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Redonner vie à Horlabot

Vendredi 27 mars 2020. Le réveil très tôt au camp est toujours un grand bonheur. Comme chaque matin, nous buvons un café dans la tente avec l’eau encore chaude de notre thermos et nous immortalisons les événements et les rencontres qui ont ponctué l’étape de la veille en remplissant les pages de nos petits carnets de voyage en moleskine noire que nous imaginons être les mêmes que ceux des voyageurs explorateurs dont nous lisons inlassablement les récits depuis très longtemps.

Comme convenu, Prem, Norbin et Yadu sont revenus prendre le petit déjeuner avec nous. Man nous emmène voir un endroit où il collectait du bois étant petit. Il y était alors fasciné par une magnifique chute d’eau naturelle. Hélas pour le spectacle, l’eau a été captée pour alimenter le village mais nous l’imaginons dévaler depuis le haut grâce à la trace laissée sur les rochers polis.

Les cueilleurs de légumes sauvages

Il est maintenant l’heure de quitter Garaghat et de plier notre camp une dernière fois. Nous redescendons pour cheminer sur la piste de Chinkhet déserte et bordée de shops fermés. Quel contraste avec la vie des champs alentours où tous les gens travaillent comme si de rien n’était ! Des enfants se risquent dans les glissements de terrains raides qui bordent la piste en quête d’un légume sauvage, un genre d’iris en forme de serpent qui sort d’un énorme oignon. Comme cet oignon, qui est également consommable, ne se divise pas, les enfants prennent bien soin de le laisser en terre pour assurer la récolte future. Les enfants sont fiers de nous montrer leur cueillette.

Tant de choses à découvrir !

Avant d’arriver au pont de Chinkhet, en repassant devant le magnifique pipal tree, Man nous raconte que son père avait le même juste en contrebas, au bord de la rivière. Il a été abattu pour construire un poste de distribution électrique qui aurait fort bien pu être installé ailleurs. Man se bat inlassablement pour éviter le saccage de la nature, les pistes inutiles et le détournement des espaces cultivables. Nous palabrerons des heures à l’ombre d’un pipal ou en prenant notre café le matin à Horlabot et partagerons nos combats respectifs. Man est une sorte de Don Quichotte du Rukum !

Entre Garaghat et Chinkhet, la plaine est une mosaïque de terrasses, séparées par des murets en terre haut de quelques dizaines de centimètres. Nous nous étonnons : pourquoi se donner la peine de créer des terrasses sur ce terrain plat où pousse du blé ? Man nous explique qu’après la récolte du blé, ces terres serviront à cultiver le riz. Un réseau de canaux dissimulés le long des murets permet d’irriguer ou plutôt de noyer ces parcelles parfaitement plates pour que les plants de riz puissent s’y développer.

Sur le chemin de Man

Arrivés à Chinkhet, nous prenons de l’altitude et dominons rapidement le village avant de bifurquer en direction du col de Naduwa, tout au fond de la vallée de Lochabang. Ce sentier plus horizontal est le fruit d’un projet conçu et réalisé par Man. Pour ce chemin d’un kilomètre, il a touché 1000 $ du gouvernement local… mais il a tout reversé aux amis qu’il emploie pour réaliser le travail. Nous ferons bientôt la connaissance de « bulldozer » comme Man aime à appeler son ami et de son père Gangaram, deux solides et infatigables piocheurs-pelleteurs. Tailler un chemin sur le flanc très raide de la montagne entaillé par de nombreuses ravines ou enseveli sous les glissements de terrain n’est pas chose aisée. C’est un travail titanesque.

Si la carte de Man permet de tracer un itinéraire au long cours, son échelle est inadaptée pour se repérer dans cette toile d’araignée de sentiers qui recouvrent les collines. Nous essayons de mémoriser au mieux notre parcours et de retenir les noms des lieux-dits. Notre intuition nous dit que nous allons avoir le bonheur de rester ici pour un moment…

Arka Pun

En cours de route, nous rencontrons un des responsables maoïstes du « ward », la plus petite subdivision administrative de la Municipalité Rurale de Banphikot. Les gens utilisent encore l’ancienne dénomination « VDC »,Village Development Committee, pour parler de Banphikot. Le VDC est en quelque sorte l’équivalent d’une communauté de communes. Pour compliquer les choses, Banphikot est à la fois « ward » et « VDC ».

Avec Arka Pun sur le chemin de Man

Nous nous asseyons un instant avec cet homme au bord du chemin. Il s’appelle Arka Pun. Il est Magar alors que Man est un Khatri Chetri. A Lochabang, les deux communautés cohabitent en totale harmonie malgré des distinctions culturelles que nous découvrirons bientôt et une place différente au sein de la pyramide des castes. Ici, les mariages mixtes sont monnaie courante ce qui est loin d’être le cas dans toutes les régions du Népal.

Arka Pun et Man se chamaillent souvent. Man aime titiller son « adversaire » et néanmoins ami sur ses contradictions. Entre eux, c’est presque devenu un jeu. Longtemps opposé au tracé du chemin, Arka Pun, qui voulait le voir plus bas, voudrait désormais bâtir une maison le long du chemin et souhaite son élargissement. Man jubile de ce revirement !

Pause chez Didi et Dazu

Nous redescendons à Lochabang chez Didi et Dazu. Nous retrouvons l’équipe qui, montée par la piste est déjà installée pour boire le thé.

