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Ne me refais jamais ça !

Novembre 2012. Hier, nous avons traversé le Mesokanto La, un passage à plus de 5300m au-dessus du splendide lac Tilicho permettant de rallier Jomsom depuis Manang. La dernière étape de l’itinéraire qui nous mène à Jomsom. En plein cœur de la ville, nous découvrons un petit avion encastré dans la falaise, presque au ras du sol. Il s’agit certainement de l’avion de la compagnie Agni Air qui s’est écrasé au printemps lors de l’approche finale. Un accident qui a fait 15 victimes.

Nous avons entendu parler de cette catastrophe. Miraculeusement, il y a eu quelques survivants car l’avion n’a pas explosé à l’impact. Tout est resté en place. Seul le nom de la compagnie a été effacé par quelques coups de pinceaux maladroits. Il est tard nous n’avons pas le temps de nous arrêter. Je demande à Brigitte de ne pas le prendre de photo pour éviter de choquer notre équipe.

Jomsom Mountain Resort

Nous nous réjouissons tous d’arriver au Jomsom Mountain Resort, un hôtel très particulier dont notre guide nous parle depuis plusieurs jours pour nous mettre l’eau à la bouche. Il est situé en hauteur, un peu à l’écart de la ville. Nous montons dans la navette dépêchée par l’hôtel pour venir chercher ses clients … un tracteur avec sa remorque ! Nous nous hissons avec peine dans la remorque trop haute. Le tracteur quitte la route en terre battue pour attaquer la pente par une piste en mauvais état. Nous sommes trop légers. La remorque rebondit dans les ornières. Heureusement, le trajet est court. A peine cinq minutes. A l’arrivée, je promets à Brigitte qu’elle pourra redescendre à pied le lendemain.

Le bâtiment est imposant et austère. De l’extérieur, seul le rouge brique de la partie centrale de la façade apporte une touche de gaîté à l’édifice qui n’a manifestement rien d’un monument historique. Un portier nous accueille en habit traditionnel. Le hall d’entrée est somptueux avec des colonnes entourant des banquettes circulaires. Un homme habillé comme un lama nous conduit à notre chambre. Drôle d’ambiance. Nous sommes seuls dans cette aile immense de l’hôtel. Nous suivons le moine dans la pénombre des longs couloirs en pierre de schiste tout juste éclairés par quelques veilleuses.

Jomsom Mountain Resort

Les murs de notre chambre, le sol, tout est fait de cette roche sombre. Tout est beau mais tellement lugubre et froid. Nous nous réfugions sous la couette douillette pour attendre l’heure du repas. Brigitte en ressort en hurlant. Ses pieds ont touché la bouillotte placée sous les draps avant notre arrivée. Un truc chaud qu’elle a pris pour un rat ! Décidément, ce lieu fait courir l’imagination.

Attablés dans l’immense dining room austère, nos compagnons partagent le même sentiment. On se croirait dans l’hôtel de Shining. Nous nous attendons à voir surgir Jack Nickolson de derrière une tenture.

Une promesse lourde de conséquences

Ouf, nous avons survécu à la nuit. Nous allons quitter ce lieu incroyable, aussi enchanteur que lugubre. Brigitte me rappelle ma promesse. Elle va descendre à pied à Jomsom pendant que nous prenons notre petit‑déjeuner. Elle a largement le temps mais elle ne m’avait pas dit qu’elle prévoyait de retourner prendre des photos des restes de l’avion.

Le groupe embarque dans la remorque du tracteur. En route pour Jomsom Airport. Nous arrivons après une nouvelle séance de « shaker » et déchargeons nos bagages. Brigitte n’est pas là. Notre guide demande au garde de nous ouvrir la porte de l’aéroport qui consiste en un bâtiment de béton au milieu d’un immense champ rayé par la piste asphaltée. Espérons que Brigitte s’est déjà glissée à l’intérieur en suivant un autre groupe. Je finis par suivre le mouvement, pressé par le militaire qui voudrait bien refermer son portail. Je suis tout de même un peu inquiet. Il ne faudrait pas qu’elle loupe l’avion.

Panique dans l’aéroport

Immédiatement, au fond de l’aérogare, je vois un attroupement. Je m’approche. Entre les jambes des badauds, je vois un corps allongé. Tout se précipite. Je distingue maintenant des chaussures. Les mêmes que celles de Brigitte. Un pantalon noir, une doudoune bleue sombre. En tout point identique à ce que portait Brigitte ce matin. Je vois quelqu’un au-dessus du corps en train de pratiquer un massage cardiaque. Je ne distingue pas le visage caché derrière un masque à oxygène. Panique totale. Ce ne peut être qu’elle !

Je cours vers le corps. En quelques secondes, je passe en revue mille hypothèses. Que s’est-il passé ? Soulagement. Il ne s’agit pas de Brigitte. Mais quelle frayeur. Je dois être le seul à me réjouir devant le corps sans vie de cette jeune femme allemande. Evacuée en hélicoptère d’un camp d’altitude sur les contreforts des Annapurnas suite à un mal aigu des montagnes, elle venait de poser le pied à Jomsom pour être évacuée vers un hôpital de Pokhara ou de Katmandou. Alors que tout le monde la pensait tirée d’affaire, elle venait de s’effondrer victime d’un arrêt cardiaque qui lui sera fatal.

La délivrance

Quelques minutes plus tard. « Ma Brigitte » arrive, un grand sourire sur le visage qui va vite se décomposer quand je la saisis violemment par les épaules en lui criant « Ne me refais jamais ça ! » avant d’éclater en larmes. Elle ne comprend rien ni à ma colère ni à mes larmes qu’elle juge bien disproportionnées croyant que je lui reproche simplement son retard. Il me faut un moment pour retrouver un peu de calme et lui dire : « Je croyais que c’était toi. Tu étais morte ! ».

Morale de l’histoire … ne jamais empêcher Brigitte de prendre en photo une carcasse d’avion ! D’autant plus que ce matin-là, elle n’a pas retrouvé son avion. Elle me dira plus tard, je cite : « L’image de ce petit avion crucifié sur une falaise représente pour moi la liberté stoppée net par un mur d’obscurantisme. ». Brigitte a une pensée trop complexe pour moi …

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