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« Compost Day »

Mardi 12 mai 2020. Réveil 5h00 au paradis des fenêtres ouvertes, l’oiseau crie « pas de voleur cette nuit ! ».

L’oiseau doit avoir raison car aucun bruit n’a perturbé notre sommeil et tout est en ordre dans la maison. Man est parti depuis quatre jours mais nous nous sentons bien car, grâce à lui, nous faisons maintenant partie du cercle de sa famille et de ses amis.

La varicelle noire

Dazu montre très tôt pour chercher les posalos et les pioches entreposées au rez-de-chaussée de notre maison depuis les travaux de terrassement. L’équipe des « composteurs » en aura besoin pour extraire le fumier du tas et remplir les dokos.

Nous descendons avec lui à Lochabang. Les voisins recrutés par Dazu sont déjà au travail. Nous croisons une joyeuse équipe de femmes qui montent de lourdes charges de fumier. D’un coup de rein, elles font basculer leur doko au-dessus de leur tête et le renversent sur la terre. Les petits tas quadrillent le champ à intervalle régulier. La précision de cet alignement est presque chirurgicale.

Epidémie de « varicelle noire »

A peine délestée, les femmes descendent chercher de nouveaux paniers que trois hommes remplissent en musique à côté de la maison des buffalos. Le ballet est incessant. Bientôt, elles auront décoré toute la petite terrasse supérieure de petits « boutons de varicelle noire » et pourront entamer le vaste champ qui surplombe la piste .

Exemptés de « hard work »

Dazu nous explique qu’autrefois les animaux vivaient avec eux à Horlabot et qu’il devait descendre le compost à Lochabang. Il faisait plus de trente allers-retours dans la journée, pas loin de trois mille mètres de dénivelé ! Aujourd’hui, la tâche est beaucoup plus facile avec la matière première produite et stockée à proximité de sa destination finale. Le travail reste néanmoins fastidieux.

Le père de Man refuse notre aide pour ce « hard work » selon son expression. Il pense sans doute que manipuler le fumier encore chaud et humide nous répugne. Il nous dit que nous pourrons l’aider plus tard à étaler les petits tas de compost et demande simplement à Laurent de prendre des photos et des vidéos de cette activité traditionnelle.

Brigitte a donc quartier libre ! Didi est également exemptée de compost car elle prépare le repas des travailleurs.

Les mains dans le fumier

Ne pouvant rester spectateur, Laurent trouve une tâche à sa mesure. Il aide Dazu à extraire les branchages qui ne sont pas encore totalement décomposés du tas de fumier. Le petit bois, daoura, ainsi extrait servira, une fois séché, à alimenter le foyer de la cuisine. Après avoir essuyé les morceaux de bois avec ses doigts pour en retirer le fumier, il aura bien de la peine à accomplir sa mission de cinéaste reporter… Un test d’étanchéité sans doute inédit pour notre appareil photo !

Le ballet des dokos

Dazu est surpris et ravi de voir Laurent se salir les mains sans rechigner. Déchargé de l’extraction du daoura, Dazu peut s’adonner à une autre tâche. Après avoir installé les bœufs et les buffalos dans leur étable, il gratte de ses mains le compost accumulé autour des pieux auxquels leurs licols sont attachés pour ne pas en perdre un gramme.

Les mains dans le fumier

« Gumna »

Le travail de groupe crée comme toujours une atmosphère pleine d’allégresse. Après deux courtes pauses, le travail est achevé en fin de matinée et les derniers dokos sont versés dans le jardin à côté de la maison. L’adéquation entre le besoin et la ressource est remarquable : les animaux ont produit exactement la quantité de fumier nécessaire pour couvrir les deux champs. Ni plus, ni moins.

Pause bien méritée

Il est temps de se laver les mains pour aller déguster le dal bhat préparé par Didi pour toute l’équipe. Après le repas, deux jeunes de l’équipe entraînent Laurent vers la rivière en lui disant « Gumna ». Leurs gestes semblent indiquer qu’ils veulent lui montrer un oiseau. Incompréhension, il s’agit en fait de l’entrée d’une cavité souterraine et « Gumna » n’est pas le nom de l’oiseau mais une injonction à aller se promener. Quoi qu’il en soit, c’est une superbe découverte.

