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Sentier du vertige

Samedi 9 mai 2020. Réveil 5h00, l’oiseau du paradis crie « debout, départ pour Syaubang ».

Man arrive à 7h, il semble très déçu de voir nos sacs préparés pour une journée car cela signifie que nous n’avons pas changé d’avis. Nous ne le suivrons pas jusqu’au bout de son périple car nous tenons à tenir la promesse que nous avons faite à Dharma, chef de la municipalité rurale de Banphikot, de ne pas sortir du district. Ce dernier est tellement bienveillant envers nous que trahir sa confiance ne nous est pas envisageable une seule seconde. Nous ne dormirons donc pas demain soir avec Man dans la grotte au milieu de la jungle.

L’insistance de Man pour que nous l’accompagnions trouve peut-être là une explication. Passer une nuit seul dans cette grotte est pour lui une hantise que seule sa soif d’exploration peut lui permettre d’affronter. Au Rukum, les histoires de fantômes et d’esprits qui hantent ces lieux sombres font partie du patrimoine culturel. Tant et si bien que même les adultes les plus instruits sont effrayés par ces lieux si propices à des rencontres surnaturelles.

Destin fragile

Nous passons chez Dhami. C’est l’effervescence car toute la famille étale le compost pour la culture du maïs qui va succéder à celle du blé. Ils voudraient encore de la confiture de tutu. Nous disons que ce sera pour demain car aujourd’hui nous partons.

Nous montons à Dang en prenant la « ridge de Dhami ». Juste avant d’arriver au grand escalier en béton qui mène à la piste de Neta Bazar, Brigitte vit sa première expérience de « chemin qui casse ». Elle tombe la tête la première dans les épines qui amortissent sa chute mais décorent son front à la Jésus.

Épidémie de palabres

A Kanda, Man nous emmène au temple afin que nous rencontrions un homme pour qui il a beaucoup d’estime. Nous attendons un peu car cet instituteur en poste à Musikot est en réunion à l’intérieur du temple. Nous ne savons pas sur quoi portent les débats mais nous imaginons que cela concerne le problème du coronavirus.

Le gardien du temple de Kanda

A sa sortie, nous partons ensemble vers les petits temples situés un peu plus haut dans le village, à côté d’une mare et d’une fontaine. Pour y accéder, nous quittons la piste avant son terminus et montons légèrement à gauche entre les maisons.

Un très bel homme nous y attend, Man lui a visiblement donné rendez-vous. Il est grand, de magnifique prestance, semblant issu d’un métissage réussi entre pirate des caraïbes et berbère de la famille de Yasmina. Il porte un foulard rouge noué autour du cou. Il est le chef du comité anti-coronavirus du village et se montre très bienveillant à notre égard. Plus tard Brigitte lui trouvera une ressemblance avec le « génie des Alpages », un ami militant des Aravis dont la vie est à l’image de ses idées profondément altruistes.

Palabres à Kanda

Le virus de la promotion touristique

L’instituteur nous indique au loin un village atteignable après une longue traversée striée de nombreuses ravines à-pic au-dessus du lac Syarpu. Il nous assure que le chemin est très bon mais qu’il faut y renoncer si nous sommes sujets au vertige car certains endroits à l’à-pic du lac sont vraiment impressionnants.

L’ami de Man nous accompagne un petit moment en nous filmant avec son téléphone. Nous faisons une halte vers midi sur un petit piton rocheux pour manger avec lui les roti préparés par Didi le matin même. La vue sur le lac Syarpu qui se situe à l’aplomb est magnifique.

Une pause aérienne

Après cette courte pause, l’instituteur s’arrête mais continue de nous filmer de loin. Il veut publier cette vidéo sur Youtube pour faire la promotion de son village. Nous n’avons jamais trouvé cette vidéo !

