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Le lac Syarpu

Vendredi 3 avril 2020. Réveil 5 heures, notre oiseau crie « pas une minute à perdre au paradis ».

Man arrive et nous annonce qu’aujourd’hui nous allons au Syarpu Lake. Il a repéré un itinéraire sans poste de police. C’est peu de dire que nous sommes tout excités de découvrir ce lac sacré dont nous avons déjà beaucoup entendu parler et qui, dans ce contexte de confinement, a une saveur toute particulière de liberté retrouvée.

Nous montons jusqu’à Neta Pokhara en coupant par Dang et visant directement le col évasé bien visible où se situe ce village. Nous nous perdons un peu dans les ronces mais rencontrons trois didis qui nous remettent sur un chemin plus praticable.

Quel bonheur d’élargir notre périmètre ! Nous sortons le GPS pour prendre quelques points de passage, investis par Man d’une mission cartographique.

Neta Pokhara

Nous parvenons rapidement à Neta Pokhara qui est situé sur le replat et sur les flancs droits et gauche du col. Pokhara veut dire lac mais nous n’en voyons pas et Man confirme notre observation alors pourquoi ce nom ? Il doit y avoir une raison mais nous ne la découvrirons pas.

Neta Pokhara est un important carrefour : un chemin monte vers Kanda, une piste arrive de la vallée de Lochabang en passant par Simtaru, une autre arrive du haut de la colline de Banphikot et une dernière part en direction de Syarpu.

Nous sommes partagés entre la joie et l’excitation de découvrir ce village et une légère appréhension d’être mal accueillis par les habitants dans le contexte de la pandémie. Neta Pokhara, comme tous les villages posés sur un col, est un lieu de passage. Les nombreuses petites boutiques de cette localité lui valent aussi le nom de Neta Bazar.

Du fait du confinement, il y a plein de gens oisifs assis devant les shops fermés à cause du lockdown. L’un d’entre eux nous demande en anglais depuis combien de temps nous sommes là. Lorsque nous répondons « un mois », il est rassuré et nous souhaite aussitôt la bienvenue : « You are safe ! Welcome ! ».

Un joyau défiguré

Nous descendons la piste qui conduit au Syarpu Lake. La montagne est défigurée par son tracé et les nombreux glissements de terrain qu’il a causés.

Un joyau à préserver

Nous arrivons au lac après avoir franchi un porche bleu en béton où la piste se sépare en deux branches. Celle de droite se dirige vers le village situé au bord de l’extrémité du lac, côté Neta Pokhara. L’autre longe le lac en rive droite pour nous conduire à la « plage » où Man a décidé d’aller aujourd’hui. Cette plage est une vaste et magnifique prairie où paissent des buffalos. Nous rions de bon cœur en voyant les enfants faire du ski nautique, sans ski, en se tenant à la queue d’un buffalo qui semble adorer l’eau.

Au-dessus de nous, des femmes extraient des pierres du glissement de terrain, provoqué par la construction de la piste, qui est descendu jusque sur la prairie. Un véritable travail de forçats. Encore plus haut, nous apercevons le joli village de Syarpu.

En amont du lac, nous distinguons un pont qui mène sur l’autre rive. Au printemps, le lac est loin de remplir son bassin mais, lorsque la mousson sera là, toute cette immense étendue sera recouverte d’eau. Man est révolté à la vue de la piste qui ceinture le lac. Elle dénature ce site majestueux et a provoqué une multitude de glissements de terrain. Un vrai massacre pour un site qu’il conviendrait de préserver.

Le terrain de volleyball sous les glissements de terrain

Le comité d’accueil de Syarpu

Man nous dit alors que deux de ses amis viennent nous chercher en bateau ! Effectivement, nous voyons une embarcation qui approche doucement. Nous en profitons pour nous asseoir et regarder les jeunes bergères qui jouent au volleyball.

Les deux jeunes marins d’un jour nous rejoignent. L’un d’entre eux vient d’obtenir son diplôme de guide de trekking. C’est un responsable local du Nepali Congress. La discussion s’engage sur les attraits du Rukum et les dangers d’un développement touristique mal maîtrisé.

Le comité anti-coronavirus de Syarpu

Soudain, un tas de types arrivent du village de Syarpu. Ils sont assez agressifs. C’est le comité « anti-coronavirus » du village. Comme à l’accoutumée, Man sort sa carte et nos permis de trek pour leur expliquer pourquoi nous sommes ici et comment nous sommes arrivés. Pour la première fois, Man semble se heurter à un mur. Il est vain de parlementer avec eux. La réunion improvisée prend fin. Nous devons quitter les lieux.

Traversée en pédalo

Nous repartons donc en bateau. Le rafiot est un pédalo géant sur lequel peuvent prendre place une dizaine de personnes mais avec seulement deux places pour les pédaleurs. Il appartient à la communauté de Syarpu et peut être loué pour une somme très modique. Il est rempli de gilets de sauvetage qui pendent accrochés à une armature métallique sur laquelle repose une bâche qui offre une grande prise au vent. Et justement il y a beaucoup de vent ce qui ne facilite pas la tâche des pédaleurs. L’ami de Man et Laurent arrivent épuisés sur l’autre rive après une interminable traversée malgré les encouragements de tous les passagers.

