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A bord du « Super Rolpa »

Dimanche 15 mars. Hier le stade 3 de l’épidémie a été déclenché par le gouvernement français. Le premier tour des élections municipales est maintenu envers et contre tout malgré une fin de campagne où les candidats n’ont pu défendre correctement leurs programmes. Le confinement sera décrété le lendemain… Damber, un ami népalais installé au Portugal, nous raconte comment les gens se ruent dans les magasins pour faire des stocks. Il est affolé. Nos mères ont des réactions opposées. L’une s’enferme chez elle avec quinze jours de nourriture ; l’autre ne fait aucun stock et ne compte pas changer ses habitudes.

Nous passons la matinée à refaire nos sacs en les allégeant de quelques paires de chaussettes. Nous avons rendez-vous en début d’après-midi à l’agence. Bhim nous présente les deux autres assistants qu’il a choisi : Dorje Rai et Dan Bahadur Magar dit « Dibi ». De son côté, Man est parti à la pharmacie pour compléter la trousse de secours.

A la recherche du bus perdu

Zimba et Namgyal sont descendus pour nous faire une dernière accolade et s’assurer que tout est en ordre. Il est temps de partir. Nous chargeons le mini-bus et partons pour Gongabu New Bus Station, au nord de Katmandou. Nous sommes en avance et devons chercher notre bus parmi les centaines de véhicules alignés dans les nombreuses allées de l’immense parking de la gare routière réservée aux bus « long courrier » qui sillonnent, bondés, les routes et les pistes du Népal. Après vingt bonnes minutes, nous finissons par dénicher notre « Super Rolpa », un bus jaune et bleu qui a déjà bien roulé sa bosse. Il garde la fière allure des baroudeurs marqués dans leur chair mais d’une étrange beauté reflétant le bonheur de continuer à profiter insatiablement de la vie après l’avoir dégustée chaque jour avec gourmandise.

Nous prenons soin de ne pas réveiller le chauffeur assoupi au soleil sur son siège. Il arrive probablement d’un épuisant trajet et reprend quelques forces avant de reprendre le volant. Le pare-brise est fendu de bas en haut mais présente l’avantage indéniable d’être encore là, ce qui n’est pas si courant que cela. Souvent une simple grille en métal protège le chauffeur des pierres. Pour la pluie et le vent, un simple plastique, qui n’a de transparent que le nom, fait l’affaire.

Chauffeur, un métier à haut risque

Nous cherchons des yeux un deuxième chauffeur mais existe-t-il ? Un seul conducteur peut parfaitement effectuer l’aller-retour entre la capitale et le terminus de la ligne, Sulichaur, soit au bas mot 28 heures de trajet. Ici, on ne compte ni les heures de conduite, ni les temps de repos mais nous sommes confiants, les chauffeurs de bus sont des guerriers… des vrais Gurkhas !

Dans les bus il y a toujours un assistant, son rôle est primordial. Il tape sur la carrosserie lorsque le chauffeur fait une manœuvre périlleuse au bord d’un ravin pour indiquer que la chute dans le vide est imminente. Il saute dans la boue de la piste pour trouver pierres ou branches qui permettront au bus de continuer son avancée ou, au moins, de stopper son recul en patinant artistiquement vers le ravin. Il indique en criant la destination du bus à chaque arrêt et case les personnes et les bagages dans le véhicule souvent déjà plein comme un œuf. Il encaisse l’argent lorsque les passagers quittent l’habitacle. Il distribue les sacs en plastique pour vomir. Il répare les avaries. Bref, sans assistant pas de voyage.

Cap à l’ouest

Pour l’instant, l’assistant nous aide à charger notre équipement. Les dokos, ces grands paniers en osier que les villageois népalais arriment à leur front pour transporter toute sorte de choses, rentrent difficilement dans le petit coffre à l’arrière du bus. Bhim fixe le plus solidement possible le bidon de kérosène dont le bouchon n’inspire guère confiance. Les tentes et nos sacs sont hissés sur le toit et arrimés sous une bâche qui les protégera d’une éventuelle pluie et de l’inévitable poussière de la route.

Nous prenons place dans le bus aux sièges numérotés. Man n’a pas réservé le premier rang comme nous le souhaitions. La suite du voyage nous confirmera la pertinence de son choix. Le bus démarre. Nous allons chercher les autres passagers qui attendent dans la zone d’embarquement, de l’autre côté de la gare routière. Le bus est plein. C’est enfin le vrai départ.