Un balcon spectaculaire

Nous sommes maintenant en compagnie de jeunes bergers avec leurs chèvres et leurs buffalos. La traversée débute dans de beaux alpages et est très agréable. Ensuite, elle devient effectivement très aérienne avec de superbes vues plongeantes sur le lac Syarpu. Le franchissement des ravines nous impose des descentes et remontées vertigineuses où les mains peuvent être d’une certaine utilité. Cet itinéraire est absolument splendide ! Les petits bergers se sont arrêtés faire paître leur troupeau dans les prairies avant les passages scabreux au-dessus du vide. Ils n’iront pas plus loin.

A l’approche du Baso Tase

Nous nous lançons dans une rude montée pour atteindre le Baso Tase, une traversée au-dessus de pentes herbeuses quasiment verticales, un véritable toboggan sur lequel de nombreuses bêtes ont perdu la vie. A peine plus loin, une descente escarpée dans des rochers glissants nous attend. Nous rejoignons ensuite le fil de l’arête au prix d’une nouvelle remontée.

Périlleuse traversée

Perdus dans la jungle

Derrière cette crête, l’horizon se referme ; nous basculons dans un univers végétal. Le chemin se perd et nous nous égarons rapidement dans la jungle. Deux didi apparaissent comme par miracle et nous interpellent pour nous demander ce que nous faisons là. Elles nous indiquent la bonne direction… Sans elles, où serions-nous allés ? La jungle n’est vraiment pas un univers facile à maîtriser !

Cueillette de légumes au milieu de la jungle

Nous rebroussons chemin pour trouver une sente perdue dans la végétation. Elle descend jusqu’à un premier ruisseau que nous traversons à gué. Quelques minutes plus tard, nous franchissons un deuxième torrent sur une belle dalle noire polie par les eaux. Nous en profitons pour nous désaltérer. Maintenant, nous buvons l’eau comme les locaux. Nous pouvons étancher notre soif en toute liberté sans attendre la demi-heure réglementaire nécessaire à l’action de la pastille de micropur.

Syaubang

Un dernier cheminement ascendant nous permet de sortir de la jungle pour arriver en vue du hameau de Syaubang. Man est très content car, selon lui, les habitants de Kanda ne nous pensaient pas capables de faire cette traversée. Ils nous prennent vraiment pour des « mous » dira Brigitte s’inspirant de l’expression favorite de son amie de Thuy ! Pour nous, cela n’a été qu’un grand plaisir.

Toit de chaume à Syaubang

A Syaubang, les champs sont couverts de splendides fleurs bleues violettes. La culture du pavot est interdite mais la police semble fermer les yeux. Cette activité illicite semble assez marginale. La tolérance des autorités envers les cultivateurs peut se comprendre car, comme nous l’avons déjà évoqué à Likhabang, bien souvent les paysans n’ont pas d’autre choix que de céder à la pression des trafiquants. La police monte de temps à autre dire aux villageois qu’ils feraient mieux de faire pousser du blé… Man nous demande tout de même d’éviter de photographier les champs.

En bas du village, nous sommes accueillis chaleureusement par un jeune homme très sympathique qui nous dit « welcome tourists ! » et nous propose de nous asseoir au bord de la maison où il vit avec sa famille. Nous discutons longuement en grignotant le kaja que Man a emporté pour son périple de quelques jours.

Savoir renoncer

C’est ici que nos routes se séparent. Man insiste pour que nous venions avec lui en nous montrant le chemin qui grimpe sur une crête face de Syaubang. Notre ami découvre avec nous l’aménagement réalisé à sa demande par le Nepal Tourism Board. Vu de loin, le chemin en zigzag semble très large. En haut, il pense trouver un hébergement pour la nuit. Il propose même à Brigitte de lui prêter son duvet pour la nuit.

Avouons que nous avons été très tentés d’accepter. De la crête, nous aurions pu rentrer à Horlabot par l’alpage de Dammana sans enfreindre la promesse faîte à Dharma KC de ne pas sortir de son territoire. Néanmoins, l’idée de bivouaquer sans nourriture, sans matériel et avec les ours ne nous a guère alléchés…

De plus, nous ne voulons pas perturber le programme de Man qui compte poursuivre en direction de la ligne d’horizon en forme de W, de l’autre côté de la vallée. Cette crête marque la frontière orientale de la municipalité de Banphikot mais aussi et surtout celle du district du West Rukum. Il est hors de question de s’aventurer plus loin sans autorisation.

