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CDI au Rukum

Samedi 30 mai 2020, 5h00. Réveil au paradis. L’oiseau se moque de ses voisins de terrasse « pas beaux à voir les deux réfugiés sanitaires ! ».

Toute la nuit, Laurent a fait de nombreuses balades nocturnes au bout du jardin… Au tour de Brigitte toujours affaiblie de s’occuper de Laurent mais si certains malades sont optimistes d’autres le sont beaucoup moins. Laurent n’est pas du genre optimiste. Il se pense à l’article de la mort. Au début ça surprend puis c’est plutôt rigolo. Néanmoins, Brigitte fait de son mieux pour sembler le prendre très au sérieux et le soigne à la hauteur de sa mort prochaine…

Nostalgie

Dans la matinée, Laurent s’endort tandis que Brigitte discute avec Man dans la chambre de ce dernier, située à l’angle du premier étage de l’autre maison. Il a choisi de s’installer ici car c’était la chambre de son grand-père qu’il adorait. Man a de nombreux souvenirs heureux de son enfance passée à Horlabot. Il évoque le temps où la maison disposait d’un escalier intérieur permettant de circuler du rez-de-chaussée à l’étage à l’abri de la pluie. Cette nostalgie architecturale explique peut-être son amour inconditionnel des grandes pièces à vivre typiques des maisons Magar où aucun obstacle ne vient gêner les habitants de profiter de tout l’espace disponible.

Dans sa chambre, Man a installé la grande couverture tissée main qu’il a achetée aux nomades de Thulo Daha et, bien sûr, son trésor, sa passion : SA carte. Man ne se déplace jamais sans elle. Dès qu’il voit quelqu’un, il la sort, la déplie en entier et explique comment on peut trouver les lieux, les distances entre deux endroits, les orientations, les altitudes. Il pense que tout le monde devrait savoir lire une carte !

Brigitte rassemble le peu d’énergie dont elle dispose encore pour descendre à Chinkhet acheter du sucre pour son malade. De retour, elle prépare à Laurent un thé et une soupe avant de s’endormir épuisée à ses côtés.

Dimanche 31 mai 2020, 6h00. L’oiseau du paradis nous réveille : « Debout ! Vous avez de la visite ! ».

Didi, Dazu, Man et Jessica arrivent effectivement très tôt pour prendre soin de nous. Ils nous amènent plein de petites baies noires cueillies par Didi pour nous soigner. Cueillir autant de si petites baies nécessite une telle patience que nous en serions probablement incapables sauf si c’était pour des gens que nous aimons vraiment beaucoup.

Ambulance hors service

Didi propose même de porter Laurent sur son dos à l’hôpital ! Brigitte se jure de ne jamais faire sa molle aussi longtemps qu’il lui restera des poussières de forces pour être à la hauteur de « sa » Didi adorée. Laurent, un peu honteux, refuse gentiment de monter dans l’ambulance. Il se sent faible mais sur la voie de la guérison. Didi est rassurée !

Brigitte part aux nouvelles à Banphikot. Elle récolte un flot de messages. Tous nos proches nous écrivent presque chaque jour : comment avons-nous pu craindre qu’ils ne nous oublient ? Une des nièces de Brigitte et un de ses neveux veulent nous faire rapatrier. Très émue, elle poursuit sa balade jusqu’à Kanda sans se soucier de la pluie qui redouble. Elle revient par Kibane en passant devant la maison du bonheur où elle s’assoit pour discuter. Elle en repart avec un sac rempli de kafals.

A Lochabang, elle retrouve Didi qui lui montre son dos en disant « Dukh cha ! ». Nul besoin de traducteur pour comprendre qu’elle souffre. Heureusement que ce matin Laurent a refusé l’offre de Didi ! Malgré la douleur, elle accomplit sa corvée de bois comme si de rien n’était. Brigitte partage avec elle les kafals qu’on vient de lui offrir. Un régal !

Miracle !

