projecteurs car, pour la première fois depuis le début de la crise, des gens célèbres y sont touchés par le virus. Le prince Charles a été testé positif le 25 mars mais ne souffre pas de symptômes sérieux. Le lendemain, c’était le tour du premier ministre britannique d’être diagnostiqué. Boris Johnson vient d’être admis en soins intensifs. Il est le premier homme politique de stature internationale a être sévèrement atteint par le coronavirus et ses jours sont en danger.

La reine Elizabeth II s’est adressée à ses sujets du Royaume-Uni et à tous les habitants du Commonwealth au cours d’une allocution télévisée. C’est un événement historique. Il s’agit seulement de sa quatrième prise de parole officielle en temps de crise, après soixante-huit ans de règne. Son intervention témoigne de l’ampleur de la crise dans son royaume mais également dans le monde entier où les décès s’accumulent.

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