La piscine naturelle de Syaubang !

Les marches de la sagesse

Pour une fois, la raison l’emporte. Nous reviendrons. Nous descendons donc en direction du lac Syarpu et découvrons avec stupéfaction un long escalier de pierres dont la construction a dû être un travail de fous ! Cet immense escalier serpente dans une forêt bien aérée de pins maritimes, ce qui permet d’avoir une belle vue sur le lac tout le long de la descente.

En fait, même si nous avons honte de ne pas emprunter cet escalier en respect du travail qu’il a nécessité, nous lui préférons le petit chemin bien plus aisé qui le longe et a été retracé par les usagers. Les marches commencent à être envahies par la végétation.

Le serpent de pierres du lac Syarpu

Retour au lac Syarpu

En moins d’une heure, nous arrivons aux abords du lac Syarpu. Nous essayons de nous faire très discrets en apercevant les premières maisons car nous avons déjà eu une désagréable expérience avec le comité anti-coronavirus du coin. Vaine précaution car nous sommes obligés de passer dans la cour d’une maison pour suivre notre chemin. Cependant, tous les gens que nous croisons se montrent très sympathiques.

Nous éviterons tout de même la visite du village de Syarpu et passerons en contrebas. Sur la piste menant à Neta Pokhara, nous avons bien du mal à suivre un baje qui porte un tronc d’arbre sur son dos. Ce vieil homme est incroyable. Il a l’air de jouer avec nous. Dès que nous nous rapprochons à l’occasion d’une de ses courtes pauses, il repart de plus belles à courtes enjambées.

Début des semis de maïs

Depuis ce matin le temps est très menaçant. Laurent pense que l’orage va finir par éclater et décide de rentrer directement de Neta Pokhara à Horlabot. Plus optimiste et jamais rassasiée, Brigitte risque le détour par Simtaru et Cherakhet pour passer voir Didi et Dazu à Lochabang.

A Horlabot, Laurent retrouve la famille de Dhami en train de semer le maïs au-dessus de notre maison. La femme de notre voisin chamane suit l’attelage de bœufs qui retourne la terre avec le fumier que les enfants viennent d’étaler dans le champ. La charrue creuse un sillon dans lequel l’épouse de Dhami laisse tomber régulièrement les graines de maïs.

Après avoir fait chauffer l’eau pour le café du lendemain, Laurent descend à Lochabang. En passant, il assiste au semis du maïs chez Ardu, dans le petit champ qui jouxte l’étable. Tous les enfants sont mis à contribution.

Nous nous retrouvons à Lochabang pour boire le thé avec les parents de Man qui ont profité du beau temps pour nettoyer 220 kg de blé en le secouant à bout de bras au-dessus de leur tête dans une grande pelle en paille… Quel travail !

Cet instant thé est devenu indispensable pour bien terminer la journée ! Il en est de même en France où une journée se terminant sans ce rituel avec nos amis du hameau du Sappey semble un peu boiteuse.

Genoux récalcitrants

Après cette pause, Brigitte a de la peine à remettre ses genoux en marche pour remonter à Horlabot. Ils se vengent d’avoir été fracassés dans une crevasse il y a bien longtemps. En général, ils se montrent plus conciliants après une nuit de repos.

Néanmoins, ce soir ses genoux sont en bois. Heureusement que Laurent est là pour tuer scorpions et araignées géantes et préparer le repas accroupi devant le feu de bois sinon pour elle, c’était jeûne sous la tente ! Ce soir, ce sera du riz avec une salade de chou.

Laurent lui avouera, bien plus tard, avoir aussi mis en fuite des souris géantes, pour ne pas dire des « rats », qui voulaient grignoter notre tente… La reconnaissance de Brigitte sera infinie car elle a déjà une peur phobique de leurs minuscules congénères français.

Un orage très violent éclate pendant la nuit, ajouté aux genoux très douloureux, cela rendra les allers-retours aux toilettes particulièrement délicats !

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