Laurent va mieux. Il est descendu avec Man de Horlabot. Ils essaient de soulager Didi en la massant avec une crème trouvée dans la pharmacie que nous avions pour le trek.

Tandis que Man « s’échappe » pour retrouver ses amis Magars à Tarchibang, nous remontons à Horlabot. Brigitte, très faible, escalade les premières terrasses à quatre pattes. Heureusement, Laurent est plus vaillant. Miracle, il a ressuscité !

Après une grosse assiette de riz, Laurent rejoint Brigitte sous la tente pour lui lire à haute voix les messages qu’elle a rapportés de Banphikot.

Parodie démocratique

En France, les restrictions sanitaires encore en vigueur remettent en question la tenue du deuxième tour des élections municipales déjà reporté à cause du confinement au lendemain du premier scrutin. Peut-on mener une campagne dans ces conditions ?

Les avis divergents au sein même des familles politiques semblent opportunistes : ceux qui font la course en tête dans les sondages sont pour le maintien alors que les autres demandent l’annulation. Cette triste réalité laisse penser que le taux d’abstention record du mois de mars, près de 55 %, n’était pas uniquement dû au virus…

Trahison

Les ambitions personnelles passent au-dessus des valeurs défendues par les candidats. Brigitte en fait l’amer constat en observant l’impasse face à laquelle se trouvent ses colistiers qui demandent depuis des semaines une fusion des listes d’opposition. La plupart de ces personnes étaient des novices en politique qui se sont retrouvées sous une bannière commune car ils voulaient défendre leur cadre de vie et rêvaient d’un territoire où la nature cesserait d’être saccagée par les être humains assez présomptueux et stupides pour s’imaginer ne pas en faire partie.

Hélas, la naïveté et la candeur ne font pas le poids face au calcul et à l’arrivisme. Le bien commun s’écarte des débats quand il s’agit de recomposer une liste. Certains sont prêts à tout pour devenir maire ou adjoint, à n’importe quel prix. Ils préfèrent saborder le navire plutôt que de céder leur place.

Ceux qui se désignent désormais comme les « dissidents » avaient sous-estimé le pouvoir absolu de la tête de liste qui doit donner son aval à toute fusion même si sa voie est devenue minoritaire dans son propre camp. Certes, ils auraient dû mieux se renseigner avant de se lancer dans la vie politique mais comment auraient-ils pu imaginer les tractations sordides qui nous parviennent jusqu’au Rukum ? Tout ceci nous semble même irréel. Le monde d’après semble pire que celui que nous avons quitté il y a trois mois…

Confinement à Durée Indéterminée

Le monde d’ici est plus apaisé. Le retour au pays de centaines de milliers de travailleurs népalais expatriés en Inde représente néanmoins une épée de Damoclès sur le plan sanitaire. Privés de leur emploi, ils n’ont guère d’autre choix que de rentrer dans leurs villages où ils sont placés en quarantaine dans les écoles. Néanmoins, le nombre de cas vient d’exploser au Népal : 1400 dont 400 au cours des deux derniers jours. Ces chiffres feraient aujourd’hui sourire… Le Rukum n’enregistre encore aucun cas. Nous sommes vraiment au paradis.

Le gouvernement népalais gère au mieux la situation. Nous sommes certains que le lockdown va être prolongé une nouvelle fois. Comme la mousson approche et que ceci annonce la fin de l’habituelle saison touristique, le pays peut rester dans sa bulle sanitaire sans aggraver la crise économique qui le frappe.

Brigitte se sent tellement bien au Rukum que l’idée d’un lockdown infini ne l’angoisse pas du tout. Elle signerait bien pour un confinement à durée indéterminée. Depuis qu’elle sait que nous ne sommes pas oubliés en France, elle envisage sans angoisse que nous puissions finir nos jours au Népal. De son côté, Laurent n’a jamais été effrayé par cet éloignement prolongé. La seule chose qui le gêne est le constat de ne pas être maître de son destin.

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