Accueil > Népal > Confinés mais libres > Les hauts de Jhula

Les hauts de Jhula

Jeudi 11 juin 2020, 5h00. Réveil au paradis. L’oiseau crie juste pour le plaisir.

Aujourd’hui, une nouvelle belle journée d’exploration s’annonce. Les gens ne semblent plus avoir peur de nous, c’est un peu comme s’ils nous connaissaient depuis toujours. Merci Radio Sani Bheri et surtout merci Man d’avoir eu cette idée formidable !

Didi et Dazu montent tôt à Horlabot. Avant qu’ils ne partent couper de l’herbe, nous partageons avec eux café et churot. Après ce rituel devenu immuable, Brigitte file à Cherakhet. Elle prend alors la longue ligne droite ascendante de la piste principale qui monte à Magma. Elle la quitte au premier virage en épingle à cheveux pour emprunter une piste secondaire en assez mauvais état qui se dirige, rive gauche, vers le fond de la large vallée de la Magma Khola plantée de rizières au vert si tendre.

Le bonheur !

Rencontre impressionniste

Juste après ce virage, sur la piste principale, se trouvent une ferme et un petit temple jaune et entre les deux un petit chemin empierré qui file à gauche vers « Magma du bas ». La maison est habitée par un homme et une femme assez âgés qui semblent toujours très attentionnés l’un envers l’autre. Lui porte un chapeau et un costume blanc. Il n’en faut pas plus pour que Brigitte imagine immédiatement un peintre impressionniste accompagné de sa femme. En fait, elle a trouvé, c’est Alfred Sisley qui a emprunté le chapeau de Renoir et sa femme Marie-Louise Adélaïde-Eugénie Lescouezec.

La vie est faite de surprises, qui aurait pu prédire qu’elle rencontrerait un jour le Rukum et le couple Sisley ? Seul regret, elle sera assez stupide ou encore trop ancrée dans le « rentabiliser le temps » à la mode de notre chez nous occidental pour accepter de s’asseoir avec eux alors qu’ils l’y inviteront à chaque fois qu’elle passera devant leur maison. Elle se contentera de les admirer, tranquillement assis dehors sur des fauteuils en plastique en train de disserter. Pourquoi s’est-elle privée de ce cadeau ?

Confluence

Revenons à la divagation de ce jour. Brigitte découvre que la rivière qu’elle a baptisée Magma Khola ne devrait pas avoir ce nom car au fond de cette large vallée, deux vallons assez escarpés se rejoignent : celui de la « vraie » Magma Khola qui vient de droite et longe la pente au-dessus de laquelle se situe le village de Magma et celui d’une rivière au nom inconnu, même de Man, qui provient du vallon de gauche. La jonction de ces deux vallons escarpés est un bel endroit nommé Baki. Sur son relevé topographique, Brigitte baptise l’endroit du nom de « confluence ».

A Confluence, il y a, côté droit, un pont et un gué pour franchir la Magma Khola et, côté gauche, un très joli pont bleu en bois pour franchir la rivière « sans nom ». Entre les deux ponts, une crête monte vers Dhuli. Brigitte se promet de l’emprunter un autre jour car, étant déjà allée à Dhuli hier, il faut varier les plaisirs!

Jhula mati

Après la rivière « sans nom », un sentier monte sur la pente qui est bordée à gauche par la crête derrière laquelle se trouve Jhula. Selon la hauteur à laquelle la crête est franchie, Brigitte imagine qu’on arrive au col de Jhula ou à Jhula mati (en haut).

Aujourd’hui, elle a prévu de monter le plus haut possible sur cette pente afin de tenter de parvenir à Jhula mati et, pourquoi pas, plus haut à Phera si un chemin se présente.

Au-dessus de Confluence

En montant sur la pente, elle passe devant quelques maisons et une source qui arrive à point nommé car le soleil est tellement puissant qu’il dessécherait tout net un piment comme aiment à le dire les gens d’ici. Brigitte pense plutôt qu’il pourrait dessécher un crapaud marchant lentement sur ses courtes pattes arrière. L’idée saugrenue des crapauds lui vient en pensant à notre amie la Fouèse, Nounou adorée des enfants et de leurs parents, qui montre aux mômes les dépouilles desséchées des crapauds écrasés par les voitures qui jonchent la route pour illustrer ce qui arrive aux enfants qui lâchent la main de leur Nounou.

Devant l’une des maisons, un vieux monsieur dont la vie a dessiné sur le visage un parchemin au sourire paisible fabrique consciencieusement de beaux dokos.

