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Parti pour durer

Dimanche 17 mai 2020. Réveil 5h00 au paradis de l’oiseau qui crie : « Alors aujourd’hui tu vas où  la vagabonde ? ».

C’est la première fois de sa vie que Brigitte a un tel embarras du choix de paradis. Quelle que soit la direction où se portent ses yeux, il y a des paysages tous plus magnifiques les uns que les autres où il est possible de pénétrer par des sentiers bordés de maisons aux habitants hospitaliers.

Dans cet univers les « points fixes » commencent à s’afficher comme autant de certitudes à la fois éphémères et éternelles de bonheur : Horlabot « du bas » avec Laurent, Lochabang avec Didi, Dazu, Jessica, Man, leur famille et amis, Horlabot « du haut » avec Dhami, le quartier Magar de Lochabang et « sa » Didi, Phera et la famille de Manisha, Banphikot, Simtaru, Kibane, Neta Pokhara, Kanda, Chinkhet, Cherakhet, Magma, Jhula et toutes les personnes qui maintenant nous y accueillent.

Au royaume des balous

A chaque réveil, Brigitte se récite cette litanie de petits lieux de bonheurs comme le Jhakri récite les noms des divinités. Ce matin, elle a jeté son dévolu sur les hauteurs de Dudhila en direction de Dammana dont « sa » Didi Magar lui parle si souvent. Didi Magar veut l’emmener là-haut dans son alpage où l’on peut croiser des balus, c’est-à-dire des ours. Hélas, mousson et fin du confinement ne permettront pas à ce projet de voir le jour.

Arrivée à Kanda, Brigitte monte au-dessus des petits temples construits à côté de la fontaine et de la mare. Le sentier empierré monte à la bifurcation dont elle a déjà exploré la branche de gauche. Elle poursuit donc à droite.

Durga de Kanda

Près d’une fontaine, un type assez âgé avec un seul bras lui parle en népalais. Elle ne comprend pas grand-chose si ce n’est qu’il est très agressif à son égard. Avec ses trois mots de vocabulaire, elle se rebelle : que lui reproche-t-il ? Immédiatement, un jeune homme très sympathique arrive à son secours. Il s’appelle Durga comme « notre par-coureur » de montagne. C’est incroyable : il connaît bien « notre » Durga et sait même que récemment ce dernier s’est blessé en se vrillant la jambe.

Durga de Kanda dit à Brigitte que sa maison lui est ouverte. Il l’invite à y dormir et y manger. Il lui explique que ce vieux monsieur agressif n’est pas éduqué et que cela amène à des confusions. Durga a travaillé deux ans au Qatar. Ses deux meilleurs amis y étaient des Italiens et il les a fait venir à Kanda pour leur faire partager son univers.

Un nouveau chemin pour Dudhila

Proposition alléchante

Lorsque Brigitte repart vers Dudhila, le jeune homme qui lui a fait découvrir le site quelques jours auparavant arrive pour lui montrer un autre accès. Ce nouveau chemin se situe à flanc de montagne juste au-dessus de celui que nous avons pris avec Man pour aller à Syaubang. Il permet de rejoindre Dudhila avec une vue vertigineuse et splendide sur le lac Syarpu. Belle découverte !

Son « guide » lui dit qu’il peut l’emmener à Dammana en deux jours en dormant dans un abri à « Olé » dont il peut avoir la clé. Nous reviendrions à Lochabang par « Darampane ». Aucun de ces lieux mystérieux n’est sur notre carte mais c’est bien noté !

Au-dessus de Dudhila

Aujourd’hui, Brigitte n’ira pas plus loin car le bon temps passe vite avec ces belles rencontres. Elle redescend par la piste jusqu’au dernier virage avant la maison des petits enfants qui lui cueillent des tutus puis la quitte pour filer sur un chemin qui l’emmène directement à Bargaon, à la maison rose du maoïste en fauteuil roulant.

Pénurie de churot

Elle espère y trouver des cigarettes pour Didi car, avec le confinement, ces dernières sont devenues une denrée rare et seul le bouche à oreille permet de s’en procurer. Ce matin, la rumeur courait qu’il était possible d’en trouver à Bargaon.

