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Le chant du Rukum

Dimanche 24 mai 2020. Réveil 5h00 au paradis de Man qui crie « Debout les mous ! On part à Bayele ! ». L’oiseau n’en revient pas. C’est qui cet énergumène qui ose crier avant lui ?

Effectivement, Man nous annonce que nous partons aujourd’hui pour passer la nuit chez les alpagistes permanents de Bayele afin de pouvoir monter très tôt demain matin à Thuma Lekh et avoir une petite chance de voir la chaîne du Dhaulagiri, le Sisne, la Punta Hiunchuli avant l’arrivée des nuages.

L’idée lui est venue cette nuit car hier soir au dîner il n’en était pas encore question. Avec Man, la vie est faite d’une surprise chaque jour, nous adorons !

Faux départ

Hélas, aujourd’hui, nous devons renoncer au plaisir de la saisir au vol car famille et amis se feraient beaucoup de souci si nous ne donnions pas de nouvelles pendant plusieurs jours sans prévenir de notre départ. Ils ont pris goût et nous aussi avouons-le à ces échanges quotidiens. De plus, demain c’est l’anniversaire de Renée. Nous convenons donc avec Man de différer notre départ d’une journée. Nous faisons une petite liste des vivres de course à emmener demain. Didi va nous préparer du kaja, du blé grillé.

Après avoir souhaité un bon anniversaire à Renée avec un jour d’avance, Laurent redescend de Banphikot pour aller retrouver Man dans les rizières de Cherakhet où il lui a donné rendez-vous pour participer à leur mise en eau.

« Bosne »

De son côté, Brigitte part explorer le territoire entre Kanda et le sentier de Likhabang, au-dessus de Bargaon. A Neta Pokhara, elle prend la piste pour Kanda et, après un virage en épingle à la sortie du joli hameau des enfants cueilleurs de tutus, elle prend un petit chemin qui monte d’abord raide puis part en traversée sur la gauche. Une didi l’invite à s’asseoir, «bosne », lorsqu’elle passe devant sa maison.

Après cet intermède très convivial, Brigitte poursuit son nouveau chemin et rencontre cinq autres didis qui reviennent avec un lourd chargement d’herbe. Elles font une pause en pleine pente invitant Brigitte à une petite réunion improvisée.

La pause bien sympathique terminée, elle repart, franchit une ravine où a été installé un gros tuyau de conduite d’eau en métal puis parcourt deux magnifiques montées en zig-zag qui mènent à une sorte de col dominant un alpage où elle distingue des hommes et des buffalos. Elle se demande si eux et la didi de la maison précédente viennent juste de s’installer ici pour la période de la mousson qui assure la précieuse présence d’eau…

Promesse tenue

Il est tard, Brigitte à contre cœur, stoppe sa montée vers 2300 m lorsqu’elle croise un chemin qui semble descendre vers Bargaon. Son intuition ne la trompe pas. Elle arrive à Bargaon et plus précisément chez Man Kumari ! Son magasin est fermé. Les amies de Man Kumari dont elle a fait connaissance hier arrivent aussitôt pour lui dire de s’asseoir mais elle doit filer car il est tard.

A Simtaru, Komala l’attend avec Babu et les six paquets de cigarettes commandés hier pour Didi et Dazu. Son beau-père a déniché comme promis les précieuses churots. Brigitte est très heureuse car son vagabondage lui a permis de découvrir un endroit magnifique entre Kanda et le haut du sentier emprunté pour aller à Likhabang. Le puzzle prend allure !

Labourage des rizières

Brigitte arrive trop tard à Cherakhet : le travail dans la rizière est terminé. Laurent lui expliquera que la première phase est un labourage traditionnel « à sec ». Ensuite, la parcelle est mise en eau grâce à un système de canaux creusés dans la terre. Quand la rizière est noyée, on repasse la charrue. Le soc trace son sillon dans l’eau et la boue.

Deuxième passage de la charrue

Après une courte pause, bœufs et laboureur reprennent du service pour transformer les deux éléments en une émulsion épaisse. Pour cela, le soc en bois classique a laissé la place à une petite herse. Au fil des allers-retours de ce râteau en bois, les animaux et leur guide pataugent dans un mélange de plus en plus visqueux. Le laboureur doit faire preuve d’une grande agilité pour parvenir à rester debout sur le râteau. On dirait qu’il surfe tiré par son attelage sur les vagues de boue.

Surf dans les rizières

Dans quelques jours, il faudra recommencer cette opération et lorsque le mélange eau-boue sera enfin devenu homogène, le laboureur terminera le travail de préparation de la rizière en lissant la boue avec un long morceau de bambou.

Préserver les traditions

Le travail est éprouvant pour les bœufs et les hommes. Tous sont couverts de boue. Les pauses sulpa sont nombreuses. Un baje de Cherakhet se joint aux laboureurs. Ce vieil homme au visage lumineux est une star locale de la chanson. Il accepte de nous faire une démonstration de ses talents.

La tradition orale au Rukum

Man souhaite préserver ce témoignage de la culture traditionnelle et demande à Laurent de filmer la prestation de son ami. Le chanteur attend que la caméra tourne pour se lancer a cappella avec une grande inspiration. Les chants sont courts. Pourquoi n’a-t-on jamais demandé à Man de nous traduire les paroles ? Peut-être parce qu’il en fait déjà bien assez pour nous. A la fin de chaque morceau, l’ancien dit « sokyo », « c’est fini ». Man ne doit pas le forcer pour obtenir un nouveau chant.

Man lui montre la vidéo. L’artiste est ravi de se voir et de s’entendre. Nous retrouverons désormais notre chanteur lors de chaque grande étape de la culture du riz.

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