Le moteur de l’embarcation !

A l’arrivée, nous nous abritons du soleil sous un kiosque au toit de chaume et rions de bon cœur avec d’autres amis de Man venus nous accueillir.

Liberté conditionnelle

Soudain, changement d’ambiance. Trois policiers arrivent. Le chef est suivi de deux de ses hommes armés de bâtons ! Nous avons été dénoncés par le comité « anti-coronavirus » du village. Man ressort nos permis de trek en nous disant en français : « Ne vous inquiétez pas. Je vais leur parler. ».

Man fait profil bas et explique notre situation. Avant de partir, il avait eu la bonne idée d’avertir le responsable du gouvernement local de Banphikot qui lui avait donné la permission de nous guider au lac Syarpu. Le sous-officier se montre compréhensif mais nous sermonne gentiment, comme pour affirmer son autorité devant ses troupes. Il nous invite à prévenir le poste de police de Banphikot avant nos prochaines escapades pour leur éviter un déplacement à pied. L’heure de marche sous le soleil qu’ils ont dû accomplir à cause de nous est en fait son seul grief.

Décidément, Man est un fin stratège. Nous laissons repartir l’escadron par la piste sous le soleil et rentrons par un autre chemin. Man est radieux de cet avant-goût de liberté totale.

Nous empruntons un sentier utilisé par les combattants maoïstes qui, marchant de nuit, évitaient les axes principaux pour ne pas être repérés. Nous passons au joli village de Sano Chauli, atteignons le haut de la croupe au-dessus de Chinkhet, passons devant un petit temple et rejoignons l’ancien chemin qui reliait Chinkhet à Banphikot.

Bientôt tous ces sentiers, pour l’instant si difficiles à retenir, n’auront plus aucun mystère pour nous !

Une famille pas ordinaire

Nous passons devant la maison du professeur d’anglais de Man. Il nous accueille avec un immense sourire. Il n’est pas du tout effrayé par nous mais très heureux de voir débarquer deux Français chez lui en compagnie de son ancien élève. Son fils nous offre du yogourt. Sa sœur, qui, comme lui, a une soixantaine d’années, est très belle. Elle a choisi d’être célibataire, ce qui est rarissime ici où tout est fait pour que les enfants soient le plus nombreux possible et où les mariages étaient encore arrangés dès l’enfance il n’y a pas si longtemps.

Le gouvernement a désormais interdit cette pratique et n’autorise le mariage qu’à 20 ans. Maintenant, ce sont les jeunes qui voudraient voir cette limite d’âge baisser. On passe toujours d’un extrême à l’autre avant de revenir à l’équilibre !

Toujours est-il que cette très jolie femme qui est institutrice nous intrigue ? Ses traits plus marqués que ceux des autres membres de la famille semblent attester d’une origine chinoise. Comment a-t-elle fait pour échapper au mariage forcé ?

Pour l’instant, contrairement à son frère qui est tout heureux de discuter avec des Français, elle garde ses distances et semble craindre un peu notre présence.

Quel est ton nom ?

Cette maison deviendra une halte privilégiée pour Brigitte lors de ses balades vers Chinkhet ou Banphikot. Le professeur Karma Bir Pun et sa sœur Dila Pun deviendront ses grands amis. Brigitte n’apprendra leurs noms que lors de notre « tournée d’au revoir à tous les amis ».

En effet, ici, il est impoli d’appeler une personne par son nom. Man attendra quelques jours avant de nous le confier. Sandra et Nanda Bahadur deviendront définitivement Didi et Dazu. Nous devenons donc frère, sœur, oncle, tante, grand-père ou grand-mère en fonction de qui nous adresse la parole. C’est assez déroutant. Autant dire qu’il est impossible de respecter cet usage à l’écrit.

Nous pensions avoir tout compris quand nous avons découvert que Didi et Dazu n’étaient pas les seuls à appeler Man « maila », le deuxième fils. Il n’est vraiment pas facile de s’y retrouver. Les guides de conversation en nepali pourraient tous faire l’économie de la première question : « Quel est ton nom ? ».

Les papayes de Dhami

Nous redescendons sur Horlabot. Au passage, nous nous arrêtons chez Dhami à qui Man veut montrer la courte vidéo que nous avons prise lors de notre séance d’initiation au chamanisme. Dhami éclate de rire quand il se voit en action. Il nous prépare une excellente papaye. En la dégustant, Man nous propose d’acheter quelques fruits à son ami chamane. Alors que Dhami est déjà en haut de l’arbre arbre, Man nous apprend que, contrairement à son apparence robuste, le tronc du papayer est très fragile. Nous sommes terrifiés à l’idée de voir Dhami se rompre le cou pour assouvir notre gourmandise. Les deux compères éclatent de rire.

Dhami cueille les papayes

Ce soir nous aurons au menu didho et sisnu. Didi Sandra nous a offert de la farine de maïs et Dorje est aussitôt parti collecter des orties. Le tout sera accompagné d’un pickles de fleurs. Ces fleurs blanches et roses poussent sur un arbre, le coiral, devant nos fenêtres. Tout le monde se régale.

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