Un joyau naturel à Lochabag

Laurent remonte à Horlabot prendre une douche bien méritée.

Chinkhet Bazar

De son côté, Brigitte a retrouvé Didi Dila qui coupe du fourrage pour ses buffalos sur la crête entre Djerma et Chinkhet. Elle est ensuite descendue à Chinket et a traversé le village en discutant quelques minutes avec chacun comme il est normal de le faire ici.

Chinkhet est bien animé ce matin. Maintenant, la plupart des boutiques ont rouvert. Des cordes tendues empêchent les chalands d’approcher au-delà de la distance réglementaire imposée par le coronavirus. En fait, tout le monde se glisse sous les cordes pour montrer plus précisément ce qu’il veut ou pour être mieux entendu.

Des boutiques hétéroclites

Il y a des épiciers, des tailleurs, un orfèvre qui fabrique les colliers de mariage faits d’un cylindre d’argent ou d’or ornés de petits pics enserrant une dizaine de fils de perles rouges.

On y trouve également une scierie, des garagistes, des hôtels, un restaurant, un boucher, un boulanger, un marchand qui, parait-il, vend du café mais pour le moment ces magasins sont fermés.

Il y a aussi un magasin de médicaments tenu par deux hommes très avenants qui semblent bien connaître leur sujet et un petit centre de santé avec deux ou trois lit où les malades peuvent se coucher pour recevoir une perfusion d’antibiotique. Pendant la mousson, lorsque les infections seront légion, les marchands de médicaments feront aussi les perfusions sur les patients simplement assis sur des fauteuils en plastique.

Ce bazar avec ses shops situés de part et d’autre de la piste défoncée et souvent boueuse n’est pas beau mais il y règne une atmosphère particulière que Brigitte aime beaucoup.

Aujourd’hui, elle achète un caleçon rouge « Nepali style » à 350 roupies car le sien a lâché. Normalement, on doit le porter sous une robe mais elle explique à la didi vendeuse qu’elle le mettra seul, en « French style ». Elle et son mari rient et approuvent.

En quête d’un nouveau chemin

Brigitte file en direction de Garaghat pour trouver le chemin qui selon Man monterait directement vers Phera en empruntant une crête parallèle à celle de Jhula. Ce projet la remplit de joie et d’excitation. Finalement, l’absence de cartes est un sacré cadeau car cela lui donne l’immense privilège de tracer son chemin au fil du terrain pour se rendre au but fixé.

Pour sortir de Chinkhet, il est possible, hors saison de mousson, de ne pas prendre le pont himalayen en fer pour franchir en contrebas, un gué où beaucoup de didis lavent le linge. Les hommes y lavent leurs motos ou leurs jeeps mais c’est extrêmement rare à cause du confinement.

Ensuite, les chemins du pont et du gué se rejoignent pour longer une menuiserie puis une petite plantation de bananiers au milieu de laquelle sont stockés des tas de cailloux qui font penser à une entreprise de travaux publics. Pour le moment, tout est à l’arrêt.

Invitation au dialogue

En poursuivant la piste on trouve le magnifique arbre pipal sur la gauche où il y a toujours des gens qui font une petite halte pour se reposer ou discuter repos à l’ombre avant de poursuivre leur trajet à pied. Ici, le soleil est tellement puissant que toutes les rares zones d’ombre le long des pistes, si petites soient-elles, sont mises à profit pour se reposer un peu.

A chaque fois que Brigitte passe devant l’une d’elles, les gens lui disent « Bosne, garmi !», « Assieds-toi, il fait chaud ! ». Elle ne s’arrête pas en général car elle adore la chaleur.

Les maisons du lockdown

Ensuite sur la gauche, des hommes travaillent à la construction d’une maison bien grande par rapport à celles du coin et surtout haute et carrée ce qui dénote avec le style des maisons existantes. Brigitte imagine que ce sera peut-être un hôtel.

Depuis le début du confinement, les gens qui ont un peu d’argent de côté pour acheter cailloux, ciment et huisseries en bois mettent à profit leur temps libre pour construire de nouvelles maisons. La construction commence toujours par la mise en place des portes et fenêtres du rez-de-chaussée autour desquelles sont montés les murs en pierres. Nous les appellerons les « maisons du lockdown ».

