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De Pharping à Faro

Après avoir quitté Dakshin Kali, Damber nous montra les serres qu’il avait construites sur les terres achetées avec le pécule économisé en guidant les clients de Khumbila. En moins d’un an, il avait abattu un travail considérable. Ses tomates étaient délicieuses. Il pouvait être fier du résultat. Ang Dati, conquise par la gentillesse de Damber, lui fit la promesse de parler de ses fruits et légumes à ses amies sherpanis afin qu’il puisse vendre en direct sa production.

Premiers labours à Pharping

Hélas, quelques mois plus tard, Damber, qui fait partie d’une minorité népalaise convertie au christianisme, allait être victime du capitalisme religieux et d’une forme certaine de ségrégation. Les lamas et les propriétaires des luxueux lieux de retraite spirituelle pour de riches occidentaux adeptes du bouddhisme ne voyaient pas d’un très bon œil ses projets de culture maraichère. Ils firent dévier le cours d’eau et tarir la source indispensable pour irriguer les plantations de Damber. D’un coup, en osant un mauvais jeu de mot qui ferait rire Ang Dati, tous ses projets tombaient à l’eau.

A la recherche d’une terre d’asile

Toutes ses économies étaient perdues. Damber décida alors de venir tenter sa chance en Europe. Après avoir épuisé son visa touristique entre France et Espagne, il tenta même de rentrer dans la Légion étrangère. Nos tentatives pour le dissuader restèrent vaines.

Devenu clandestin, Damber voyait la Légion comme une chance de régulariser sa situation. Pour lui, ce corps militaire partageaient bien des caractéristiques celui des Gurkhas de l’armée britannique. Le khukuri, un couteau à large lame courbée, qu’ils arborent fièrement en toute occasion, a rendu célèbres les Gurkhas. Cette arme a forgé leur férocité légendaire tout autant que leur devise qui les engagent à ne renoncer devant aucun danger : « Plutôt mourir que de vivre en étant un lâche ».

Un agneau parmi les loups

Pour un Gurung, natif du village de Laprak situé à l’épicentre du séisme de 2015 et à quelques kilomètres de Gorkha, servir dans une unité de Gurkhas est vu comme le saint graal. Du coup, il était même convaincu qu’il pourrait faire carrière dans la Légion. Nous ne saurons jamais quel ami français lui avait mis cette idée en tête mais il ne devait pas bien connaître notre Damber.

De la bravoure, certes il ne manque pas. Damber est natif du village de Laprak situé à l’épicentre du séisme de 2015. Sans nouvelles de sa mère, alors que les répliques secouaient encore la capitale, il quitta Katmandou sur une moto sur des routes dévastées. Il termina en courant deux jours durant sa folle course contre la montre pour retrouver ses proches. Arrivé en vue du village, il ne vit que désolation. Toutes les habitations étaient détruites. Au milieu des décombres, une apparition miraculeuse : sa mère faisait partie des rescapés. Damber fondit en larmes de bonheur.

Quand il nous raconta cette histoire quelques mois plus tard, Damber en était encore retourné. Doux comme un agneau, nous l’avions déjà vu donner tous ses vêtements chauds aux porteurs de notre équipe du Mustang et, une fois seul avec nous, se retrouver à grelotter dans une petite veste en cuir pour traverser le Thorong La à 5500m.

Une plantation miraculeuse

En chemin pour Besisahar, entre Manang et Chame, nous allions découvrir avec lui à Bhratang une drôle de plantation : des hectares de pommiers qui ressemblaient à des plants de tomates. Intrigué, Damber prit quelques photos à travers les barbelés en bravant l’interdiction inscrite en anglais sur quelques panneaux accrochés à la clôture. Les pommiers âgés de quelques mois seulement donnaient déjà de magnifiques fruits.

Les pommiers miraculeux de Bhratang

Le soir même, Damber nous confia qu’il voulait renoncer à guider les touristes pour devenir fermier. Avec lui, nous voulions élucider le mystère de ces plants miraculeux qui le faisaient rêver.

Pour l’anecdote, nous croiserons à Besisahar un certain Man Bahadur Khatri. Il faisait partie des six guides népalais du projet « Nepali Guide Mountain Ski Training » qui venaient apprendre à skier sur les pentes du Chulu East. La logistique de l’opération étant assurée par Khumbila, ils venaient de débarquer du bus de l’agence qui devait nous ramener à Katmandou. Nous n’eurent pas le temps de faire connaissance avec Man, juste le temps de l’aider à décharger le matériel et de prendre leur place dans le véhicule sans imaginer que le destin nous remettrait bientôt sur sa route…

A notre retour à Katmandou, Zimba nous éclaira un peu sur cette plantation. Elle appartient à un de ses amis qui a vendu son hôtel pour se lancer dans la culture des pommes, entraînant avec lui dans l’aventure son épouse, une célèbre chanteuse népalaise. Les plants viennent d’Italie. Il n’en sait pas plus. Deux ans plus tard, en repassant à Bhratang après notre expédition au Saribung Peak, nous aurons l’occasion de goûter les fruits et il faut bien avouer qu’ils sont délicieux. L’affaire semble prospère à voir les nombreux camions chargés de pommes partir alimenter les marchés de la capitale.

Une année de clandestinité

Damber était donc prêt à subir les impitoyables épreuves de sélection de la Légion. Hélas pour son honneur de Gurung, il allait échouer dès la visite médicale. Sa brève incursion dans la Légion aura au moins eu le mérite de soigner ses soucis gastriques et de le remettre sur pied.

En février 2018, nous l’avons retrouvé à Barcelone où il avait trouvé un toit et un travail bien peu rémunéré. Son patron bengladi, qui avait pourtant connu lui aussi la clandestinité, le faisait travailler 16 heures par jour dans sa boutique. Damber avait réussi à arracher une journée de repos ou plutôt de semi-liberté puisque notre visite de Barcelone guidée par Damber se transforma en une folle journée de cache-cache avec les forces de police. Damber nous expliqua qu’il avait compris qu’il ne fallait jamais arrêter de marcher pour ne pas se faire repérer.

Retrouvailles à Barcelone

Namaste au Portugal

Quelques mois plus tard, il quitta l’Espagne pour le Portugal. Très rapidement il trouva du travail dans une ferme au sud du pays et put entamer un processus officiel de régularisation. Quand nous l’avons rejoint à Faro en février 2019 au terme du magnifique parcours côtier de la Rota Vicentina, nous avons retrouvé un Damber totalement épanoui qui allait bientôt obtenir son titre de séjour. Il avait enfin trouver la terre d’asile qu’il attendait.

De l’Himalaya à l’Atlantique

Le Portugal en manque de main d’œuvre devient une destination prisée pour les migrants asiatiques. En chemin entre Lisbonne et Cabo Sao Vicente, nous avons même eu la surprise de découvrir une importante communauté népalaise dans un village perdu désert en cette époque de l’année. Il y avait même une boutique sur le fronton de laquelle on pouvait lire « Namaste ».

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