Trajet en bus de Katmandou à Sulichaur

Un confinement pas ordinaire

A peine sorti de Gongabu, notre bus s’arrête pour embarquer de nouveaux passagers. La sortie de Katmandou est épique. Notre bus longue distance fait l’omnibus et s’arrête à chaque coin de rue. A ce rythme, nous ne sommes pas arrivés ! Nouvelle halte, l’assistant part en courant et revient d’une boutique un sac à la main. Plus loin, on lui tend un paquet qu’il prend à la volée et entrepose derrière la porte. Visiblement, cette liaison quotidienne assure également le transport de colis non accompagnés au contenu énigmatique. Une équipe de géomètres grimpe à son tour dans le bus. Ils empilent leurs fragiles instruments et vont se serrer à l’arrière. On charge même des dents de rechange pour une excavatrice. Elles vont rejoindre les théodolites au milieu du couloir. Par la fenêtre, Bhim a profité de la halte pour acheter des épis de maïs grillé. Gentille attention.

Le soleil se couche sur les collines qui ceinturent la vallée de Katmandou. En deux heures, nous avons parcouru moins de cinq kilomètres. Mais cette fois le bus est complet. Erreur ! Nous stoppons de nouveau. Une femme s’installe devant dans la cabine du chauffeur qui semble très prisée. Ses deux jeunes enfants trouvent une place entre le siège du chauffeur et la paroi qui sépare ce dernier des passagers. Les derniers s’entassent près de la porte ou s’assoient sur les cartons dans le couloir.

Avec notre équipe, nous sommes les seuls à porter un masque. Dans ce contexte sanitaire, ce voyage de quinze heures dans l’atmosphère ultra-confinée d’un bus local est une prise de risque que nous avons tous acceptée car nous sommes convaincus que notre destination finale est plus sûre que la capitale.

Les aléas de la route

La nuit est tombée lorsque nous basculons de l’autre côté du col de Naubise. Nous allons vite regretter la lenteur des premiers kilomètres de notre voyage. Pour tenter de rattraper son retard ou peut-être seulement pour tenir l’horaire qu’on lui impose, le chauffeur accélère. Cette route est dangereuse. Que dire des dépassements à l’aveugle ?

Notre pilote ne supporte pas qu’un véhicule ose rouler devant lui. Il double les camions, les bus et même quelques voitures de tourisme que l’état de la chaussée invite à la prudence. Ce slalom permanent est accompagné d’un concert de klaxon plutôt amical et bienveillant. Le véhicule doublé s’arrange sans sourciller pour laisser la place à celui qui le dépasse. Nulle agressivité et beaucoup de solidarité au sein de cette confrérie de la route. Les accidents et les drames sont pourtant nombreux. Les carcasses dans le ravin en contrebas de la route en sont les témoignages.

Cette conduite « sportive » rend beaucoup de passagers malades et les sacs en plastique passent de mains en mains pour arriver au plus vite jusque dans celles des gens qui vomissent. Droguée à la nautamine, Brigitte plonge dans un profond sommeil.

Les lacets du col sont loin derrière nous. Le bus s’arrête pour la pause pipi. C’était bien la peine de doubler tout le monde. Peut-être que notre Fangio avait juste envie de faire pipi… Pour Brigitte, le seul abri sera l’obscurité de la nuit. Au diable la pudeur. La route est encore trop longue pour patienter !

Pause dal bhat au milieu du Teraï

Quelques cents kilomètres plus tard, après Mugling, nous quittons la direction de Pokhara pour obliquer au sud vers le Terai. La route traverse la chaîne montagneuse du Mahabharat en longeant la Trisuli River et gagne la plaine au niveau de Bharatpur pour rejoindre la Mahendra Highway qui traverse le pays d’est en ouest.

La route est enfin rectiligne et plate. Nous nous arrêtons au milieu de la nuit dans un de ces nombreux « restaurants » qui bordent la route. Ouf ! Nous allons pouvoir nous dégourdir les jambes et manger un morceau. Ces restaurants sont souvent de simples abris en tôle où le dal bhat est servi à la chaîne, ce qui ne l’empêche pas d’être excellent et parfaitement épicé. Laurent, Man et l’équipe se régalent. Brigitte préfère passer son tour de peur d’être malade dans le bus.

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