Accueil > Népal > Confinés mais libres > Le village du bonheur

Le village du bonheur

Mercredi 20 mai 2020. Réveil à 5h00 au paradis de l’oiseau qui nous promet une magnifique journée.

Ce matin, l’ambiance est particulière. Alors que la menace du cyclone se rapproche, le ciel reste d’une incroyable limpidité et il règne un grand calme. Cette sérénité peu habituelle amplifie encore notre angoisse de voir surgir la tempête.

A la découverte de Gipsing

Lors de notre escapade Likhabang, la belle-fille de la didi qui nous hébergeait nous avait longuement parlé de Gipsing, son village, qui semblait beaucoup lui manquer. Elle nous avait montré un magnifique temple jaune perché en face sur le haut d’une colline et nous avait dit : « C’est Gipsing. Regardez comme il brille là-haut au soleil. C’est le village du bonheur ! ».

Depuis, les reflets du soleil sur le toit du temple de Gipsing aimantent le regard de Brigitte en particulier lorsqu’elle se rend en face à Dudhila. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous décidons de partir tôt pour découvrir enfin Gipsing posé sur le fil de l’arête au-dessus de Magma et poursuivre jusqu’à l’alpage de Bampu.

Relier entre eux les lieux que nous connaissons par de nouveaux itinéraires est un réel plaisir. Cela nous donne l’impression d’ajouter des pièces maîtresses au puzzle de ce nouvel et immense lieu de vie qui, par miracle, nous est offert.

Sobriété énergétique

Nous empruntons la jungle de la crête qui démarre juste après le gué de Cherakhet. Arrivés à Magma du haut, l’exploration commence. Nous découvrons une toute petite centrale hydroélectrique alimentée par une mini conduite forcée qui descend en suivant le fil de l’arête. La turbine alimente en électricité tout le haut de la vallée, soit environ cinq mille habitants.

Sur le fil de l’arête

Les micro centrales déployées par le gouvernement népalais procurent de l’électricité à de nombreux foyers. La faible puissance de cette énergie renouvelable impose à tous la sobriété. Seuls les besoins essentiels sont couverts : s’éclairer, s’informer et communiquer.

Le sentier zigzague de part et d’autre du tube rouillé. Après une montée escarpée, nous atteignons le canal creusé à flanc de colline pour acheminer l’eau jusqu’à la conduite.

Gipsing la lumineuse

Arrivés à Gipsing, la vue est à la hauteur de nos espérances. S’il n’y avait cette brume de chaleur omniprésente en cette saison, les sommets enneigés du West Dhaulagiri s’offriraient à nos yeux écarquillés.

L’accueil à Gipsing est très chaleureux et pourtant c’est la première fois que les habitants nous voient. Ont-ils écouté Radio Sani Bheri ? Gipsing la lumineuse tient ses promesses et lorsque nous passons devant le grand temple jaune qui nous nargue en haut de sa colline depuis des jours et des jours, nous ressentons la même impression de lumière intense.

Trop chaud pour marcher !

Les habitants s’inquiètent : « kaha jane ? », « où allez-vous ? ». Nous leur répondons « Bampu ». Un homme nous dit que c’est trop loin et qu’il fait trop chaud pour y aller maintenant. Il s’inquiète de nos réserves en eau et nous invite à manger chez lui pour prendre des forces.

Il faut avouer qu’il fait extrêmement chaud sur cette belle crête à découvert et un peu rocailleuse. Nous devons lui montrer nos bouteilles remplies d’eau et expliquer que nous sommes habitués à marcher en montagne pour qu’il nous « autorise » à poursuivre notre chemin vers Bampu. Nous le quittons en lui promettant de faire demi-tour si nous nous sentons fatigués.

Objectif Bampu

A la sortie du village, nous découvrons une sorte de petite place ornée d’un monument à la mémoire des 26 morts de la guérilla maoïste. De cette place, une piste part sur la gauche. Monte-t-elle en direction du col de Naduwa ou retourne-t-elle à Magma ? Brigitte se promet de l’explorer bientôt !

Après une dernière maison isolée, nous continuons notre montée sur une magnifique ridge d’ocre parsemée de petits temples pour arriver à l’immense plaine de Bampu que nous connaissons déjà. La construction du puzzle avance !

Les ocres de Bampu

L’alpage est encore désert. Nous n’apercevons qu’un homme qui porte deux lourds madriers sur son front. Cette image nous rappelle immédiatement les propos de Man : l’alpage est convoité par les autorités locales pour en faire un aérodrome. Avec ses poutres qui s’étendent comme des ailes de chaque côté de son dos, ce villageois semble faire une tentative de décollage. Espérons que ce lieu paisible et indispensable pour l’équilibre agropastoral de la vallée ne soit jamais accaparé par des engins motorisés déversant des flots de touristes.

