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Happy Holi

Dimanche 8 mars 2020. En nous promenant dans les rues de Chabahil, nous entendons une voix crier « Laurent ! ». En levant la tête, nous apercevons Tinley qui court vers nous. Il prend la main de Laurent pour le tirer dans une échoppe où Namgyal essaye de convaincre Pema d’arrêter de remuer sur son fauteuil pour que le coiffeur puisse faire son travail.

Comme son grand frère, Pema, à peine quatre ans, sait ce qu’il veut. Il a choisi sa coupe depuis plusieurs jours déjà sur la galerie de portraits affichés en vitrine. Ce sera celle-là ou rien. La boutique comme toutes celles du quartier vend des T-shirts blancs sur lesquels on peut lire « Happy Holi 2020 ».

La légende de Holi

Intrigué, Laurent demande à Namgyal de quoi il s’agit. Il nous explique que c’est festival des couleurs, celui qui marque l’arrivée du printemps. Le coiffeur nous raconte alors la légende de Holi qui aux origines célébraient la victoire du bien sur le mal.

« Il y a fort longtemps, un roi qui aurait reçu de Bhrama la grâce de l’immortalité exigea de son peuple une adoration sans partage. Son fils Prahlad adepte de Vishnu refusa de s’y soumettre. Le souverain demanda à sa fille Holika de le débarrasser de son propre frère. Couverte d’une robe magique, elle le conduisit sur le bûcher. Prahlad se mit à prier pour implorer la protection de Vishnu. Tant et si bien qu’il fût le seul à ressortir vivant du brasier. »

Les journaux relaient que le gouvernement recommande d’éviter les grands rassemblements de Holi. L’absence de cas avéré sur le sol népalais n’impose pas de mesures plus coercitives.

Give me colors !

Lundi 9 mars 2020. Préoccupé par la diffusion rapide du coronavirus, le gouvernement népalais vient d’ajouter la France sur la liste des pays à risque et ne donnera plus de visas à ses ressortissants. Nous sommes passés de peu entre les mailles du filet.

Aujourd’hui, c’est Holi. Audacieux, malgré la mise en garde de Namgyal, nous marchons très tôt en direction de Patan. Quelques rues plus loin, après avoir traversé Kalo Pul, nous découvrons un quartier encore endormi. Nous comprenons vite que l’appel à la retenue lancé par le gouvernement n’a pas été entendu par les gamins du quartier qui s’affrontent en petites bandes à coup de sachets remplis d’eau et de poudres colorées. Beaucoup de cris, de rires. Ils nous épargnent, déçus par notre absence de réponse à leurs injonctions : « Give me colors !» Rentrer dans le jeu signifierait se retrouver trempé de la tête aux pieds et couvert de pigments pour la journée.

La folie de Holi

Assez rapidement, nous nous retrouvons sur l’autre rive de la Bagmati qui est presque à sec. Sur ses berges, de nombreux ghats envahis d’herbes folles semblent être à l’abandon. Nous avançons au hasard en direction de Durbar Square, celui de Patan. Nous arrivons au temple de Kumbeshwar. De nombreux fidèles font le tour du site religieux en courant, coiffés d’une sorte de chapeau couvert de mèches de bougie enflammées. Nous passons devant le Golden Temple. Nous entrons dans une cour intérieure qui cache un temple recouvert de cuivre doré. Un immense dorje nous accueille. La petite enceinte est truffée de superbes statues. Aux quatre coins, des singes dorés qui semblent être les gardiens de ces lieux.

Patan – Le temple d’or

Quelques pas plus loin, nous arrivons à Durbar Square. Contrairement à son homonyme de Katmandou, le site semble avoir été relativement épargné par le tremblement de terre de 2015. Il y règne une agitation inhabituelle. La place est devenue, le temps d’une journée, un champ de bataille, un parc d’attraction pour touristes excités, venus consommer du pigment coloré. Armés de fusils à eau du dernier cri, ils se sont réappropriés la tradition locale pour la transformer en un paint-ball géant. Ils prennent plaisir à souiller les passants et les édifices appartenant au patrimoine mondial de l’humanité. Une agressivité totalement incongrue. Que se cache-t-il derrière ces comportements extrêmes ? Faut-il que l’étranger en fasse plus que les autres pour se sentir intégré, pour trouver sa place dans la liesse collective ? Doit-il se réapproprier une fête religieuse ou être le simple témoin d’une tradition séculaire ? Pour nous, ils ont franchi une ligne rouge.

Les trésors de Patan

Nous fuyons Durbar Square et nous échappons par un labyrinthe de ruelles étroites, guidés par des habitants du quartier. Chaque recoin, chaque cour cache un nouveau temple. C’est magique. Patan regorge de trésors culturels tel le monastère de Rudra Varna Mahavihara ou son voisin, le temple de Mahabuddha. Ce dernier, totalement reconstruit après le séisme de 1934, présente une architecture assez insolite dans la vallée de Katmandou. Un temple aux formes hindouistes pour un lieu de culte bouddhiste comme en témoignent les centaines de petites statues incrustées dans la structure en briques rouges. Un symbole à lui seul de la cohabitation des deux religions.

Un festival haut en couleur

Dans les faubourgs, loin des touristes, la fureur sympathique de Holi fait rage. Ici, les filles semblent être des cibles désignées. Short court et large T-shirt « Holi » noué sur le ventre, des adolescentes osent des tenues très inhabituelles. Aujourd’hui, tout est permis. Elles ont décidé de ne plus fuir et d’affronter les garçons dans un jeu de séduction où elles mènent la danse. Elles se révoltent et revendiquent leurs droits. Peut-être leur façon de dire aux hommes que les histoires sordides et les agressions sexuelles, contre lesquelles leurs parents les mettent en garde depuis leur enfance, doivent cesser. Une belle façon de célébrer Holi.

Plus loin, nous apercevons des bandes de fêtards plus âgés et surtout bien alcoolisés qui semblent avoir oublié qu’ils célèbrent la victoire du bien sur le mal. Nous évitons le secteur et son atmosphère plus agressive. Nous ne pouvons qu’espérer que la fête se terminera bien.

Fin de partie

Nous finissons par trouver la stupa érigée par l’Empereur Ashoka au nord de Patan, il y a plus de deux mille ans. Nous sommes déjà en fin d’après-midi. Une passerelle nous ramène à Katmandou. Les voitures ont déserté les larges avenues. Nous avançons à contre-courant au milieu de petits groupes d’une armée colorée, épuisée par les courses endiablées. Garçons et filles comparent leurs trophées : leurs T-shirts maculés de pigments. Parfois, un fêtard sournois jette un dernier sachet de pigments au visage de ses compagnons. Un autre fait semblant de nous asperger mais il est désarmé. Tous ont gagné le droit de prendre une bonne douche et de se reposer. Les vendeurs peuvent remiser leurs couleurs pour l’an prochain. Mais l’histoire ne dit pas ce qu’ils feront de ce stock de T-shirt floqué «Happy Holi 2020».

Le gouvernement avait interdit les rassemblements pour Holi …

2 commentaires sur “Happy Holi”

  1. Bonjour Brigitte et Laurent,
    Passionnant et si bien écrit ! Nous avons l’impression d’avoir participé avec vous au déroulement de ces magnifiques coutumes où la beauté et la chaleur humaine sont encore de vrais valeurs.
    Amicalement Charly et Yolande (de Suisse)

    1. Brigitte et Laurent

      Votre message nous touche énormément et nous encourage à poursuivre cette aventure virtuelle.
      Nous aurons grand plaisir à vous revoir dès que nous serons déconfinés …
      Avec toutes nos amitiés,
      Brigitte et Laurent

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