Didi nous offre du yogourt et des galettes de maïs cuites sur une plaque en métal au feu de bois qui brûle à même le sol. Elle aplatit les petites boules de pâte, faite d’eau et de farine de maïs, en les tapant du bout des doigts. Lorsqu’il n’y aura plus de maïs, le blé prendra le relai dans la fabrication des rotis qui, alors, ne seront plus aplatis avec les doigts mais étalés avec la même dextérité avec un rouleau en bois.

Une fois cuites de chaque coté sur une plaque en métal posée sur un trépieds au-dessus du feu de bois, les galettes sont posées verticalement dans la braise. Elles gonflent alors comme un ballon avant d’être servies. Il convient de bien les taper pour libérer la vapeur d’eau brûlante enfermée à l’intérieur avant d’en déchirer un morceau à la main et de le tremper dans le yogourt. C’est délicieux.

Au paroxysme du lien social

A Lochabang, nous découvrons un autre monde, sans confort, quasiment sans circulation d’argent, où règne une grande chaleur humaine dénuée de tout protocole. Cette spontanéité et cette absence de barrière sociale pourrait ressembler à du sans-gêne mais nous comprendrons très vite que ce n’est pas du tout cela.

Toujours est-il qu’à notre arrivée, les voisins viennent nous voir, ils s’installent sans plus de formalités dehors ou dans la pièce à vivre, mangent les galettes offertes par Didi car ici on partage tout avec les visiteurs.

Les questions fusent sur ce que nous avons acheté à Chinkhet, combien nous avons payé tel ou tel produit, le salaire des gens de l’équipe. Le contenu de nos sacs à dos est même inspecté de fond en comble !

En fait, nous sommes simplement traités comme étant des leurs puisque nous sommes les hôtes de Didi et Dazu. Nous nous sentons immédiatement à l’aise dans ce lieu sobre et sans chichis où il nous semble que nous pouvons être naturels, ne plus faire semblant d’être « comme les autres » comme c’est souvent le cas en France.

Grand nettoyage de printemps

Nous remontons tous ensemble et débarquons à Horlabot comme des Robinsons sur une île déserte. Les maisons n’ont pas été habitées depuis une quinzaine d’années. Man avec Prem, Norbin et Yadu, nos trois compagnons du Rukum, se lance dans la construction d’un canal. Ils vont même fabriquer une douche en utilisant le relief des terrasses et un bambou fendu dans sa longueur.

L’eau c’est la vie, au Rukum comme ailleurs…

La vie s’organise. Chacun prend ses marques. Man est heureux de redonner vie à sa maison d’enfance, celle où son père et avant son grand-père sont nés. Il monte chercher chez Dhami un balai sans manche en paille et commence le grand nettoyage. Man se démène comme un diable et ne laisse personne l’aider. Bientôt, il suffoque dans un nuage de poussière qui avec la sueur lui colle au visage. Les gigantesques araignées abandonnent leurs toiles pour s’enfuir devant cette tornade de propreté.

Après avoir aidé l’équipe à monter la tente cuisine à l’ombre d’un arbre à savon sur une belle pelouse, nous arrachons les grandes herbes piquantes qui ont envahi l’espace plat entre les deux maisons afin de pouvoir y planter notre tente. Pour l’instant, il fait grand beau et dormir à l’extérieur est un réel plaisir.

Une simplicité qui nous enchante

La maison la plus proche de la vallée est composée de six pièces de taille identique. Les trois du haut sont accessibles par un escalier extérieur et un balcon dont les planches sont plus que vermoulues. Auparavant, elles servaient de chambres. Man retrouve la sienne remplie de malles métalliques contenant de vieux vêtements. Pour cette nuit, nos compagnons du Solo-Khumbu préfère s’installer au rez-de-chaussée, tous ensemble, dans la pièce du milieu.

Emménagement à Horlabot

La cuisine de la maison servira de garde-manger. Un trou noirci est creusé à même le sol. Il s’agit du foyer. Il ne manque que le trépied pour poser une gamelle. Nous en dénicherons un dans l’autre maison. Pour économiser notre kérosène si difficile à trouver, nous décidons de cuisiner un maximum au feu de bois. Puisqu’il n’y a aucun cas au Népal, nous gardons tous espoir au fond de nous que ce lockdown d’une semaine ne sera pas prolongé.

La vie s’organise à Horlabot

Dazu nous rend visite dans l’après-midi. Lui aussi a l’air enchanté de voir Horlabot sortir de sa léthargie. Nous creusons un trou pour les toilettes assez loin du camp en prenant soin de ne rien polluer. Dazu et Man nous indiquent le lieu favorable, loin de la source.

Adoptés par notre nouvelle famille

Les oiseaux exotiques poussent des cris de mouettes comme pour nous souhaiter la bienvenue. Les insectes font des bruits de mini turbines qui s’emballent et stoppent d’un coup. Nous adorons ce lieu et remercions le ciel ce cadeau inespéré.

Jessica nous appelle Uncle et Anti. Nous avons l’impression d’être chez nous et en famille ici depuis toujours !

1 commentaire pour “Redonner vie à Horlabot”

  1. Grosses bises à vous deux. Le récit est toujours aussi additif ! Je commence a reconnaître les gens dont vous parlez ….
    Bises

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