Le maoïste n’en a pas dans sa boutique mais sa petite-fille emmène Brigitte plus bas dans le village chez un vieux monsieur qui ouvre son magasin pour elle. Le baje fouille partout mais ne trouve pas le moindre paquet. Après avoir remercié tout le monde, Brigitte file vers Lochabang.

Drame familial

A Lochabang, la tristesse règne car la petite sœur de Didi est décédée. Didi est effondrée mais ses larmes sont furtives. Elles coulent aussi discrètement qu’elles sont essuyées. Nous nous sentons impuissants devant son chagrin. La bahini de Didi Sandra, qui habitait au village de Syarpu est morte d’une tumeur au cerveau après six mois passés à l’hôpital de Katmandou.

Heureusement, elle était entourée de sa fille qui vit à Katmandou ; sinon, elle aurait été si seule. Avec le confinement, malgré tous les efforts de la famille, il est impossible de ramener le corps à Syarpu. Le deuil sera d’autant plus difficile.

Confinés pour l’éternité

Dazu et Man nous disent qu’il y a une deuxième mauvaise nouvelle : le coronavirus vient de faire sa première victime au Népal et le lockdown va probablement durer jusqu’en septembre !

Dazu et Didi nous demandent si nous sommes tristes de cela. Ils nous assurent qu’ils seront toujours là pour nous, que nous ne manquerons de rien et qu’ils peuvent même nous prêter de l’argent! Tant de gentillesse nous submerge d’émotion. On dirait presque qu’ils commencent à croire que nous allons rester avec eux pour toujours.

Appréhender l’incertitude

Deux sentiments contradictoires se heurtent dans l’esprit de Brigitte: d’un côté le bonheur immense de vivre au Rukum entourés d’affection et de chaleur humaine au milieu de cette nature encore préservée et de l’autre la crainte diffuse d’être oubliés par nos proches.

Cependant le bonheur de rester l’emporte largement sur la tristesse de ne pas rentrer. En réalité, elle n’a aucune angoisse à l’idée de ne pas avoir de certitude de retour en France, une immense confiance en la vie, ses belles surprises et en ce paradis dans lequel nous sommes confinés.

Dans ce contexte de confinement programmé au jour le jour, toute planification à long terme de la vie est impossible. Le sentiment exacerbé d’éphémérité nous permet de ne pas nous engluer dans une fausse éternité de la vie comme nous avons parfois tendance à le faire lorsque nous sommes pris dans la routine.

Laurent est un taiseux. Difficile de deviner comment il perçoit les choses tant il n’extériorise pas ses sentiments. Néanmoins, il ne semble pas le moins du monde atterré. Pour lui, contrairement à Brigitte, le plus difficile à vivre est l’absence de visibilité créée par les prolongations successives, et au compte-goutte, du confinement. La perspective de devoir vivre la mousson ne l’effraie pas. Il est serein.

Regroupement familial

Man envisage de faire venir sa famille à Lochabang. Il lui faut pour cela abattre un gros obstacle : sa femme ne semble pas prête à revenir ici. Il répète sans cesse à son père de ne pas vendre son grain car l’argent ne vaut pas grand chose au regard de la nourriture.

Man nous prépare une escapade de quatre jours en homestay. A peine rentré, il veut déjà repartir. Didi semble attristée par la nouvelle.

Un avenir incertain

En France, à Thônes, les élections municipales mettent en exergue la personnalité de certains candidats. Ego et arrivisme interdisent la fusion entre les listes d’opposition qui n’ont pas que la croissance en tête. Triste constat : ils n’ont toujours pas pris la mesure de l’urgence à agir pour protéger notre lieu de vie. Brigitte se joint à distance à la majorité des candidats de sa liste qui a décidé de démissionner pour laisser le champ libre à l’autre liste d’opposition. Dernier espoir de voir leurs valeurs l’emporter face à la folie destructrice de la municipalité actuelle et de leurs comparses des vallées des Aravis.

A La Clusaz, un vent de renouveau a soufflé durant la campagne avec la liste ADN (Avenir – Démocratie – Nature). Laura Lardeux, une jeune réalisatrice du village a suivi ce réveil citoyen face au changement climatique. Son documentaire « Avenir » remportera en 2021 des prix dans tous les plus grands festivals internationaux. Malgré ce succès, il n’a jamais été projeté dans les salles de la station !

Avenir – L’histoire d’un réveil citoyen à l’heure du changement climatique

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