L’arête de Dhuli

Le danger des balous

Cependant, comme cela arrive assez souvent, et c’est bien ainsi, rien ne se passe comme prévu : lorsque Brigitte est assez haut sur la pente, des enfants la rattrapent et lui font comprendre qu’elle doit redescendre car il y a des « balous » (ours). Pensant qu’ils plaisantent, elle continue son chemin mais ce sont alors les parents qui la rattrapent pour ne lui laisser aucune autre alternative que de descendre rejoindre un chemin bien marqué qui file vers la crête.

Elle traverse la crête légèrement au-dessus du col de Jhula. En continuant la montée, quitte la piste et prend un sentier qui longe une grande école qu’elle ne connaissait pas encore. Avec l’école qui est en dessous du col, sur le chemin de Panabang et celle du col, cela fait beaucoup de très grands établissements scolaires uniquement pour Jhula. Brigitte n’aurait jamais imaginé qu’il y ait assez d’enfants pour remplir toutes ces classes.

Même pas peur des balous !

Accueil chaleureux

Le chemin continue sa montée après l’école, passe devant des réservoirs d’eau et quelques maisons. Les habitants d’une maison la font asseoir et disent quelques mots aux enfants qui provoquent la ruée des bambins vers un très gros arbre qu’ils occupent jusqu’à son faîte à une vitesse et avec une agilité inimaginables. Ils en dégringolent tout aussi vite les mains remplies de prunes qu’ils prennent soin d’enfermer comme un trésor dans un bout de chiffon avant de les lui offrir avec un sourire indescriptible mais gravé comme un soleil dans sa mémoire. Elle repart avec son précieux cadeau et une chaleur intense qui lui envahit l’âme.

Quelques mètres plus loin, des didis battent le blé dans une ambiance joyeuse. Elles la font aussi s’asseoir pour discuter, prunes et kafals sont échangées.

Mimétisme

Il est temps de rentrer, il fait une chaleur intense et l’orage menace, comme chaque jour. Au début, le ciel noir effrayait Brigitte et cela faisait rire Man. Maintenant, cela ne lui fait plus rien, elle verra bien ce qui arrivera et fera alors ce qui sera le plus opportun. Tout le monde vit ainsi ici : avant que les faits ne se produisent, ils n’existent pas alors pourquoi les intégrer à notre existence ? En France, elle avait déjà un peu cette philosophie disant souvent qu’il ne fallait pas « devancer l’appel » mais la mettait peu en pratique. Elle n’est pas devenue zen, méditative ou autre, elle s’est juste adaptée sans s’en rendre compte, inspirée par les gens qui l’entourent ici!

Brigitte fait demi-tour et repasse devant la maison du Jhakri de Jhula où plein d’enfants jouent dans la cour. Arrivée au col de Jhula, elle descend par la piste à droite qui s’éloigne parfois de l’arête d’ocre pour mieux la retrouver. Tout en bas, cette piste aboutit à la vallée de la Sani Bheri entre Garaghat et Chinkhet.

Retour par Chinkhet

A Chinkhet, le gué est encore praticable mais Brigitte lui préfère le pont suspendu qui domine la rivière et lui donne une « vue d’avion » sur la vie intense de lavages de toutes sortes qui s’y déroule.

Avant de remonter à Horlabot, elle passe prendre le thé chez Didi qui épluche des chemis, ces haricots très fins d’une longueur incroyable. Serait-ce le haricot géant de Jack ? Cette histoire qu’elle lisait étant enfant lui est toujours restée en mémoire… Jack escaladait un haricot géant et arrivait au paradis.

Nous avons la très agréable surprise de recevoir la visite de Dazu à une heure inhabituelle. Il est remonté à Horlabot pour couper du feuillage pour les buffalos. Il nous explique qu’un de ses amis est décédé et que demain il accompagnera le cortège funéraire. Tellement de morts depuis notre arrivée !

Fin du confinement

Ce soir nous mangeons notre dal bhat à Horlabot où Laurent a trop chaud et voit tout en noir. Il y a des jours ainsi où la vie est belle mais assombrie par notre esprit plein de toiles d’araignées. Parfois, la nuit fait un peu de ménage dans la tête. Par chance, les araignées n’ont pas trouvé le chemin de la tête de Brigitte depuis notre arrivée au Rukum et elle adore la chaleur!

Laurent aurait pourtant des raisons de positiver. En effet, cet après-midi, les membres du personnel de la municipalité rurale de Banphikot lui ont annoncé la fin du « lockdown » strict. Ils étaient sincèrement heureux pour nous, pensant que nous pourrions bientôt rentrer à la maison. Cependant, en pratique, cela ne change rien pour nous car les frontières extérieures du Népal restent closes… et puis avons-nous vraiment envie de quitter le paradis ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *