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Choyés à Banphikot

Dimanche 10 mai 2020. Réveil 5h30 après une petite nuit. Surpris, l’oiseau crie « les genoux refonctionnent » puis moqueur il s’exclame : « Premier jour de paradis sans Man ! ».

L’orage a été très violent toute la nuit. Il fut difficile à Brigitte de se rassurer en comptant le nombre de secondes séparant éclairs et coups de tonnerre, 1, parfois 2 en ne prenant pas le temps de respirer et boum, la maison vibrait violemment. Laurent dormait comme un bienheureux.

Vêtus de loques

Nous paressons un peu sous le soleil revenu et profitons de nos douches de nains et de géants pour nous nettoyer et laver nos rares habits non destinés à la haute montagne. Nos vêtements adaptés au Rukum commencent à partir en loques, usés jusqu’à la trame par le soleil puissant.

Le tissu des deux seuls pantalons légers de Laurent se déchire sur le devant du genou. Laurent a bien essayé de les repriser avec le fil de parachute qui nous sert à réparer tentes et sacs à dos mais le tissu craque plus loin à peine la couture terminée. Ses pantalons risquent de devenir des shorts longs s’ils ne sont pas enfilés avec une précaution infinie, ce qui mettrait ses mollets et genoux à la merci d’un coup de soleil fatal. En effet, au Rukum, le soleil est tellement fort que selon la formule d’usage « il peut instantanément griller un piment frais ».

Laurent décide judicieusement de préserver son pantalon le moins usagé pour les grandes occasions. Il porte donc toujours le même ! Il ne le lave qu’en prenant sa douche et le laisse sécher sur lui.

Les deux seuls t-shirts légers de Brigitte dont les manches longues sont précieuses pour protéger les bras des brûlures du soleil commencent aussi à être très élimés. Des trous se forment un peu partout.

Le sens de l’hospitalité

Nous montons à Banphikot. Internet ne fonctionne pas. Ceci nous donne l’occasion de discuter avec les employés de la commune qui sont rapidement devenus des amis. Aujourd’hui, l’indispensable « IT sir » est resté chez lui. Il sait que le courant ne sera pas rétabli car l’orage de la veille a fait trop de dégâts sur les lignes électriques

Manisha est fidèle au poste. Cette didi de Duli habite ici avec son fils chez sa famille pendant la semaine et rentre chez elle le vendredi soir pour y passer le samedi qui est jour férié. En général, elle a toujours une pelote de laine sous le bras et tricote à grande vitesse de magnifiques pulls dès qu’elle a quelques minutes de libre ou qu’elle se rend d’un bâtiment à l’autre pour aller chercher des dossiers.

Elle partage avec nous concombres, pêches ou autres victuailles qu’elle amène de chez elle ou que les gens lui donnent. Elle nous propose toujours un siège et de l’eau chaude ou froide lorsque nous arrivons.

Toujours prévenants

Manisha est très souvent accompagnée de deux hommes qui ne se quittent jamais et sont également très attentionnés à notre égard. L’un des deux s’est immédiatement présenté comme un ami de Man. Il nous dit parfois des choses étranges mais toujours agréables. L’autre est plus cartésien mais tout aussi gentil.

Plus tard, nous ferons la connaissance de Kamala qui partage son temps entre les bureaux de Banphikot et ceux de Chinkhet. C’est une jolie jeune fille, émancipée et célibataire. Elle est très active sur Facebook. Ses collègues la surnomme « Corona » ce qui prête à de nombreuses plaisanteries dans la situation actuelle !

Un élu attentif

Enfin, il y a Dharma KC le chef de la municipalité rurale de Banphikot. Il semble très respecté de tous et est vraiment agréable avec nous. Lorsqu’il est là, il ne manque jamais de venir nous saluer, discuter un peu avec nous de la situation sanitaire et politique au Népal.

Il nous montre souvent des photos susceptibles de nous intéresser. Il est particulièrement fier de celle où il apparaît en uniforme des Nations Unies, arborant une médaille pour l’accomplissement de sa mission. Nous apprenons qu’il a été recruté pour faire respecter le cessez-le-feu et le dépôt des armes dans le cadre de la mission d’accompagnement des accords de paix entre les combattants maoïstes et les forces gouvernementales.

Un homme de paix

Le sens des affaires

A côté des bureaux de la municipalité rurale de Banphikot, il y a deux petits shops. Ils sont tenus par un jeune couple qui a déjà trois enfants, dont un bébé, qui se suivent à un an d’intervalle. La jeune femme fait un peu enfantine. Elle est très fière d’avoir trois enfants mais lorsqu’ils l’énervent, elle n’hésite pas à leur donner une bonne correction qui lui vaudrait de sérieux ennuis en France. Les enfants ne pleurent jamais et semblent plus amusés que traumatisés par les punitions de leur maman.

La première boutique du jeune couple est une petite pièce avec un ordinateur, une imprimante et un appareil photo. Les enfants jouent avec tous les appareils sous l’œil bienveillant de leur père qui leur permet tout. Ce commerce est très lucratif car tous les gens qui viennent déposer un dossier à l’administration de Banphikot y font des photocopies et des photos d’identité. Ici, tous les dossiers administratifs sont conservés en format « papier ».

Les documents sont déposés dans une pochette en magnifique papier lokta et liés entre eux par un morceau de ficelle passé à l’aiguille dans les deux trous percés non loin l’un de l’autre au centre de chaque page, dans la marge des documents. Les deux extrémités du morceau de ficelle sont terminées par un petit bout de métal qui lui donne une jolie touche finale. Brigitte trouve ces dossiers très beaux et ne se lasse pas de les admirer à chaque fois qu’elle en voit un.

Un lieu de vie confiné

La deuxième échoppe du jeune couple est un tout petit local fourre-tout où sont entassés mais bien visibles des cahiers, des allumettes, des cigarettes (quand il n’y a pas pénurie), des soupes déshydratées, de gros sachets de Buja, le riz soufflé, de tout petits paquets de biscuits à la noix de coco (coconuts) ou, plus chers, des cookies au chocolat et tout un tas d’autres petites choses fort utiles.

Chaque midi, la jeune femme, son bébé dans les bras ou au sein, prépare des cornets en feuilles de cahier usagées qu’elle remplit d’un mélange de nouilles de soupe déshydratée et de riz soufflé arrosé d’huile et d’épices. C’est la « cantine » du personnel de la municipalité et de l’hôpital.

Même lorsque le confinement sera extrêmement strict, ces deux boutiques resteront toujours ouvertes ou entrouvertes et nous serons très précieuses pour l’achat de la nourriture indispensable.

« Good colonization »

Aujourd’hui, pour la première fois, Brigitte monte par la piste de Banphikot à Neta Pokhara puis à Kanda. Le long de la piste se trouve un joli village dont elle ignore le nom. Il se situe bien au-dessus de Bargaon.

Dans ce village, plusieurs hommes viennent à sa rencontre et l’interrogent. Ils sont probablement revenus de Katmandou ou de l’étranger pour passer le lockdown dans leur village du Rukum car ils parlent bien anglais. Quand elle leur explique notre situation et dit que nous sommes accueillis par la famille de Man, ils rassurent tous les gens venus des alentours. Comme dirait Man, « good colonization ».

Tous les gens s’affairent dans les champs où le blé a été récolté récemment, soit pour amener le fumier en doko, soit pour l’étaler à la main, soit pour commencer le labourage des champs où le compost est déjà étalé. Dans certains champs, les propriétaires plantent déjà le maïs : une personne suit la charrue et pose un ou deux grains tous les vingt centimètres.

Brigitte peut se promener car Didi et Dazu ont toujours environ quinze jours de retard sur les autres cultivateurs. En effet, ayant beaucoup de terres, ils ont besoin de bras pour les aider. Ils doivent donc attendre que les voisins aient terminé leurs propres travaux avant de commencer les leurs. Il lui faut expliquer cela aux gens qu’elle rencontre pour ne pas passer pour une parasite !

Reconstruction express

Arrivée à Kanda l’orage gronde ; le ciel est tout noir. Brigitte rentre le plus vite possible par la piste jusqu’à Neta Bazar. Ensuite, elle coupe par Dang. Après avoir descendu l’escalier en béton, elle découvre, à sa grande surprise, un tout nouvel escalier en terre là où le chemin avait cédé sous elle hier ! C’est l’œuvre de l’homme qui avait accouru avec son petit garçon pour lui porter secours. Aujourd’hui, il est encore dans son champ et observe sa réaction à la vue de ce beau chemin tout neuf.

Brigitte n’a pas vu qu’il était là mais elle est tellement étonnée et ravie à la vue de ce beau chemin tout neuf qu’elle dit tout haut : « Oh le magnifique chemin, comme c’est gentil ! ». Le cultivateur s’approche alors d’elle tout content de sa réaction et lui dit : « ramro bato ! ». Elle le remercie chaleureusement.

Elle dévale ensuite la ridge de Dhami jusqu’à Lochabang pour voir « sa Didi ». La pluie commence juste à tomber à son arrivée, une chance !

Soirée jhakri

Aujourd’hui, Didi nous sert du thé au poivre noir et à la racine récoltée par la Didi Magar dans sa « montagne des balous ». Ce soir, pour le dîner, elle prépare des rotis de luxe au beurre clarifié dont Jessica et Dazu raffolent. Un délicieux tarkari de haricots verts très épicé les accompagnent. Didi brave la chaleur de la plaque posée à même le feu de bois pour y étaler, à la main, la pâte plus liquide que d’ordinaire. Tout est partagé avec nous, comme toujours !

Roti au ghyu

Dazu nous dit que ce soir Didi Sandra a décidé de nous emmener à une séance de jakhri à Kibane si la pluie se calme. Nous sommes ravis car depuis notre arrivée nous entendons parler du jakhri mais nous n’avons vu que des vidéos à Jhula. Les sons de son tambour envahissent notre silence chaque nuit. Nous sommes impatients de découvrir comment se déroule cette autre forme de chamanisme.

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