Paré au décollage

Transhumance

Après une courte pause, nous prenons le chemin du retour. En revenant sur nos pas, nous croisons une famille qui monte avec son petit troupeau pour la saison de mousson à l’alpage de Bampu. Comme les nomades de Thulo Daha, ils ont pour tout bagage un doko empli d’une ou deux couvertures tissées main, d’une bâche et de quelques casseroles.

Nous discutons longuement avec eux ; ils nous demandent de venir leur rendre visite à Bampu quand ils seront installés.

Transhumance en famille

Le spectacle de la nature

Au premier point d’eau en dessous de Gipsing, nous faisons une pause pour nous désaltérer et nous asseyons dans l’herbe au pied d’un mur en pierres sèches de deux mètres de haut. Nous restons un long moment à observer un insecte alpiniste qui enchaîne les surplombs en tirant derrière lui le cadavre d’une araignée gigantesque. L’ascension semble tellement improbable que nous restons jusqu’à ce que l’insecte passe le dernier pas de 9c.

Ramené à l’échelle humaine, cet insecte vient de grimper en quelques minutes plus de deux cents mètres de paroi avec une charge de dix tonnes sur le dos. Nous sommes bien peu de choses.

Force de la nature

Il est temps de descendre à Magma. Dans ce sens, le chemin raide et caillouteux qui suit la conduite forcée devient très délicat. Une grande fatigue inhabituelle envahit Brigitte. Abuserait-elle trop de ses forces et ne mangerait-elle pas assez depuis son arrivée à Horlabot ? Devrait-elle écouter les mises en garde de Didi et de Laurent ?

La pension de Dazu

Nous arrivons vers 18h à Lochabang en même temps que Dazu qui revient très élégamment vêtu de Musikot plus souvent nommé Khalanga, la préfecture du West Rukum. Il est parti très tôt ce matin avec le père de Gangaram, un monsieur qui semble plus âgé que Dazu mais qui serait son cousin si nous avons bien compris. Tous deux ont servi dans l’armée indienne et se rendent à Musikot tous les deux mois pour y toucher en main propre leur retraite.

Cela leur prend douze heures aller-retour, cinq à l’aller, sept au retour avec la fatigue. En ces temps de lockdown, ils ont un laissez-passer exceptionnel pour entrer dans la ville et faire la queue à l’Everest Bank avec les autres pensionnés venus pour recevoir leur dû.

Dazu reçoit 2800 roupies par mois, soit environ 25 euros. Maigre pension pour 25 ans de bons et loyaux services.

Douceurs sucrées

Jessica attend son grand-père avec impatience lorsqu’il revient de Khalanga car, dans sa petite besace en tissu blanc portée sur son front, il rapporte un gros paquet de « caramels », des bonbons qu’il convient de laisser fondre doucement dans la bouche car ils sont très durs, et six petits paquets de biscuits. Dazu nous offre, ainsi qu’à Didi et Jessica, un paquet de biscuits et deux caramels chacun. Jessica est folle de joie. Elle embrasse son grand-père et ne cesse de le remercier. Dazu s’accorde la même chose et nous nous régalons en trempant nos biscuits dans le thé bien chaud et bien sucré préparé par Didi.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser aux fêtes de Noël chez nous où les enfants blasés arrachent sans ménagement les beaux papiers d’emballage d’une montagne de cadeaux fastueux, y jettent un vague regard avant de les jeter de côté et parfois leur préférer un petit objet sans valeur avec lequel ils peuvent jouer des heures. Les fêtes de Noël en France nous laissent toujours l’impression amère d’une orgie commerciale écœurante destructrice de bonheur et d’affection.

Nouvelle invitation

Harka Pun, l’élu maoïste de Lochabang vient garer sa moto dans la cour de Didi et Dazu comme chaque soir avant de monter chez lui dans le quartier Magar par un sentier impraticable avec son engin. Il nous invite à dîner demain soir !

Dazu est très fatigué par son trajet aller-retour à Musikot et Didi est épuisée par le nettoyage de plus de 100 kg de blé qu’elle a secoué les bras en l’air au-dessus de sa tête toute la journée. Ils ont bien mérité de prendre leur repas allongés sur la couverture posée au sol devant la télévision. Ils nous y convient mais, comme nous sommes également fatigués par notre randonnée, nous préférons remonter maintenant à Horlabot après avoir empli, aidés d’un voisin Magar, deux grands sacs à grains avec le blé nettoyé par Didi et rangé les bâches.

2 commentaires sur “Le village du bonheur”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *