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Jour de pluie

Mardi 21 avril 2020. Réveil 5h00, c’est toujours le paradis Man l’a redit et l’oiseau le crie !

Il a plu toute la nuit. Notre nouvelle tente a bien résisté. Au petit matin, le ciel s’est enfin éclairci.

« Pas de travail, pas d’argent »

Brigitte évoque avec Man les enfants qui lui ont réclamé de l’argent. Pour notre ami, c’est un cas isolé. Ils sont sous l’influence de personnes jalouses de sa famille. Aux alentours, certains pensent que Man et ses parents nous hébergent contre une grosse somme d’argent.

Ces propos qui se voulaient rassurants nous tracassent encore plus. Nous ne souhaitons pas que notre présence crée des troubles relationnels dans la communauté. Man nous demande de ne pas nous torturer l’esprit pour si peu. Il va expliquer aux jeunes que mendier est stupide. Man croit au dialogue et le pratique à chaque instant.

Il apprend à Brigitte de nouvelles phrases magiques pour qu’elle puisse expliquer la vraie vie aux jeunes : l’argent se gagne en travaillant ! « Kam garnu ! », « Kam chaina, paisa chaina ! ». Brigitte remarque qu’elle n’a jamais aucun problème avec les filles.

Le paradis retrouvé

Brigitte part pour une grande balade au-delà de Djerma puis descend dans la jungle au-dessus de Chinkhet Bazar pour la discussion quasi-quotidienne avec Dila qui la guette chaque jour depuis le haut de l’arbre qu’elle ébranche. Depuis Horlabot, Brigitte a l’impression d’être seule mais la jungle est pleine de sentinelles très agiles qui travaillent depuis l’aube dans les arbres pour assurer la nourriture de leurs « garous » (buffalos), et du reste de leur petit cheptel familial.

Entre Dang et Simtaru, un jeune homme descend d’un arbre pour parler à Brigitte. Il est dentiste à Katmandou d’où il a fui le confinement pour venir aider sa famille aux travaux agricoles. Il parle un anglais parfait, discute longuement avec elle et lui assure que si nous avons un quelconque problème, nous pourrons compter sur lui et que sa maison familiale sera la nôtre.

Un peu plus loin, une petite fille toute mignonne et souriante sort d’une ferme. Elle demande à Brigitte de venir saluer sa grand-mère qui y habite et qu’elle aide ce matin. C’est la première rencontre de Brigitte avec Babouna qui habite Simtaru et qui fera désormais partie de l’entourage affectif si précieux qui jalonnera ses vagabondages quotidiens.

A Simtaru, un tout petit garçon l’appelle, il sait à peine parler mais la reconnaît de loin. C’est le fils de Komala, la fille de Bina, petite fille de Didi Sandra, qui vit chez ses beaux-parents, il partira bientôt avec sa maman rejoindre son père au Portugal. Brigitte imagine le vide que son départ va créer dans cette maison où il est choyé par tout le monde.

Le centre d’attention de Simtaru !

Ces jolies rencontres font oublier à Brigitte les désillusions connues la veille avec les ados mendiants.

La menace de l’orage

A Horlabot, Laurent et Man ont consacré leur matinée aux finitions du terrassement de ce qui sera l’aire de camping du futur homestay. Brigitte de retour de balade, nous descendons tous les trois pour retrouver Didi et Dazu qui ont repris le nettoyage du blé.

L’orage qui menace depuis des heures se rapproche. Le blé séparé de l’ivraie est mis en sac en catastrophe par Dazu et Laurent pendant que Didi, Man et Brigitte emballent les autres tas le plus rapidement possible dans la bâche. Dans la précipitation, les grains à moitié nettoyés se mélangent avec ceux qui ne l’ont pas encore été. Il faudra recommencer toute l’opération demain mais l’essentiel est sauf : la précieuse récolte est à l’abri de la pluie violente qui se met à tomber.

Clarification

Nous nous réfugions dans la cuisine où Didi prépare le thé. En se précipitant pour servir Man, Jessica renverse la jarre de mohi. Son expression se fige. En une fraction de seconde, elle a pris conscience de sa faute. Elle sait bien que personne ne va la réprimander mais ici on ne gâche rien, surtout pas de la nourriture.

Didi qui n’arrête jamais profite de la pluie pour clarifier le beurre. Nous assistons à toute l’opération en nous demandant à quoi peuvent bien servir les grains de riz que la maman de Man a jeté dans la crème en train de chauffer sur le feu. Nous comprendrons qu’il s’agit d’un petit plaisir que s’offre la famille. Après avoir filtré le beurre clarifié (ghee) et versé celui-ci dans un pot, Didi gratte le fond de la casserole pour façonner de petites boules de riz bien grasses. Un régal !

Préparation du kaja (blé torréfié)

La route du sel

Dazu nous explique que le ghee et la marijuana servaient de monnaie d’échange lorsqu’il accompagnait son grand-père vers le sud à Nepalganj pour en ramener des biens qui n’étaient pas produits au Rukum, par exemple du sucre, du thé ou certains vêtements. La culture de la marijuana était alors florissante au Rukum et les familles possédaient plus de buffalos pour produire plus de beurre clarifié. Les temps changent.

Enfant, Dazu se joignait également aux caravanes qui partaient vers le nord, au Dolpo, pour récupérer du sel. Dolpa et habitants du Rukum se donnaient rendez-vous à la frontière de leurs districts respectifs, non loin de Dunai, une frontière administrative mais surtout climatique. Souffrant de la chaleur, les yaks des Dolpa ne pouvaient poursuivre leur route vers la plaine du Gange. Les troupeaux de moutons ou de chèvres du Rukum prenaient alors le relais des yaks en portant deux petites sacoches, chacune chargée de 4kg de sel.

Man voudrait retrouver les routes parcourues par ces caravanes ancestrales. Chaque rencontre avec un ancien est pour lui l’occasion de recueillir un témoignage de ce patrimoine culturel aujourd’hui disparu. Le temps presse car il n’existe selon lui aucune trace écrite de ces échanges commerciaux.

Lochabang sous le déluge

Les plaisirs de la pluie

Nous passons l’après-midi à discuter de sujets divers et variés avec Dazu, Didi, et Man qui remplit à nouveau sa mission de traduction tandis que Jessica dort, paisiblement allongée sur le sol de la cuisine, la tête sur ses genoux. Dazu s’intéresse aux travaux de recherche de Brigitte et surtout à leur application pratique.

Par temps de pluie, Didi nous confie qu’elle se remonte le moral en agrémentant la sulpa de marijuana. Vivement la mousson se dit Brigitte ! La scène qui se déroule dans la cuisine prend un côté surréaliste. Alors que la sulpa réconfortante passe de main en main, inspirés, nous parlons très sérieusement de gels conducteurs qui permettent aux avions d’échapper aux radars.

Le déluge a cessé. Nous remontons à Horlabot avec Man, suivis par ses deux tantes qui portent les sacs d’ocre qu’elles sont allées extraire sur la « ridge » de Jhula. Les travaux de peinture vont bientôt pouvoir commencer.

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