Plus loin, sur la gauche de la piste, il est impossible de ne pas remarquer une maison ornée d’un texte agrémenté d’un marteau et d’une faucille. Sur la droite il y a une maison qui appartient à des personnes de la famille de Didi Sandra mais nous ignorons le lien de parenté qui les unit.

La jungle de Jhula

Erreur d’aiguillage

Brigitte arrive ensuite à une piste sur la droite qui, selon toute vraisemblance doit monter à Jhula. Aujourd’hui, finalement, elle renonce à l’arête qui part d’un peu plus loin après le gué et doit permettre de monter à Phera car le temps est très menaçant. Elle tente cette piste en espérant qu’elle monte à Phera. Elle ne demande pas son chemin volontairement, préférant avoir la surprise.

La piste monte d’abord jusqu’à une intersection dont les deux branches longent l’arête d’ocre de Jhula respectivement à gauche et à droite. Elle explore la branche de droite qui se termine rapidement en cul de sac au-dessus du village de Panabang. Revenant sur ses pas, elle prend la branche de gauche qui monte en zigzaguant de part et d’autre de la « ridge » pour finalement rester à sa gauche et atteindre le col de Jhula. La piste est longue mais entrecoupée de nombreux raccourcis.

Nouvelles rencontres à Jhula

En montant vers le col de Jhula, ayant fait l’erreur de ne pas prendre d’eau avec une chaleur pareille, Brigitte en demande en passant devant une maison. Aussitôt, les occupants lui proposent de s’asseoir et lui offrent non seulement de l’eau mais aussi de la papaye verte saupoudrée de sucre et de piment, un régal. Au cours de la discussion, elle apprend qu’il y a la mère, son fils, sa bru et sa fille. La fille et la belle-fille lui disent être institutrices alors que le fils est informaticien à Katmandou. Ils sont revenus ici pour le confinement.

Accueillie royalement à Jhula

La fille parle très bien anglais ce qui facilite beaucoup la discussion. Ils veulent que Brigitte mange des rotis avec eux mais elle décline la gentille invitation car elle voudrait bien au moins finir l’exploration jusqu’au col de Phera où nous sommes arrivés avec Man en revenant de Melchaur.

Exploration inachevée

Arrivée au col de Jhula, elle ne prend pas la branche de droite qui mène à la maison du jhakri mais celle de gauche qui semble être une ancienne piste plus ou moins abandonnée. En fait, cette piste rejoint la nouvelle piste plus haut mais est plus agréable car recouverte d’herbe.

Elle poursuit alors la piste jusqu’à Phera. Le paysage est splendide. Normalement, d’ici on voit le Sisne Himal mais ce sera pour une autre fois car aujourd’hui le temps est très couvert et menaçant.

Elle redescend vite de Phera et à partir du col de Jhula prend tous les raccourcis bien faciles à trouver car beaucoup de personnes les utilisent pour descendre avec de lourds sacs de blé qu’elles vont moudre au moulin de Chinkhet. Elles remontent ensuite avec les mêmes sacs remplis de farine.

Le thé avec Bina

Arrivée à Chinkhet, Brigitte reprend la piste vers le haut de la vallée. Le temps s’arrange un peu. De retour à Lochabang, elle passe un long moment avec Didi Sandra Khola et sa fille Bina venue de Sandanbura pour acheter une mana de beurre clarifié à sa maman.

Didi fait fondre tout le beurre clarifié qu’elle a stocké dans un bidon en métal. Elle emplit une mana en métal qu’elle verse dans le bidon amené par Bina en prenant soin d’ajouter un bon surplus.

Brigitte boit ensuite le thé avec Didi et Bina en partageant une sulpa dans laquelle elle soupçonne Didi d’avoir mis un peu de marijuana ! Elle décline la proposition de partager le dal bhat préparé pour Bina avant que cette dernière ne reprenne le chemin de retour vers Sandanbura.

Dal bhat à Horlabot

Brigitte remonte à Horlabot où les petites filles de Dhami arrivent pour manger de la confiture de tutus. Elles repartent avec un bol de confiture et chacune un sachet de soupe de nouilles déshydratées « So So » qu’elles adorent manger crues.

Laurent a préparé le dal bhat avec des soja beans. Un régal !

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