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Initiation au chamanisme

Mardi 31 mars 2020. Jamais à court d’idées et rempli du désir de nous faire découvrir la culture de son Rukum, Man décide de nous emmener chez Dhami pour assister ce soir à une séance de chamanisme. Nous repassons par le camp. Bhim entouré par toute son équipe vient nous annoncer qu’ils acceptent de rester. Cette décision présentée comme cadeau alors qu’ils n’ont pas d’autre choix met fin à l’ambiance pesante qui régnait depuis quelques jours. C’est un grand soulagement pour nous et surtout pour Man qui va enfin pouvoir respirer !

Une assistante ensorcelante

Il est grand temps de monter voir Dhami. Avant de pouvoir accéder à la pièce où il pratique son rituel, sa petite-fille nous invite à nous purifier en lavant nos mains avec des herbes et de l’eau. Son allure très sauvage lui donne une beauté très particulière. Elle possède le même regard pénétrant que son grand-père. Serait-elle dotée des mêmes pouvoirs ?

Dhami est un petit homme au regard perçant et malicieux qui sourit tout le temps. Il adore plaisanter et nous invite à le filmer en se demandant ce qu’il peut bien raconter quand les esprits prennent possession de son corps. En effet, Man nous précise que Dhami ne se souvient de rien au terme de la session.

Nous sommes à la fois intrigués et perplexes et avons hâte de découvrir notre voisin chamane en action.

Les préparatifs du rituel

Nous montons à l’étage dans la pièce dédiée aux rituels. Elle est presque vide avec quelques images de dieux hindouistes au mur et une étagère dans un coin où reposent un grand nombre d’objets que nous peinons à distinguer dans la pénombre. La fille de Dhami est installée à côté de l’entrée avec son petit bébé dans les bras. D’autres personnes sont venues tout exprès des alentours pour « la séance » dont nous ignorons toujours la teneur.

La famille de Dhami

Tout en discutant avec l’assemblée, Dhami s’accroupit et découpe méticuleusement avec une faucille qu’il coince entre ses pieds des rubans rouges et blancs. Il verse ensuite du riz dans une grand assiette creuse en métal qu’il dépose sur le tapis. Le riz est un composant essentiel du rituel. « Comment ferai-je si le riz vient à manquer à cause du lockdown ? » nous dit Dhami en riant de toute son unique dent. De temps en temps, il dit quelques mots. Man ne peut malheureusement pas tout nous traduire.

Les préparatifs sont terminés. Dhami s’assoit juste à côté du tapis et se concentre en ignorant la vie qui suit son cours autour de lui. De sa main gauche, il malaxe en silence les grains de riz.

Possédé par les esprits

Tout à coup, le visage de Dhami se transforme. Sa main se crispe sur les grains de riz ; il bondit sur le tapis et s’assoit en tailleur. En quelques secondes, les esprits ont pris possession de son corps. Dhami plonge cette fois ses deux mains dans le riz. Installés face à lui, nous pouvons pouvoir ses jambes qui commencent à bouger. Parfois il s’interrompt pour attraper des cloches et autres instruments sur l’étagère adjacente et les disposer autour de lui.

Dhami et ses instruments rituels

Man nous explique que Dhami doit être en transe, c’est à dire avoir l’esprit investi par les « Dieux » avant de saisir ses « instruments » : une tige de fer, un morceau de bois crochu, de grosses cloches, une brassée de clochettes, un plumet et une queue de yak. Si ce n’est pas le cas, il risque de mourir.

Dhami en transe

Bientôt, il s’empare de grosses cloches qu’il agite énergiquement à hauteur de sa tête alors que ses jambes partent dans un tremblement frénétique comme un battement d’ailes de colibri. Ses jambes vibrent à une vitesse incroyable dans un mouvement de va-et-vient de faible amplitude. Son buste reste très droit pour agiter les cloches ou la grappe de clochettes qu’il secoue maintenant à bout de bras. Cette remarquable performance physique demande un incroyable gainage. Nous nous demandons comment ce petit homme de 70 ans à l’allure si frêle peut dégager une telle énergie.

Ce début de séance est pour nous une plongée brutale dans l’irrationnel !

Dhami se frappe violemment le dos avec les cloches puis il malaxe le riz énergiquement comme pour en tirer de la force en déclamant des paroles incompréhensibles même pour l’assistance népalaise.

Man face à Dhami

Soudain, il appelle Man en lui jetant un peu de ce riz à la figure. Man vient s’asseoir en tailleur en face de lui. Dhami lui écrase du riz sur le front en appliquant fermement sa main jusqu’à ce que les grains accrochent comme collés par l’humidité de la peau. Il attrape ensuite Man par l’épaule avec son crochet de bois, le frappe sur le dos avec la tige de fer puis avec la brassée de clochettes en bronze.

Man interroge les esprits

Notre chamane utilise tous ses objets rituels pour chasser les mauvais esprits de son propre corps et de celui de son « patient ».

Dhami parle avec Man qui ne peut plus nous traduire quoi que ce soit depuis sa position. Nous comprenons malgré tout que Man pose une question à propos de la Khora du Sisne, c’est-à-dire le tour du Sisne qu’il compte partir repérer. Il veut savoir ce qui se cache derrière la montagne, où nul n’a jamais posé le pied ni le regard.

Des révélations qui posent question

Man nous racontera en redescendant à Lochabang après cette séance de chamanisme que Dhami lui a dit qu’il trouverait deux lacs sur le versant nord, côté Dolpo. Avant de quitter Katmandou, Man nous avait parlé de son projet : ouvrir un nouvel itinéraire de trek autour du Sisne. Ensemble, nous avions regardé les cartes et repéré sur Google Earth deux lacs dans cette austère « terra incognita ». Dhami, lui, n’en savait rien. Seuls les esprits pouvaient savoir !

Laurent le cartésien qui ne croit pas au chamanisme est un temps déstabilisé avant de trouver une explication pleine de bon sens et surtout qui l’arrange bien : annoncer la présence d’un lac en montagne ce n’est pas vraiment une grande prophétie.

Dhami en termine avec Man en lui nouant autour du coup un ruban porte-bonheur et en lui versant dans la main une poignée de riz. Man se relève et enfouit le précieux cadeau au fond de sa poche.

Confrontation avec les esprits

Nous saurons bientôt quel usage il faut en faire car à notre grande surprise, Brigitte est maintenant appelée par Dhami. Nous pensions être de simples spectateurs et nous voilà acteurs de la séance.

Brigitte s’assoit donc à son tour devant Dhami qui recommence avec elle le rituel pour chasser les esprits. Elle reste comme figée, un peu effrayée par les instruments chamaniques qui virevoltent autour de sa tête. Soudain, Dhami lui adresse la parole. Man se rapproche d’elle pour traduire : les esprits lui disent qu’elle n’a pas vraiment de religion mais qu’elle tire toute sa force de l’himal, la montagne.

Brigitte tire sa force de la montagne !

Il voit plutôt juste notre Dhami. A son tour, Brigitte reçoit ses rubans colorés et sa poignée de riz. Man lui explique qu’elle devra en jeter un peu là où elle sentira de la force. Ces paroles restent encore aujourd’hui un peu mystérieuses. Nous avons rapporté ce riz en France pour en jeter quelques grains chez nous et chez nos proches en guise de porte-bonheur. Sait-on jamais les esprits du Rukum veillent peut-être encore sur nous !

Pour Laurent, la séance est plus courte. Dhami déclare qu’il est impénétrable : les esprits disent ne pas pouvoir entrer en contact avec lui. Décidément, encore bien vu ! Les esprits ne sont pas rancuniers car Laurent a quand même droit à ses rubans protecteurs autour du cou et à la rituelle poignée de riz.

Un cas plus sérieux

Vient le tour d’une femme dont le cas doit être plus sérieux. Dhami pose une planche sur le dos de la didi prosternée devant lui afin d’y trancher une papaye à l’aide d’un grand khukuri. Son assistante, sa petite-fille, invite la femme à se coucher et couvre son visage de pigments rouges. Notre voisin chamane sort un instant pour reprendre des forces puis il revient en dansant autour de sa patiente.

D’après Man, cette femme venait pour expier une faute. Qu’avait-elle bien pu faire ? Nous ne le saurons jamais.

Dhami reprend possession de son corps

Dhami remise maintenant ses instruments sur l’étagère ou plutôt les jette dessus avec force. D’un coup, les tremblements s’arrêtent. La séance est maintenant terminée. Dhami retrouve instantanément son état « normal » et recommence ses plaisanteries. Il discute un moment avec nous par l’intermédiaire de Man.

Quelle soirée, nous sommes abasourdis par ce que nous venons de vivre !

2 commentaires sur “Initiation au chamanisme”

    1. Brigitte PEPIN-DONAT

      Tu le dis bien Marie-Claude, nous avons vraiment eu de la chance de vivre cette expérience…bien d’autres vont suivre, différentes mais toutes aussi belles qu’inattendues. Les partager avec les ami(e)s nous les fait revivre. Merci de nous lire.

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