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Une inquiétante invasion

Mardi 2 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis. L’oiseau crie à Brigitte « fais un citron chaud à Laurent ».

Laurent va mieux mais n’est toujours pas remis. Un bon kagati ou citron chaud ne peut lui faire que du bien ! Didi a ordonné à Brigitte de lui faire boire beaucoup de ce breuvage.

A Horlabot, nous avons la chance d’avoir un citronnier dont les fruits tout petits et verts sont renommés pour leurs vertus médicinales. Ses branches sont armées de piquants de longueur inversement proportionnelle à la taille des fruits.

A Lochabang, le citronnier donne de plus gros fruits jaunes de la taille de ceux que nous consommons en France, également recommandés par Didi et Dazu mais moins efficaces que les minuscules de Horlabot.

Nous espérons qu’ils vont agir contre ce que nous ne connaissons pas mais qui nous rend bien malades !

Allumer le feu !

Ce matin, le feu prend vite et bien sans trop fumer. Depuis quelques jours, en guise d’allume-feu, nous utilisons le vieux foin très sec évacué de l’intérieur de la maison lors du grand nettoyage de printemps entrepris par Man dès notre arrivée à Horlabot.

Au début, nous avions pris l’habitude de démarrer le feu avec les chaumes récupérées sur le toit délabré du auvent accolé à notre maison… sur les conseils de Man qui voulait le restaurer. Dazu quant à lui souhaitait le détruire, sans doute effrayé par les dépenses que son fils engageait à Horlabot. Habitant le lieu, nous penchions du côté de Man, surtout Brigitte à qui il sert d’abri pour fumer sa churot lorsqu’il pleut.

L’arrivée des premières pluies de mousson a mis un terme à notre recyclage des chaumes en combustible. En effet, bien qu’en mauvais état, cette couverture était encore bien étanche et protégeait efficacement notre stock de bois.

Recyclage au Rukum

Un jour, en voyant Didi ramasser une vieille semelle de chapal abandonnée par son propriétaire au bord du chemin, nous lui demanderons ce qu’elle compte en faire. Surprise, elle nous invitera à la suivre dans sa cuisine. Nous la verrons découper un carré de la semelle, l’enflammer et le poser dans le foyer sous le daoura, le petit bois. Didi nous montrera également ses réserves de sacs plastique usagés et de vieux bout de cordage en nylon. Pas très écologique mais diablement efficace !

Le Rukum était encore une société « zéro déchet » il y a à peine vingt ans. Le ramassage des ordures ménagères est un concept inconnu. Aujourd’hui, les détritus issus de produits pétroliers y sont encore assez rares. Dans les villages, cette incinération utilitaire contribue à leur donner une deuxième vie… La pollution générée semble encore anecdotique mais pour combien de temps ?

Chez nous, on enfouit, on incinère, on cache les résidus de notre surconsommation pour nous éviter toute prise de conscience. Une grève générale et illimitée des éboueurs serait peut-être la meilleure façon de faire passer le message mais le seul sursaut médiatique et politique est de dénoncer les gênes occasionnées sans la moindre remise en question de notre mode de vie.

En pleine mousson, quand tout sera humide même à l’abri, nous comprendrons mieux l’usage des semelles. Pour allumer nos petits fagots de foin, il nous faudra parfois faire quelques entorses à notre bonne conscience et utiliser des emballages en plastique…

Désherbage du maïs

Les bienfaits du kagati chaud ne sont pas immédiats ; Laurent reste couché. Brigitte descend à Lochabang pour participer au désherbage du maïs. Elle retrouve un groupe constitué des deux tantes, deux didis de Kibane, Santosh et de quelques enfants qui mange les rotis avant de commencer le travail.

Repas des désherbeurs

Brigitte croise Man qui part à Banphikot superviser la réalisation de notre attestation officielle de confinement au Rukum afin de pallier à notre défaut de visa expiré depuis ce matin. Il veut faire préciser que nous sommes réfugiés à Banphikot depuis le début du confinement et surtout vérifier que la lettre indique que les autorités nous ont demandé de rester ici jusqu’à ce que toutes les restrictions de déplacement soient levées.

Didi ne tient pas rigueur à son fils d’esquiver ainsi le désherbage. Avec un sourire affectueux, elle dit « Man arrive toujours à s’échapper ». Bientôt, en voyant Brigitte poursuivre ses longues explorations quotidiennes durant la mousson au mépris de ses mises en garde, Didi dira la même chose de sa protégée d’Horlabot : « Man, Brigitte: ustai ustai » que l’on pourrait traduire par « Brigitte et Man, du pareil au même »…

Un travail éreintant

Didi est ravie de voir Brigitte se joindre au groupe des travailleurs. Armés de posalos, tous montent enlever les mauvaises herbes dans les deux petits champs du haut. Inexpérimentée, Brigitte est très lente par rapport aux autres. Comme les désherbeurs opèrent en ligne et en marche arrière, elle est vite distancée et se retrouve seule à l’avant d’un front uni ! Voyant cela, les experts en maniement du posalo lui demandent d’attaquer l’autre extrémité du champ avec un enfant pour lui éviter la honte et la solitude!

Les deux petites parcelles sont terminées vers dix heures. Il fait une chaleur étouffante. Le groupe fait une pause, mise à profit pour faire tourner une sulpa et boire de l’eau fraîche, avant d’attaquer le grand champ qui fait face à la maison de Didi et Dazu.

Ici, la pudeur n’est pas reine : Didi s’est mise torse nu pendant la pause car elle a trop chaud ! Elle demande à Brigitte de lui masser le dos toujours douloureux.

Le travail reprend. Les didis ont montré à Brigitte comment dédoubler les épis de maïs trop proches puis les repiquer ou non. En amont, du côté de la maison des buffalos, la progression est rapide. A mi-champ, les choses se compliquent singulièrement. Une des tantes de Man se relève et s’écrie « charmilo » comme si elle voulait alerter d’un danger imminent.

Une épreuve pour le dos !

Repousser l’envahisseur

Brigitte qui a désormais pris le rythme est stoppée dans son élan par Didi. Tout le monde s’arrête pour venir observer l’inquiétante découverte. Les discussions joyeuses laissent place aux palabres sérieuses. Chacun semble donner son avis sur la marche à suivre. L’ambiance insouciante laisse place à l’inquiétude.

Didi se baisse et déterre délicatement une plante qui ressemble à un gros trèfle à quatre feuilles. A la base des feuilles, on retrouve un bulbe d’où partent une douzaine de fragiles rhizomes blanchâtres terminés par autant de bulbilles couleur terre. Arracher cette plante sans précaution doit sans doute accélérer sa propagation.

Man nous expliquera que cette plante est apparue dans le champ il y a deux ou trois ans et que depuis elle se répand à grande vitesse. Elle n’est pas courante au Rukum et personne ne sait comment elle est arrivée ici dans un champ de Lochabang. Que faire ? Certains pensent qu’il vaut mieux ne pas y toucher. Didi pense quant à elle qu’il faut essayer de l’éradiquer en arrachant tous les pieds en prenant soin d’extraire tous les petits bulbes. Une tâche titanesque et vouée à l’échec…

Oser la rébellion

De toutes les façons, il fait désormais trop chaud pour poursuivre ce désherbage éreintant. Vers midi, Brigitte passe voir Laurent à Horlabot puis monte à Banphikot au point internet où elle a rendez-vous par message pour discuter des élections municipales de Thônes avec une amie colistière du groupe « Robert et ses drôles de dames », ainsi désigné depuis que Robert, géographe posé, a été le premier homme de la liste à rejoindre les femmes dissidentes.

Brigitte lui transmet, comme convenu, la photo du courrier manuscrit signé indiquant qu’elle souhaite démissionner et rejoint le groupe des dissidentes. Cette démarche restera symbolique car elle ne sera pas acceptée par la Préfecture de Haute-Savoie. Les dissidents seront néanmoins majoritaires grâce à un ralliement de dernière minute et obtiendront le retrait de la liste pour offrir une chance aux autres opposants de gagner le deuxième tour. Ils seront restés fidèles jusqu’au bout à leurs convictions.

Ce bel acte d’abnégation et de résistance face à une tête de liste et sa garde rapprochée qui préfèrent dérouler un tapis rouge au maire sortant destructeur de notre environnement plutôt que de renoncer à un éventuel poste ne sera hélas pas couronnée de succès. Les bénéficiaires de ce retrait ne témoigneront guère de gratitude quand ils se féliciteront de leur score honorable. En revanche, ce geste leur vaudra d’être affublés de jolis noms d’oiseaux aux relents nauséabonds. Le monde merveilleux de la politique…

« Qui ose, risque. Qui n’ose rien, perd tout ! ». Au moins, ils auront tout essayé et auront noué de belles amitiés au sein de ce groupe.

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